LEMONDE.FR | 18.01.12 | 15h22
"Travaille, consomme et ferme ta gueule", peut-on lire sur la pancarte d'une militante qui occupe une agence Pôle Emploi de région parisienne mardi 17 janvier. LeMonde.fr
D'un pas sûr, Leïla Chaibi se dirige vers le Pôle emploi de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) ; à quelques mètres de l'entrée, elle dissimule hâtivement l'autocollant flanqué sur son manteau. Leïla Chaibi ne se rend pas à cette agence de la région parisienne pour chercher un travail, mais pour l'occuper. Sur l'autocollant qui pointe sous son écharpe : "Spécule ta mère" et le nom de son collectif, "L'Appel et la pioche". Par téléphone, on vient de lui donner la consigne de rester discrète avant que le reste du groupe n'arrive.
Comme elle, ils étaient une trentaine à envahir l'agence du Pôle emploi, après un appel lancé sur Internet. Parmi eux, militants et membres de différentes associations de précaires et de chômeurs qui souhaitaient rendre leur voix plus audible, mardi 17 janvier, à la veille du sommet pour l'emploi organisé par l'Elysée, et alors que le taux chômage s'établit à 9,3 %. Xavier Renou, porte-parole des Désobéissants et coordinateur de cette action, souhaitait rencontrer les salariés du Pôle emploi et dénoncer la politique de l'Agence : "On leur demande de radier du chômeur (...), on souhaite mettre la pression sur la direction pour changer la polititique de l'emploi." En Bretagne, trois agences ont été occupées, d'autres tentatives ont été observées à Lyon, à Nice, à Bordeaux, à Toulouse ou à Dunkerque.
"CASSER LA SOLITUDE DU CHÔMEUR"
Leïla Chaibi, cofondatrice de "L'Appel et la pioche" – un collectif qui organise des événements pour dénoncer la précarité "sur un mode festif", comme des pique-niques dans les supermarchés – vient de connaître une période de chômage avant de trouver un CDD de cinq mois, en faisant jouer ses réseaux. Le collectif rassemble une trentaine de personnes qui ont un profil similaire au sien, essentiellement des jeunes, raconte cette diplômée de l'IEP de Toulouse. "Ce qui est blessant, c'est que j'ai joué le jeu, je n'aurais jamais imaginé me retrouver dans la précarité (...). J'ai bientôt trente ans, et il est pourtant hors de question que je pense à avoir des enfants", déplore la jeune femme.
Pour Leïla Chaibi, de l'Appel et la pioche, il s'agit "de casser la solitude du chômeur".LeMonde.fr
Lorsqu'elle était au chômage, elle affirme n'avoir eu qu'un seul rendez-vous, en-deçà de la rencontre mensuelle avec un conseiller promise par le Pôle emploi et n'avoir reçu ses premières indemnités que deux mois et demi après son inscription. Avec un autre membre du collectif, Xavier Duchaussoy, trente-sept ans, au chômage depuis un an et demi, ils évoquent une paperasserie lourde et le sentiment de se sentir seuls "derrière le combiné". Pour le collectif, ce genre d'actions vise à "casser le sentiment de solitude du chômeur qui est dans un rapport individuel à Pôle emploi, alors que les salariés peuvent s'appuyer sur les syndicats, les collègues".
Les militants arrivent au Pôle emploi en ordre dispersé. Ils sont moins nombreux que prévu : d'autres associations de chômeurs – l'Association pour l'emploi, Agir contre le chômage et la précarité, le Mouvement national des chômeurs et précaires – ne sont pas de la partie. Ces associations demandaient à participer au sommet social de mercredi et ont été reçues mardi dans l'après-midi par le ministère de travail. Avec, selon les organisateurs, une cinquantaine de militants en moins, l'occupation est moins spectaculaire qu'escompté.
Mais lorsque les militants s'introduisent dans l'agence du Pôle emploi, les objectifs tout dehors des journalistes sont probablement plus nombreux que les militants, pour ce qui ressemble avant tout à une opération médiatique.
"A PÔLE EMPLOI, LES CONDITIONS DE TRAVAIL NE FONT QUE SE DÉGRADER"
Une grande bâche est jetée sur les ordinateurs destinés aux usagers, pour symboliquement épargner la contagion de la précarité. Les salariés n'ont pas été prévenus, l'occupation de ce Pôle emploi était une solution de repli et a été décidée dans la matinée. Des conseillères observent l'agitation, avant de regagner leur bureau, au premier étage de l'agence. "Il est où le bureau de la directrice ?", apostrophe un militant, "là-bas", indique une employée. "Très bien, on va l'occuper !", rétorque le militant. Cette conseillère a tenu à rester anonyme, devant, dit-elle "la censure de la direction". Tendue et visiblement émue, elle estime l'action "bien fondée", mais évoque surtout "des conditions de travail qui ne font que se dégrader".
Une grande bâche a été jetée sur des ordinateurs, pour endiguer la "contagion de la précarité". LeMonde.fr
Le Parisien révélait mardi "l'asphyxie" des agences : alors que la direction du Pôle emploi fait état de 115 demandeurs suivis par conseiller, la moyenne tournerait autour de 200, avec un record de 655 pour un conseiller de l'Essonne. Un regard furtif sur les militants, cette conseillère affirme devoir traiter 200 dossiers : "on a toujours de plus en plus de demandeurs d'emploi à suivre et très peu de temps pour les gérer". "Dans cette agence, des personnes peu qualifiées se présentent à nous, elles parlent mal français et les seuls postes qu'on peut leur proposer sont beaucoup trop exigeants," ajoute-t-elle agacée. "Et [au Pôle emploi], ils n'embauchent plus que des CDD de six mois", poursuit la conseillère en désigant deux collègues, retranchées dans un bureau sur la coursive.
Ces deux agents, qui ont aussi souhaité s'exprimer anonymement, terminent un CDD de sept mois, payé 1 200 euros net par mois. Sur leur contrat, figurait "embauche pour accroissement d'action", précise une des deux femmes. "On n'a reçu que cinq jours de formation, ce n'est pas assez", explique l'employée, qui affirme s'être formée "sur le tas". Les deux conseillères disent se sentir démunies face au public qu'elles rencontrent, "des gens désespérés".
"PERDUE, C'EST LE MOT"
La police est arrivée moins d'une heure après l'occupation de l'agence du Pôle Emploi.LeMonde.fr
En bas, l'ambiance s'agite : des policiers viennent de pénétrer dans le bâtiment. Après négociation avec les militants, ils acceptent de partir. D'autres, qui ne portent pas l'uniforme, restent, rapidement dénoncés par les "occupants" qui tentent d'organiser une assemblée générale. "Je ne suis pas des RG !", s'insurge un policier. "Vous avez quelque chose à cacher ?", questionne un autre, resté discrètement à l'arrière de l'assemblée générale après le départ de son collègue. Dans la confusion, les militants demandent tour à tour aux policiers de quitter les lieux, aux médias de ne pas filmer. Ils lancent alors leur discussion sur le fond : partage du temps de travail, répartition des richesses, obligation de l'embauche, et approuvent les messages en remuant la main vers le haut. "On n'est pas obligé de faire cette gesticulation à chaque fois !", conteste une militante.
Des demandeurs d'emploi, surpris par l'occupation, observent la réunion, espérant la reprise de l'activité du Pôle emploi. Certains sont venus pour soutenir l'occupation, après avoir repéré l'appel sur Internet. D'autres, comme Sonia Maazouz, 22 ans, ne s'attendait pas à rencontrer ces militants dans son agence, mais trouve cette occupation "normale". Au chômage depuis un an et demi et titulaire d'un BEP, elle cherche un emploi dans le domaine sanitaire et social. Elle est venue se réinscrire après un déménagement. "Je ne connais même pas le nom de mon conseiller", lâche la jeune femme.
Flora Genoux