| 18.01.12 | 14h51 • Mis à jour le 19.01.12 | 11h28
Alors qu'Athènes connaissait sa première journée de grève générale mardi 17 janvier 2012, la pauvreté et l'exclusion ne cessent de progresser - ici, le 22 décembre 2011, une distribution de nourriture à Athènes.AP/Petros Giannakouris
Athènes Correspondant - Dans un pays qui ne sait pas toujours à quel saint se vouer, même le métier de peintre d'icônes ne paie plus. Depuis septembre, Léon est à la rue. Comme nombre de sans-domicile-fixe (SDF), il a eu plusieurs vies. Ce Grec de Constantinople, élevé chez les Frères, qui lui ont appris un français châtié, a travaillé dans le tourisme, puis dans une entreprise d'export et de construction où il a gravi tous les échelons.
Au bout d'une vingtaine d'années, il est revenu à ses premières amours : les beaux-arts, qu'il a étudiés en Angleterre. C'est ainsi qu'il est devenu peintre d'icônes, en 1991. "J'avais beaucoup de commandes de particuliers, de magasins et des annexes des églises, où ils vendent les objets religieux. Je travaillais jusqu'à dix-sept heures par jour. A partir de 2009, ça a décliné. Et à l'été 2011, c'était la catastrophe. Je ne gagnais plus que 60 euros par mois. Le 30 septembre, je me suis retrouvé à la rue."
Il n'avait plus les moyens de payer son loyer : 280 euros pour un deux-pièces et 200 euros pour son atelier. Ses économies avaient été englouties dans les trois ans de grave maladie de sa mère, décédée en 2007.
Cet homme de 64 ans, aux cheveux blancs mi-longs et à la barbe grise, au profil de "pâtre grec" comme Georges Moustaki, se souvient de sa première nuit au Champ de Mars, un grand parc à côté du Musée archéologique. "J'avais l'impression d'être au camping. Je lisais beaucoup. J'ai eu de la chance : pendant un mois et demi, il n'a pas plu." Mi-novembre, son fils l'a orienté vers l'association Klimaka, une ONG qui intervient en faveur des SDF. "Ici on te donne ce dont tu as besoin", explique Léon avec gratitude.
Ils sont une dizaine à dormir dans cette maison peinte en rouge, jaune et vert, en échange de l'aide qu'ils apportent au foyer d'accueil où l'association propose aux sans-abri repas, vêtements, accès à l'ordinateur. Sofian, un Marocain clandestin de 23 ans, vient à Klimaka pour manger et retrouver un peu de chaleur dans l'hiver athénien. Il dort dehors, depuis cinq mois. "J'ai même fouillé dans les poubelles pour chercher à manger." En Grèce depuis deux ans, il faisait le ménage dans un bar, jusqu'au jour où son patron n'a plus pu le payer.
Léon, le peintre d'icônes, fait partie d'une nouvelle génération de sans-abri. "Il y a un changement de profil, explique Ada Alamanou, responsable de la communication de Klimaka. Ce sont des gens qui avaient un bon statut social et qui, en raison de la crise, se retrouvent à la rue. Ils ont perdu leur travail, n'ont plus de revenus, ni de soutiens familiaux. Ils ont un bon potentiel de réintégration, mais c'est difficile de trouver quelque chose avec la crise."
LA CLASSE MOYENNE TOUCHÉE
Mardi 17 janvier, Athènes connaissait sa première journée de grève générale, à la veille du retour de la "troïka" des bailleurs de fonds du pays - Fonds monétaire international, Banque centrale européenne, Commission européenne - dans la capitale grecque.
Ada Alamanou estime à 25 % la hausse du nombre de sans-abri, qui représentent 20 000 à 25 000 personnes dans le pays. "Aujourd'hui, la pauvreté touche une partie de la classe moyenne grecque, poursuit-elle. Les familles grecques restent solidaires, mais quand il y a deux personnes au chômage, cela devient difficile."
En 2010, quelque 27,7 % de la population grecque, soit 3 millions de personnes, vivaient au bord de la pauvreté ou de l'exclusion sociale, selon les chiffres de l'institut grec de statistiques Elstat. Mais les effets de la crise ont été plus profonds en 2011 et de nombreuses associations s'attendent à une forte aggravation, alors que l'activité s'est repliée d'environ 6 % et que le chômage affecte plus de 18 % de la population active.
L'Eglise orthodoxe fournit 10 000 repas quotidiens dans le seul périmètre de l'archevêché d'Athènes. Depuis trois ans que l'Eglise a généralisé cette distribution de repas, "la composition (du public) a changé", explique Vassi Leontari, directrice des programmes et de la coopération internationale à l'association caritative orthodoxe Apostoli : "La grande majorité était constituée d'immigrants, le plus souvent illégaux. Aujourd'hui, il y a de plus en plus de Grecs au chômage. On voit beaucoup de gens venir avec leurs enfants. Les liens familiaux sont très forts en Grèce, mais avec la crise, cela devient dur pour tout le monde."
Dans les quartiers déshérités du centre d'Athènes, près de la place Omonia, une foule bigarrée fait la queue devant le siège de l'association catholique Caritas, qui organise une soupe populaire tous les midis, en semaine. "Auparavant nous donnions à manger à 200 personnes. Aujourd'hui nous avons doublé et nous proposons plus de 300 repas pour les adultes et près d'une centaine pour les enfants, de plus en plus nombreux, explique Nikos Voutsinos, le président bénévole de ce centre. Depuis quelque temps, nous voyons même des Grecs, alors que nous sommes un centre pour les réfugiés."
Les besoins augmentent, mais "c'est plus dur pour la collecte des fonds et des vivres. Les entreprises nous donnent moins", explique Nikos Voutsinos. "C'est compensé par des dons individuels", estime Vassi Leontari, à Apostoli. En décembre, l'Eglise orthodoxe a lancé une campagne avec des supermarchés pour installer des caisses à la sortie des magasins, où les clients donnent une partie de leurs achats. C'est un succès.
Le premier ministre Lucas Papadémos est allé dans une soupe populaire le soir du 31 décembre, en compagnie du maire d'Athènes, Georges Kaminis, qui a tiré la sonnette d'alarme sur les sans-abri d'Athènes. "Nous avons plus de donations qu'il y a deux ans, explique Ada Alamanou. Les Grecs sont devenus sensibles à ce problème et ils font preuve d'une grande solidarité."
Alain Salles