53% de hausse en dix ans : le nombre de sociétés coopératives et participatives (Scop – anciennement « sociétés coopératives ouvrières de production ») et de sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) ne cesse de progresser en France. Appropriation du capital par les salariés, partage plus équitable des bénéfices, gouvernance participative, écarts de salaires limités, emplois pérennes… Le modèle coopératif replace l’humain au centre de l’entreprise. Il séduit aussi par sa capacité de résistance : selon l’Insee, 65% des Scop sont toujours debout cinq ans après leur création, contre seulement 50% pour l’ensemble des entreprises françaises.
Pourtant, avec moins de 3 000 entreprises coopératives, employant 51 000 salariés – sur 15 millions de salariés au total, des micro-entreprises aux grandes entreprises – les coopératives de production demeurent ultra-marginales dans l’économie hexagonale, dominée par la structure capitalistique classique, où les détenteurs du capital et non les salariés possèdent l’entreprise. Alors, comment sortir les Scop de l’ombre ?
Il y a cinq ans, dans un contexte où les fermetures d’usines se succédaient, la question s’est retrouvée au centre de la campagne présidentielle. « En 2012, il y avait des tas de conflits de reprise d’entreprise, et des menaces très fortes sur des sites industriels. Au meeting de Fralib (une usine de production de thé reprise par les salariés en grève, ndlr), quasiment tous les candidats de gauche s’étaient déplacés », se souvient Benoît Borrits, de l’association Autogestion. François Hollande est venu dès l’été 2011 apporter son soutien aux salariés de Fralib, licenciés par le géant Unilever et désireux de reprendre le site en Scop.
Six mois plus tard, sur le plateau de France 2, il promettait d’aider « jusqu’au bout » les couturières de Lejaby, tentées elles aussi par l’aventure coopérative [1]. Un positionnement qui annonçait le futur projet de loi de Benoît Hamon sur l’économie sociale et solidaire, voté deux ans plus tard. Le ton de cette campagne 2017 est radicalement différent. On ne s’affiche plus avec les salariés licenciés qui veulent sauver leur entreprise.
Que proposent les candidats à la présidentielle pour soutenir le mouvement coopératif ? Parmi les cinq « favoris » des sondages, seuls Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon abordent la question dans leur projet. Le candidat de la France insoumise remet sur la table une vieille doléance : l’instauration d’un droit de préemption des salariés en cas de cession de leur entreprise. La loi Hamon du 31 juillet 2014 avait accouché d’un droit d’information des salariés sur les possibilités de reprise de leur entreprise. Insuffisant, selon François Longérinas, en charge du dossier auprès du fondateur du Parti de gauche : « Il faut amender la loi car aujourd’hui les salariés ne sont pas prioritaires pour reprendre leur entreprise. Nous voulons qu’en cas de délocalisation il y ait un droit de véto suspensif qui dépasse le droit d’information. Il faut donner la priorité aux salariés sur tout investisseur. »
Chargée des questions d’économie sociale et solidaire (ESS) au PCF, Sylvie Mayer fait remarquer qu’un droit de préemption est déjà inscrit dans la loi Hamon. Mais seulement pour les coopératives de commerçants (Leclerc, Système U, Intersport…), bien différentes des coopératives de salariés. « Quand un membre de la coopérative vend son magasin, il a obligation de le présenter aux autres membres de la coopérative », explique-t-elle. De même, note Benoît Borrits, de l’association Autogestion, « le droit de préemption n’a rien de révolutionnaire. Il existe déjà dans le domaine de l’immobilier ou des terres agricoles. »
« Permettre aux salariés d’être prioritaires » en cas de cession de leur entreprise, Antoinette Guhl, soutien de Benoît Hamon y est « évidemment » favorable. Sans toutefois préciser comment le candidat socialiste compte s’y prendre. L’adjointe écologiste à la maire de Paris reconnaît que la loi de 2014 sur l’ESS mérite d’être complétée. Principale innovation de cette loi : la création du statut de « Scop d’amorçage », qui permet aux salariés de reprendre leur entreprise en Scop sans être majoritaire au capital. Mais cet outil s’applique surtout aux sociétés très capitalistiques.
Plus de deux ans après la promulgation de la loi, une seule Scop d’amorçage a vu le jour. On est encore loin du « changement d’échelle » que Benoît Hamon appelle de ses vœux. Pour créer 500 000 emplois dans l’ESS, l’ancien ministre compte mettre en place un « pacte d’intérêt général » entre l’État, les collectivités territoriales et les acteurs de l’économie sociale. Et débloquer un « programme d’investissement d’avenir » à destination des structures de l’ESS. Dans le même domaine chez les Insoumis, « on croit au financement hybride entre l’État et les banques coopératives. »
Qu’en dit Emmanuel Macron ? Rien, si l’on s’en tient à son programme rendu public le 2 mars. Pas un mot sur l’économie sociale et solidaire. « On n’a pas fini les rencontres avec l’ensemble des acteurs de l’ESS », justifie auprès de Basta ! Jean-Marc Borello, l’un des délégués nationaux d’En marche !, par ailleurs président du groupe SOS, poids lourd de l’ESS. « Ce sera sur notre site dans huit à dix jours. » En attendant que le candidat sans étiquette complète son programme, son délégué en esquisse les très grandes lignes : « Libérer les énergies, régler les problèmes de financement, faire en sorte que l’ensemble des aides (notamment le CICE) qui vont vers l’économie classique aillent vers l’ESS, trouver des dispositions qui favorisent l’emploi. »
Autres propositions : permettre aux coopératives de répondre aux appels d’offre et créer des « accélérateurs d’innovation sociale. » Interrogé sur le droit de préemption, Jean-Marc Borello botte en touche : « C’est une question qui concerne le droit des sociétés. Moi, je m’occupe de l’ESS. »
Au moment même où le programme du candidat d’En marche ! sortait de l’ombre, Marine Le Pen tenait une conférence à Paris sur le rôle de l’État dans l’économie. Une manière pour elle de masquer la faiblesse de ses propositions en matière de soutien à l’économie sociale. La candidate du « patriotisme économique » y exprime sa volonté qu’« un Français sur deux devienne actionnaire direct d’une entreprise française ». Son but : « Conclure une nouvelle alliance entre les Français et l’entreprise, entre le travail et le capital. » Dans son discours, Marine Le Pen affiche « un engagement résolu aux côtés [des] entreprises mutuelles et coopératives, pour que les parts sociales soient pleinement reconnues comme des fonds propres, pour qu’aucune distorsion ne vienne les pénaliser, de sorte qu’elles jouent pleinement leur rôle territorial, social et solidaire. » Objectif ultime : « la reconquête des territoires perdus de la France ! ».
Comment croire à ce discours après avoir lu le programme économique officiel de la candidate frontiste ? Baisse des taxes et des charges sociales sur les PME, remise en cause des institutions représentatives du personnel... On est bien loin de la démocratie d’entreprise défendu par le mouvement coopératif. Cadres et élus frontistes sont, d’autre part, très hostiles à l’économie sociale et solidaire (lire notre article : Quand le FN préfère le bon vieux capitalisme à l’économie sociale et solidaire, trop « branchée » à son goût).
L’appel du pied de Marine Le Pen aux acteurs de l’économie sociale se solde pour l’heure par un monologue. Doper l’actionnariat salarié ? La proposition du FN a pourtant de quoi séduire les défenseurs des coopératives. C’est d’ailleurs la principale mesure proposée par la Confédération générale des Scop (CG Scop) dans cette campagne présidentielle. Mais la lune de miel entre le FN et le mouvement coopératif n’est pas pour demain, tempère Patricia Lexcellent, déléguée générale de la Confédération : « Nous estimons que ce n’est pas tout à fait la même vision et les mêmes fondamentaux qu’il y a derrière certaines dispositions », résume-t-elle avec diplomatie.
Du côté de François Fillon, on semble croire au potentiel de l’ESS. Du moins si l’on s’en tient aux quelques lignes que l’ancien Premier ministre y consacre dans son projet. Il veut « permettre [son] essor » et « exploiter ce gisement d’emplois en lien avec la préservation de notre environnement et de notre qualité de vie ». Mais aussi « renforcer la coopération des pouvoirs publics avec le secteur de l’Economie sociale et solidaire ». Comment pense-t-il y parvenir ? On ne le saura pas, l’équipe de campagne du candidat des Républicains n’ayant pas trouvé le temps de répondre à nos questions. Seule certitude : aucune loi favorable à l’ESS n’a été votée durant les cinq années que François Fillon a passées à Matignon.
Quel que soit le prochain locataire de l’Élysée, des obstacles de taille devront être levés pour permettre le développement du secteur. Parmi eux, l’accord national interprofessionnel (ANI), signé en janvier 2013, qui empêche les salariés de contester un plan social. Symbole de la lutte contre les délocalisations, les ex-Fralib avaient fait annuler trois plans sociaux devant la justice avant de pouvoir créer leur Scop. « Ce ne serait plus possible aujourd’hui », estime Benoît Borrits. De même, la loi Florange, qui oblige les grandes entreprises à chercher un repreneur quand elles abandonnent un site de production, « n’a jamais été appliquée », regrette le co-animateur de l’association Autogestion.
Ces dernières années, nombre de PME ont mis la clé sous la porte malgré un projet de reprise en Scop économiquement viable. Dernier exemple en date : Ecopla, fabriquant de barquettes en aluminium dans l’Isère. « Ce n’est pas normal qu’ont ait mis à mort ce projet », s’insurge Sylvie Mayer. « Rembourser les créanciers est la seule chose qui intéresse les tribunaux de commerce. » Pour l’ancienne députée européenne, il faut changer la composition de ces « tribunaux du patronat », dont les membres sont choisis parmi des commerçants ou des dirigeants d’entreprises. Autre exemple emblématique : les Atelières, ex-Lejaby. En février 2015, elles ont dû jeter l’éponge par manque de soutien financier. Créée au début du quinquennat Hollande, « la Banque publique d’investissement (BPI) a refusé de financer la coopérative sous prétexte qu’elle ne faisait pas d’innovation », dénonce Sylvie Mayer. « Pourtant, elles faisaient bien de l’innovation sociale. »
Samy Archimède
Photo : Lancement de la coopérative Fralib en mai 2015 (lire notre reportage) / Jean de Peña / Collectif à-vif(s)