| 17.01.12 | 17h34
Le juge espagnol Baltasar Garzon risque d'être suspendu par l'administration judiciaire vendredi 14 mai 2010.AFP/DOMINIQUE FAGET
Madrid Correspondance - Le premier procès contre le juge espagnol Baltasar Garzon a débuté, mardi 17 janvier, au Tribunal suprême de Madrid. Le célèbre magistrat est accusé de "prévarication" pour avoir ordonné des "écoutes illégales" sur plusieurs accusés d'un vaste réseau de corruption impliquant des élus du Parti populaire (PP), baptisé "l'affaire Gurtel". Il encourt entre dix et dix-sept ans d'exclusion de la magistrature.
Le parquet, qui requiert son acquittement, avait demandé que les trois plaintes, déposées par les deux cerveaux présumés de l'affaire Gurtel, Francisco Correo et Pablo Crespo, ainsi que l'avocat d'un autre accusé, soient classées. Mais le juge instructeur, Alberto Jorge Barreiro, n'a pas suivi ses recommandations. Il estime que M. Garzon a pu porter atteinte aux droits fondamentaux des accusés en plaçant sur écoutes leurs conversations en prison, notamment celles avec leurs avocats.
Baltasar Garzon se défend en assurant que ces écoutes n'avaient en aucun cas pour but de connaître la stratégie de la défense mais, s'appuyant sur l'enquête policière qui pointait une possible connivence entre les avocats et leurs clients, d'éviter le blanchiment par des tierces personnes des fonds détournés.
Ironie du sort, M. Garzon s'est donc retrouvé sur le banc des accusés, mardi, avant les deux responsables présumés du réseau de corruption Gurtel qui, en prison préventive, attendent toujours d'être jugés pour avoir offert des millions à des élus du Parti populaire (PP, droite, actuellement au pouvoir en Espagne) en échange de juteux contrats publics.
La veille du procès, l'avocat du juge Garzon, Francisco Baena, se disait "confiant". "Je crois en la justice", affirmait-il au Monde.
Pourtant, la défense a des raisons d'être pessimiste. Le juge instructeur a refusé les éléments qu'elle souhaitait apporter, aussi bien le témoignage du juge du Tribunal suprême de Madrid qui, après avoir récupéré l'instruction de l'affaire Gurtel, a prolongé les écoutes, que celui des procureurs anticorruption qui les ont validées.
La cour se contentera donc des seules explications du juge Garzon, raison pour laquelle le procès ne devrait durer que trois jours, selon les prévisions du Tribunal.
Mais quel que soit le jugement rendu, les péripéties du juge Garzon ne s'arrêteront pas là. Le 24 janvier, le magistrat, suspendu depuis mai 2010, a de nouveau rendez-vous avec la justice, soupçonné derechef de "prévarication", cette fois-ci pour avoir voulu juger les crimes franquistes.
Le syndicat d'extrême droite Manos Limpias ("mains propres") l'accuse d'avoir ouvert une enquête sur la dictature de Francisco Franco tout en sachant l'existence d'une loi d'amnistie, votée en 1977 pour faciliter la transition démocratique. "Il a créé une brèche dans la société et rouvert des blessures que le temps avait fermées. Garzon est un cancer pour la justice espagnole", commente au Monde le président de Manos Limpias, Miguel Bernad, décoré en décembre 2011 par la Fondation Francisco-Franco pour "défendre les idéaux du mouvement".
Enfin, un troisième procès, encore en phase d'instruction, attend le juge Garzon. Il est soupçonné d'avoir perçu de la banque Santander de l'argent - qu'il n'a pas déclaré - pour deux séminaires donnés à New York. M. Garzon dément avoir été payé.
En Espagne, Baltasar Garzon est autant haï que vénéré. Connu internationalement comme le juge ayant prononcé un mandat d'arrêt international contre l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, ses coups médiatiques, comme lorsqu'il demanda le certificat de décès de Franco ou tenta d'enquêter sur les atteintes aux droits de l'homme dans la prison de Guantanamo, lui ont valu autant d'amis que d'ennemis, et des jalousies au sein de la magistrature.
La presse de droite souligne que M. Garzon a tout fait pour retarder le procès pour écoutes illégales, espérant que sa première comparution ait lieu dans le cadre du procès sur l'enquête contre les crimes du franquisme. Un procès beaucoup plus médiatique et qui lui vaut le soutien d'une grande partie de la population et d'organisations non gouvernementales, telle Human Rights Watch.
La plateforme Solidaire avec Garzon, formée par des associations pour la "mémoire historique", les principaux partis politiques de gauche (dont le PSOE) et les syndicats, ainsi que des artistes espagnols de renom comme le réalisateur Pedro Almodovar ou l'écrivain Almudena Grandes, ont appelé à des rassemblements les 17, 24 et 31 janvier devant le Tribunal suprême.
"Démocrates, victimes du franquisme, défenseurs de la liberté et de l'Etat de droit, nous ne pouvons pas accepter avec indifférence la possibilité de sa condamnation, qui supposerait, écrit la plateforme, un coup irréparable et un énorme retour en arrière dans la consolidation de notre démocratie."
Sandrine Morel