L'Islande a été frappée, en octobre 2008, par une tempête financière de grande ampleur. Le secteur bancaire, dont le bilan était dix fois supérieur à celui du produit intérieur brut du pays, s'est effondré.
Du jour au lendemain, la couronne islandaise a perdu de 50 % à 60 % de sa valeur. Quelques mois plus tard, le taux d'inflation se situait entre 20 % et 30 %. Le marché des actions et celui de l'immobilier se sont écroulés, avec une chute des prix réels d'environ 25 % dans le même temps.
De nombreux ménages et la plupart des entreprises détenaient de la dette en devises. L'emprunt hypothécaire en monnaie locale étant alors (et toujours) indexé sur les prix à la consommation, lorsque la valeur des actifs (actions, logements) en monnaie locale et en devises s'est effondrée, la valeur des prêts en monnaie locale est montée en flèche.
Cela a causé des ravages sur les bilans de la plupart des entreprises et de nombreux ménages. Beaucoup ont vu leur capital se volatiliser. Début 2009, il était évident qu'entre 80 % et 90 % des entreprises islandaises, dont certains fleurons de notre économie, auraient dû se déclarer en faillite. De 25 % à 30 % des ménages étaient dans la même situation.
En temps normal, la faillite d'une entreprise n'est pas une tragédie nationale. Au contraire, les faillites permettent d'éliminer les sociétés non performantes et de transférer les actifs productifs des entreprises peu rentables à celles qui le sont. C'est donc plutôt la preuve d'une économie saine et fonctionnelle. Mais un enchaînement de faillites est un désastre. Il est impossible qu'entre 80 % et 90 % de l'activité privée puissent brusquement mettre la clé sous la porte.
TRAUMATISANT
De même, dans des circonstances normales, un ménage qui détient des actifs immobiliers excédant ses capacités de remboursement de crédit doit accepter de réduire la voilure et de trouver une solution moins coûteuse à ses besoins en matière de logement. Le processus peut s'avérer traumatisant pour la famille concernée, mais il ne cause aucun tort à l'économie nationale.
Mais que se passe-t-il lorsque plus de 20 % des ménages endettés se retrouvent soudain dans l'incapacité de rembourser ? Est-ce productif pour le créancier d'expulser en masse les gens de leur logement ? Comment les banques rentabiliseraient-elles les propriétés qu'elles auront ainsi acquises ? En les vendant à des gens qui viennent de se faire expulser de chez eux par une autre banque ?
Le plus probable est que la maison restera inoccupée, pendant que les taxes immobilières et les factures seront portées à la charge du propriétaire de la dette, c'est-à-dire la banque !
Après son effondrement, le système bancaire islandais a été réorganisé avec la création de trois banques de réseaux, d'une banque immobilière publique et de quelques petits établissements d'épargne et de prêt.
Vu ce nombre limité d'acteurs, il était évident que le secteur financier connaîtrait à nouveau le même sort si toutes les entreprises en difficulté étaient contraintes à la faillite et si toutes les familles endettées étaient expulsées de leur logement.
AMBITIEUX PROGRAMME D'ALLÉGEMENT DE LA DETTE
Mais le secteur financier, le gouvernement et la fédération des entreprises sont tombés d'accord sur un ambitieux programme d'allégement de la dette, dont les principaux éléments étaient les suivants :
1) les dettes des ménages excédant 110 % de la valeur de marché de leur logement ont été automatiquement effacées. Les familles incapables de rembourser un emprunt jusqu'à 110 % de cette valeur ont pu demander des mesures d'allégement calculées en fonction de leurs futures possibilités de revenu ;
2) les ménages à faibles revenus et détenant peu d'actifs qui avaient souscrit des emprunts à taux élevé ont bénéficié d'une aide publique temporaire ;
3) les PME ont eu la possibilité de demander un allégement de leur dette à condition qu'elles puissent prouver de façon crédible que leurs activités futures généreraient un apport de liquidités, qu'elles étaient prêtes à vendre leurs actifs non productifs et réorganiser leurs opérations de façon à utiliser au mieux leurs actifs existants. Si elles répondaient à ces conditions, elles étaient en droit d'attendre que leur dette soit ajustée à la valeur actualisée de leurs recettes futures.
Dans tous ces cas, la valeur des prêts a été ramenée au montant que les établissements financiers pouvaient, dans le meilleur des cas, espérer retirer en s'appropriant les actifs et en réalisant leur valeur monétaire. Aussi les programmes d'allégement de la dette n'ont-ils pas créé de capital supplémentaire, ni dans les bilans des entreprises ni chez les ménages.
CONTESTATIONS JURIDIQUES
La Cour suprême a aussi déclaré illégales certaines formes de prêts indexés sur des devises étrangères. Le gouvernement est intervenu et a étendu la décision de la Cour à tous les prêts en devises consentis aux ménages. Mais, sur ce point, des contestations juridiques n'ont toujours pas été réglées.
Le programme d'allégement de la dette était vaste, mais pas exhaustif. Le gouvernement a eu du mal à l'étendre à tous les ménages qui auraient pu en bénéficier. Mais, avec le secteur financier et les entreprises, il a créé une situation qui procure au secteur financier un aussi bon résultat que possible en termes de récupération de ses créances, tout en évitant la douleur d'avoir à précipiter la plupart des entreprises islandaises et de nombreuses familles dans la faillite, le chômage, les ennuis judiciaires, etc. En retour, l'économie est revenue sur le chemin de la croissance et le chômage est resté faible.
Les citoyens islandais sont certes furieux à l'égard de leur gouvernement qu'ils accusent de ne jamais rien faire d'utile. Ils le sont également contre leurs banques, dont ils estiment qu'elles ont été les premières responsables des difficultés qu'ils ont eues à affronter. Mais ils ont un emploi, ils paient leurs impôts et leur taxe immobilière, ils remboursent leur dette allégée, ils prévoient d'acheter une nouvelle voiture d'ici deux ans et peut-être de partir en vacances l'année prochaine.
Leurs familles ne sont pas dispersées, ils mènent leur vie et ils ont de l'espoir.
Pourquoi ceux qui sont au pouvoir en Espagne, en Grèce et au Portugal ne se penchent-ils pas sur l'exemple islandais afin d'en appliquer les aspects utiles dans leur propre pays ? Quels bienfaits peut-on espérer de la misère à laquelle on condamne les populations innocentes ?
(Traduit de l'anglais par Gilles Berton)