Mardi 28 août, au tribunal d'Evry, les juges devaient déterminer si l'agence foncière et technique de la région parisienne, propriétaire d'un terrain situé à la frontière entre Evry et Courcouronnes, dans l'Essonne, était autorisée à en expulser les familles roms qui l'occupent illégalement depuis quelques mois. Mais l'agence publique a finalement choisi d'abandonner les poursuites, rapporte Serge Guichard, président de l'Association de solidarité de l'Essonne avec les familles roumaines roms (Asefrr), qui a suivi l'audience. "Ce qui signifie qu'il n'y a pas de décision de justice d'expulser", interprète-t-il.
Le jugement, toutefois, n'était pas d'ordre à bousculer le cours des choses. Car les Roms en question – plus de 70 personnes en provenance de Roumanie – avaient déjà été évacués, la veille à l'aube, dudit terrain. Et ce du fait d'un arrêté du socialiste Francis Chouat, successeur de Manuel Valls à la mairie d'Evry – lui qui, devenu ministre de l'intérieur, est monté au créneau pour défendre les démantèlements de camps roms qui se sont multipliés au mois d'août.
Cette décision du maire, prise une poignée de jours avant la procédure de justice, n'a pas manqué d'interloquer les associations de défense des droits des Roms. Les deux démarches sont pourtant indépendantes, assure M. Chouat, qui renvoie à la ligne définie par le premier ministre : les expulsions sont légitimes, a dit M. Ayrault, "dès lors qu'elles interviennent en application d'une décision de justice ou pour mettre fin à une situation de danger ou de risque sanitaire".
Sa décision relève donc du second cas : il évoque "des conditions sanitaires déplorables", "des risques d'incendie", et un terrain "dangereux", car "en surplomb des voies du RER D ". Mais pas seulement : "Je connais les conséquences, quand on laisse se développer ces campements trop longtemps. Ils deviennent de véritables bidonvilles, indignes de la population et des riverains, dans lesquels se développent toutes sortes de trafics, des actes de délinquance, et sans doute de la prostitution. Cela devient inextricable", s'exclame-t-il.
DU BIDONVILLE À LA RUE
A l'ombre d'un bosquet derrière des tours, séparé des voies ferrées par un talus et un grillage, le terrain choisi par les Roms était en tout cas bien caché, au bout d'un sentier qui file entre les broussailles. Pour Serge Guichard, "c'était loin d'être le pire bidonville de la région, il était entretenu. Et si on se soucie tant de la santé de ces familles, pourquoi ne jamais avoir installé de toilettes chimiques ni de point d'eau, ni mené de suivi sanitaire ? C'est nous qui avons fait vacciner les enfants, et on n'a jamais réussi à les rescolariser à Evry", dit le militant.
Quoi qu'il en soit, le bidonville, aujourd'hui, n'est plus. Mircea et Angelo, revenus chercher des scies et autres affaires qui ont échappé à la pelleteuse, regardent bras croisés ce qu'il en reste – un amas de planches, baches en plastique et matelas, d'où émergent ici et là un morceau de dentelle, un nounours. Ou encore, sur la terre poussiéreuse, un reste de feu de camp, quelques oignons, des jouets cassés. "Il y avait deux cabanes par là, montre Angelo, en traçant dans le vide un vague plan du campement. On aimait bien ici, poursuit-il. On ne faisait pas de ferraille, moi je suis musicien, je joue de l'accordéon, dans le métro, et on vend des journaux. Pour 30 à 40 euros par jour."
Depuis le démantèlement du camp, à 6 heures du matin, plusieurs familles demeuraient dans la rue lundi, face à l'imposante mairie de la préfecture de l'Essonne. "On n'a pas eu le temps de ramasser toutes nos affaires, je n'ai pas de couches, ni de thermomètre, ni de lait", se plaint une mère, alors que son enfant, boucles blondes et yeux clairs, se tortille sur ses genoux. Une fillette tente vainement de négocier avec un policier d'aller se rafraîchir dans les fontaines qui arrosent le parvis de la mairie écrasé de soleil, comme les autres enfants. C'est non. "Le parvis des Droits de l'homme est interdit aux Roms ", lance Michel Guimard, président de la fédération départementale de la Ligue des droits de l'homme, qui se souvient avoir inauguré cette place avec François Mitterrand dans les années 1980. "L'esprit socialiste a drôlement changé", dit-il.
LA VALSE DES EXPULSIONS
La quinzaine de familles qui occupaient le terrain d'Evry étaient arrivées au mois de mai dans la ville, y rejoignant quelques compatriotes qui y avaient construit les premiers baraquements. Elles avaient été expulsées d'un squat dans une ancienne gendarmerie à Viry-Châtillon, une ville voisine. C'était au mois de janvier, alors que la vague de froid commençait à transpercer la France et l'Europe. Femmes, hommes et enfants avaient donc été hébergés dans des hôtels sociaux. "Mais les hôtels, ça ne va pas, explique une mère de famille. Il n'y a pas de cuisine, on ne peut pas faire à manger aux enfants."
"Le problème, avec ces hébergements, c'est que les familles sont dispersées. Alors que le camp permet de créer du lien social, de s'entraider, d'être soutenu par les associations, renchérit Serge Guichard. Et ils sont trimballés d'hôtel en hôtel, c'est instable. Or ils doivent connaître la région, pour repérer les points de mendicité, se faire un réseau chez les artisans du coin qui leur donnent du travail dans le bâtiment, l'agriculture, l'entretien..." "Le camp leur permet aussi de rester au même endroit pour scolariser les enfants. Ils allaient à l'école à Viry, note Nicole Brulais, militante dans la même association. Il fallait voir la petite Rebecca, ce matin, partir fièrement, avec son cartable tout neuf."
Relogées en janvier, donc, les familles ont dû retourner à la rue trois mois plus tard, faute de place, avant de trouver ce nouveau terrain. C'est pourquoi ce lundi, lassées par la valse des expulsions et des déplacements, nombre d'entre elles ont refusé la proposition du maire d'Evry, qui assure avoir offert un hébergement pour chacun des Roms expulsés (ce que dément l'Asefrr). Selon M. Chouat, les places étaient dispersées entre plusieurs départements – Essonne, Val-de-Marne, Paris, Seine-Saint-Denis –, et garanties pour huit jours minimum. Après... "On ne sait pas. Même ce soir, on ne sait pas où on dort, dit Virgil, qui porte son garçon de 5 ans, Renaldo, né à Saint-Denis dans le 93. Nous, on demande juste un terrain, avec de l'eau et l'électricité. On peut payer pour ça", dit-il.