Qu’est-ce qu’être de gauche selon vous ? Y a-t-il encore du sens à se dire de gauche ? Comment voit-on la gauche du futur ? Quelles sont ses valeurs, ses idées, ses projets, ses défis ? #imagineLaGauche, c’est la série lancée par Basta !, pour comprendre, reconstruire, rêver, renouveler, mettre en débat… Salariés, chômeurs, retraités, étudiants, paysans, militants associatifs, syndicalistes, artistes, chercheurs, jeunes et moins jeunes, témoignent. Aujourd’hui, Émilie, 32 ans, éducatrice spécialisée à Caen.
Pour moi, être de gauche, c’est donner la priorité à la sécurité sociale. Mais ce n’est pas seulement la santé. Cette sécurité sociale devrait concerner tous nos besoins primaires : se nourrir, se loger, se soigner. Une partie de la population n’a pas accès à cette sécurité. Aujourd’hui, quand tu es pauvre, tu ne peux pas complètement te soigner les dents, par exemple. Les soins de base sont remboursés, mais pas le reste. S’il te manque une dent, tu n’as pas l’argent pour la remplacer. Or, tout ne doit pas être une question d’argent.
Être pauvre, c’est hyper stigmatisant. Il y a une honte d’être pauvre. D’ailleurs, on n’emploie quasiment plus ce terme, « être pauvre », même si un français sur sept vit en dessous du seuil de pauvreté. A cause de cette honte, certains ne font pas les démarches nécessaires pour réclamer les aides auxquelles ils ont droit. Ils ne prennent pas la parole dans leur conseil de quartier, ne se présentent pas à l’école de leurs enfants. Pourtant, la pauvreté n’est que la résultante de notre système économique, qui ne marche pas toujours. C’est lui qu’il faut réussir à modifier.
Accès aux droits et égalité devant la justice
La gauche doit porter des valeurs humanistes et anticapitalistes. Être de gauche, c’est défendre davantage l’égalité des citoyens, l’accès aux droits, l’égalité devant la justice. Dans mon travail, où l’on accueille des adolescents en souffrance, les familles qui viennent nous voir sont de tous les milieux sociaux, même protégés. La maltraitance, la souffrance psychologique, ne sont pas l’apanage des pauvres. Cela rappelle que les problèmes adviennent dans n’importe quel milieu social.
Face à ces difficultés, des structures médico-sociales tentent de favoriser l’égalité de chacun en aidant ceux qui rencontrent des difficultés. Mais faute de moyens ou à cause d’une mauvaise organisation, elles ne remplissent parfois pas bien leur mission. Par exemple, le parcours d’un enfant handicapé peut être très long avant d’obtenir les aides nécessaires ou une place en institution : le temps que la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) notifie une orientation et que cette orientation se mette en place, il faut parfois un ou deux ans. En attendant, cet enfant souffre dans le système « ordinaire ». Il est donc nécessaire de redonner des moyens à ces structures.
Voter pour une équipe, des idées, pas pour l’homme providentiel
Il faut aussi aider les personnes défavorisées à porter leurs voix auprès du pouvoir. Il est beaucoup plus facile de se faire entendre dans les instances où l’on peut s’exprimer, quand on a de l’instruction ou l’expérience sociale de parler en public. C’est quelque chose que la gauche doit défendre : la démocratie participative, les groupes d’expression de citoyens. Le défi est de faire venir toutes les classes sociales dans ces espaces de partage, et ensuite permettre à chacun de s’exprimer. Les techniques de l’éducation populaire sont très efficaces pour cela.
Il est urgent d’être créatif, d’inventer autre chose. Les solutions n’appartiennent pas qu’aux élus. Elles peuvent émerger des travailleurs, des étudiants, des syndicats, des associations. Ce sont eux qui les portent tout autant, et les élus doivent les écouter. Je crois beaucoup dans le pouvoir que les députés ont pour faire évoluer les lois. Je pense aussi qu’il faut en finir avec l’idée d’un homme providentiel : il est nécessaire d’avoir un coordinateur, un animateur, mais pas un monarque. Je préférerais voter pour une équipe, des idées, plus que pour un homme providentiel à l’ego surdimensionné.
Émilie, 32 ans, éducatrice spécialisée à Caen
Propos recueillis par Simon Gouin
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Source : http://www.bastamag.net