A une semaine du second tour de la présidentielle, aucun des deux candidats qualifiés ne peut se vanter d’une popularité à toute épreuve. Emmanuel Macron – dont 45% des électeurs du premier tour l’auraient choisi davantage pour ses chances d’être au second tour que pour son projet, selon une enquête OpinionWay – a eu beau demander aux citoyens, au soir du 23 avril, de lui accorder un «vote d’adhésion» (sans convaincre franchement les électeurs de gauche…), les appels à voter pour lui sont davantage destinés à bloquer le Front national qu’à lui accorder un blanc-seing. Marine Le Pen, elle, va chercher les voix avec les dents, multipliant les appels du pied aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon et promettant à Nicolas Dupont-Aignan (et ses 4,70%) d’en faire son Premier ministre.

Les forces politiques éliminées au premier tour, de La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon au parti Les Républicains de François Fillon, tablent de leur côté sur les législatives pour peser sur les décisions du quinquennat. Voire pour leur permettre de s’installer à Matignon. «Il faut battre Marine Le Pen et viser la cohabitation», estimait la semaine dernière Valérie Pécresse, présidente LR de la région Ile-de-France, dans une interview au Figaro. «Je suis prêt à gouverner ce pays si nous conquérons la majorité» aux élections de juin, répondait Jean-Luc Mélenchon sur TF1 dimanche. La cohabitation, si décriée les trois fois où elle a eu lieu – de 1986 à 1988 (Mitterrand, Chirac), de 1993 à 1995 (Mitterrand, Balladur) et de 1997 à 2002 (Chirac, Jospin) –, serait-elle désormais vue comme la solution ultime pour limiter le pouvoir du président ? Mais s’il doit composer avec un chef de gouvernement (lequel «détermine et conduit la politique de la nation» selon l’article 20 de la Constitution) qui n’est pas de sa couleur politique, le président de la République conserve néanmoins des prérogatives propres.

Ce qui est compliqué

Le président de la République nomme le Premier ministre et, sur proposition de celui-ci, les membres du gouvernement (article 8). Le choix du Premier ministre doit être, in fine, validé par l’Assemblée nationale, qui, grâce à l’article 49.2, peut décider de soumettre une motion de censure (à l’initiative d’au moins un dixième de ses membres). Si elle est votée, elle conduit à la démission du gouvernement. 

Si à l’issue des législatives de juin le président élu n’obtient pas de majorité claire à l’Assemblée et que l’opposition (de droite ou de gauche) parvient à en obtenir une, une cohabitation pourrait avoir lieu. Le chef de l’Etat ne pourrait donc pas appliquer réellement son programme. Imaginons un Jean-Luc Mélenchon (qui a obtenu 19,58% des voix) Premier ministre d’Emmanuel Macron : on imagine sans mal à quel point la situation pourrait être tendue, et les programmes de l’un comme de l’autre difficilement appliqués.

Des pouvoirs partagés

Si le président est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire (article 62) et qu’il a le pouvoir de nomination pour un certain nombre de hautes fonctions, il existe des garde-fous qui évitent de concentrer trop de pouvoir dans les mêmes mains. Il ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui donne son avis sur les nominations des magistrats du parquet. Mais le président n'est pas obligé de suivre cet avis (rien ne l’y oblige formellement). Enfin, il est le chef des armées mais c’est le gouvernement qui «dispose de la force armée». En cas de cohabitation, ce pouvoir est donc partagé.

Par ailleurs, tout un tas de décisions du président doivent être contresignées par le Premier ministre, et, le cas échéant, par le ou les ministres responsables des sujets traités, rappelle le site de l’Elysée. Le président dispose du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire qu’il signe les décrets et les ordonnances en Conseil des ministres (article 13), mais c’est le Premier ministre qui exerce le pouvoir réglementaire de droit commun. Le chef de l'Etat nomme en outre aux emplois civils et militaires de l'Etat mais, là encore, au sein du Conseil des ministres. C'est aussi le président qui convoque, le cas échéant, le Parlement en session extraordinaire, mais sur la demande du gouvernement ou d’au moins la moitié des députés…

Ce que le président peut faire seul

On l’a dit, le président dispose néanmoins de ses propres prérogatives. C’est lui (ou elle) qui nomme trois des membres du Conseil constitutionnel, dont son président, qu’il peut saisir à tout moment. Il peut également s’exprimer devant tous les députés et sénateurs, réunis en Congrès à Versailles, préside le Conseil des ministres ainsi que les conseils et comités supérieurs de la Défense. Il dispose également du pouvoir nucléaire. C’est aussi le président qui promulgue les lois, pour lesquelles il peut demander une deuxième délibération (article 10). On se souvient par exemple de la loi instaurant le contrat première embauche (CPE), portée par Dominique de Villepin en 2006, que Jacques Chirac avait hésité à promulguer quand bien même le Parlement l’avait votée (il l’avait finalement promulguée en demandant des modifications ultérieures).

Le président a aussi le pouvoir de convoquer les électeurs aux urnes pour un référendum «portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions» (article 11), qui se décide néanmoins sur proposition du gouvernement, ou des deux assemblées (Sénat et Assemblée nationale). En cas de référendum législatif, il n’a pas besoin du contreseing du Premier ministre (en cas de référendum constituant, si).

Il peut également dissoudre une fois par an l’Assemblée nationale (article 12) après consultation de son Premier ministre et des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale (in fine, la décision lui revient). Le président de la République dispose aussi du droit de gracier des prisonniers, individuellement. C’est aussi lui qui négocie et ratifie les traités, et qui est l’interlocuteur des autres Etats, pour lesquels il nomme des ambassadeurs (article 14).

Enfin, et c’est l’article le plus souvent cité par ceux qui craignent une victoire de Marine Le Pen, l’article 16 lui donne la possibilité, en cas de crise majeure, de s’accorder des pouvoirs exceptionnels, lesquels ne sont pas illimités mais peu contrôlés. «Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la Nation par un message», dispose la Constitution de 1958.

Qui, si elle précise que «ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet», ne détermine pas clairement de moyens de contrôler l’usage qu’en fait le président. Un garde-fou tout de même : le Parlement se réunit alors de plein droit, et sa chambre basse ne peut être dissoute. Les présidents des deux assemblées, ou 60 élus (sénateurs ou députés) peuvent également, au bout d’un mois, saisir le Conseil constitutionnel qui remet un avis public sur l’opportunité pour le président de s’être arrogé des pouvoirs exceptionnels. Cet avis, il le remet également, en s’autosaisissant, au bout de deux mois. Ces pouvoirs exceptionnels n’ont été déclarés qu’une fois. C’était en 1961, après le putsch militaire en Algérie.

Kim Hullot-Guiot

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