Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Le 27 octobre, à l’occasion de la journée parlementaire du Parti de la gauche européenne, des députés de 14 pays ont fait le déplacement à Paris. Parmi eux, une délégation de Syriza, le parti grec de gauche radicale. Zoe Constantopoulou est avocate et députée d’Athènes. Au siège du Parti communiste, place du Colonel-Fabien, elle est revenue pour le Labo grec sur l’action politique de Syriza.
Faisons un petit bilan sur l’action de Syriza, un parti qui faisait moins de 5% en 2009 et qui est aujourd’hui la deuxième force politique en Grèce. Les derniers sondages vous créditent de 30% d’intentions de vote devant Nouvelle Démocratie. Quel bilan faites-vous de ces quatre derniers mois ?
Ces quatre derniers mois ont été très fructueux, très pédagogiques pour nous en tant que force politique revendiquant la responsabilité de gouverner un pays attaqué par des politiques d’austérité inhumaines. Depuis juin 2012, nous avons essayé de mettre en œuvre une stratégie de résistance sociale et démocratique au sein du Parlement mais également au sein de la société.
Nous sommes actuellement en train de créer des réseaux de solidarité pour aider les citoyens à survivre, parce que ce qu’expérimente le peuple grec est une crise humanitaire, une attaque à notre propre existence. Nous avons mis en œuvre ces réseaux de solidarité, qui s’appellent « solidarité pour tous ». C’est un projet soutenu par les parlementaires de Syriza qui offrent 20% de leurs rémunérations pour permettre sa réalisation. L’idée n’est pas de faire de ce réseau une branche de Syriza, mais plutôt d’incorporer, d’intégrer tous les mouvements et initiatives de solidarité de toute la Grèce.
J’ai aussi parlé de résistance démocratique, je pourrais faire allusion à une résistance constitutionnelle. Ce qui se réalise ces quatre derniers mois, c’est une attaque à la démocratie, aux droits démocratiques et constitutionnels, aux droits de l’homme de la part d’un gouvernement qui ne réalise même pas ses déclarations initiales, les promesses électorales que tenaient les trois partis qui soutiennent le gouvernement. Ils n’écoutent pas la société qui crie, mais seulement les fonctionnaires de la troïka, c’est-à-dire des employés d’organismes internationaux, qui ne sont pas élus et qui n’ont aucune responsabilité et aucun pouvoir démocratique qui les légitimerait à dicter à un pays et à son peuple ce qu’il faut faire.
La résistance démocratique se réalise à travers une forte opposition à des lois qui arrivent au Parlement au dernier moment, sans être discutées par les députés, et sans que personne ne sache de quoi il s’agit. Nous avons réussi à obliger le gouvernement de retirer quatre lois en demandant l’enregistrement des votes. Par peur que les députés ne votent pas ces lois, elles ont été retirées.
Enfin, on effectue une politique de transparence, d’appui et de soutien à toute procédure de transparence parce qu’un des plus gros problèmes de la Grèce comme de toute l’Europe c’est la corruption. Notre peuple a été surendetté par des gouvernements qui ne servaient pas l’intérêt général mais des intérêts privés. En ce moment en Grèce, il y a deux grandes révélations, l’affaire Siemens, et la fameuse liste Lagarde.
Vous avez dénoncé de manière très violente la non-utilisation officielle de cette liste…
Oui, elle avait été transmise par Christine Lagarde - à l’époque ministre française de l'Economie - à l’ancien ministre des finances grec, M. Papaconstantinou, le ministre des finances du gouvernement Papandréou. Aussi connue comme liste Falciani, elle recense des grands dépôts d’argent à la banque suisse HSBC réalisés par des citoyens grecs qui n’ont jamais été contrôlés. Cette liste a été transmise dans le but de réaliser des contrôles sur ces dépôts, et de les taxer.
Mais rien n’a été fait…
Le mois passé, il a été révélé que deux anciens ministres des Finances et deux anciens dirigeants de l’Agence de contrôle de l’évasion fiscale avaient cette liste à leur disposition et dans leurs bureaux, mais l’ont gardée pour eux-mêmes. Le plus grave, c’est que le dernier des ministres des Finances du gouvernement Papadémos, M. Venizélos, le dirigeant actuel du Parti socialiste, et actuellement au gouvernement, n’a rien dit de cette liste alors que Syriza posait comme un des enjeux principaux du débat public la taxation de tels dépôts. Cette question a été posée par Syriza, au centre du débat électoral pendant les dernières élections, et le Pasok et son dirigeant n’ont toujours rien dit et rien fait pour l’ utilisation officielle de cette liste, qui pourrait conduire à l’ encaissement de larges sommes en taxes, des sommes qui sont maintenant demandées par des citoyens épuisés par un système de taxation extrêmement inégal. C’est un problème politique et démocratique très grave, cela avère la corruption qui règne en Grèce.
Un autre aspect de cette corruption, c’est l’affaire Siemens. Le gouvernement actuel tente de légitimer ex post facto un accord avec Siemens, qui avait été préparé par le gouvernement précédent et par M. Venizélos, une nouvelle fois. Le gouvernement souhaite donner une amnistie à Siemens pour toute la corruption avérée entre Siemens et les deux partis qui ont gouverné la Grèce pendant 38 ans. Il avait en effet été prouvé dans les années 2000 que les deux partis recevaient de l’argent sous la table par Siemens pour conclure des contrats de l’Etat grec avec Siemens. C’est un très grand problème et c’est aussi un aspect très important du surendettement de notre pays.
Vous avez parlé des promesses non tenues de M. Samaras, qui veut aujourd’hui (NDLR : le dernier plan n’avait pas encore été voté par le Parlement au moment de l’interview) faire passer de nouvelles mesures d’austérité visant à économiser 11.5 milliards d’euros. La contestation sociale est très forte, et une nouvelle manifestation est prévue le 14 novembre. On a un peu l’impression que cette austérité ne prend jamais fin, puisqu’elle est à chaque fois justifiée par la réception de nouvelles doses du plan de sauvetage. Quel projet alternatif mettez-vous en avant à Syriza pour enrayer cette machine infernale ?
Il est évident, même pour un enfant, que cette politique a échoué. C’est une politique assassine, qui tue les grecs. On a eu, en deux ans et demi, presque 3000 suicides et tentatives de suicide. On a en ce moment sur une population active de 5 millions de grecs, 1 million et demi de chômeurs. Le chômage en Grèce est à 25%, et à 55% pour les jeunes. Les hôpitaux n’ont plus de médicaments. Les écoles n’ont ni chauffage ni livres, des élèves s’évanouissent chaque jour…
Et nous avons un gouvernement qui insiste pour appliquer cette politique criminelle. Ayant volé le vote des électeurs par des promesses de changement de politique, de négociation du mémorandum, ils mettent en place une politique encore plus austère, encore plus cruelle. On ne parle plus de 11.5 milliards d’économies mais de 13.5 milliards, et il parait que ce chiffre va encore augmenter ! On assiste donc à un durcissement des mesures qui traduit un échec total du gouvernement de proposer, même pas de négocier, des mesures d’aide pour le peuple grec. Ils disent qu’il faut d’abord appliquer les mesures et après négocier. Cela se traduit par la volonté de vraiment tuer la société grecque avant de demander la moindre mesure de justice sociale.
Le chantage de la dose est une pratique expérimentée huit fois dans le passé. A chaque fois, il y a extorsion : ou bien on prend les mesures pour recevoir les doses, ou bien on meurt. Alors qu’on meurt à cause de ces politiques, et à cause de ces doses fatales qui ne sont jamais données au peuple, mais qui reviennent toujours aux créanciers.
Que proposez-vous alors ?
Il est catastrophique de continuer à appliquer cette politique. Il est indispensable de cesser ce cercle vicieux. Il faut dire clairement à nos créanciers et aux gouvernants européens que ce plan ne marche pas, qu’on ne peut pas payer dans ces conditions. On est dans un pays qui termine sa cinquième année de récession et il est inconcevable de demander aux gens ce qu’ils n’ont pas.
Il faut donc appliquer une nouvelle politique de « défense sociale » je dirais, une politique qui soulagera le peuple, qui va prévoir le contrôle logistique de cette fameuse dette, parce qu’en prenant en compte que tous nos prêts ont été contractés avec des taux d’intérêt énormes, la vérité est que nous avons payé et repayé notre dette. Il faut donc un contrôle logistique. Nous proposons que ce soit un comité européen et international qui fasse ce contrôle.
Il faut absolument prévoir l’effacement d’une grande partie de la dette, et invoquer un moratoire des paiements, parce qu’il n’est plus possible de payer, cela se fait au détriment des vies humaines. Enfin, il faut appliquer une clause de croissance, c’est-à-dire ne pas obliger la Grèce de payer jusqu’à ce qu’il y ait croissance.
Ce que nous proposons n’a rien d’original, c’est ce qui a été fait pour l’Allemagne en 1953. La Grèce, qui était dans l’alliance des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, a donné à l’Allemagne cette opportunité. Il n’est plus question d’épuiser tout un peuple, de demander ce qui n’est pas possible.
Vous avez dit tout à l’heure que les mesures étaient assassines pour le peuple grec. Cela prend parfois des formes très concrètes. Cela est visible par la multiplication des actes politiques violents, liée de près ou de loin à la montée de l’Aube dorée à 14% dans les sondages, un parti qui a l’air d’avoir pris une place très importante dans l’espace public. Quelles solutions préconisez-vous face à ce problème ?
La montée de l’Aube dorée était tout à fait prévisible à cause de la crise, et à cause du fait qu’il n’y ait eu aucune mesure de protection sociale. Les deux anciens grands partis, Nouvelle démocratie et Pasok, qui sont actuellement au gouvernement, ont choisi d’appuyer leurs campagnes électorales sur des slogans et des rhétoriques racistes et xénophobes. Cela a eu pour résultat la montée de l’Aube dorée.
Nous avons donc pour résultat honteux 19 députés de l’Aube dorée au Parlement. C’est un échec de la démocratie, d’autant plus que le Conseil d’Etat devrait avoir refusé que l’Aube dorée puisse candidater aux élections en tant que parti politique. Notre constitution dit très clairement que les partis doivent promouvoir la démocratie par leur organisation et par leur fonctionnement. L’Aube dorée est connue pour des attaques criminelles contre des immigrés, des homosexuels, des individus qu’elle classe comme « ennemis
politiques ». C’est un bilan connu de tous, c’est un échec de la démocratie que cette organisation criminelle se présente aujourd’hui en tant que parti politique.
Que faire ? C’est la question la plus aigüe, d’autant plus qu’on s’aperçoit qu’une grande partie de la population soutient l’Aube dorée pour des raisons économiques. Il faut vraiment remplir les espaces vides de solidarité, être présents dans les réseaux de solidarité et il faut également démontrer que cette organisation criminelle est une organisation néo-nazie, qui a pour but l’attaque à la démocratie.
C’est une étape assez compliquée et difficile d’autant plus que l’Aube dorée choisit de masquer son organisation et son fonctionnement par une rhétorique anti-austérité, anti-mémorandum. Il faut vraiment décrypter pour les gens ce qu’est vraiment l’Aube dorée et en même temps remplir les espaces politiques.
On a beaucoup parlé en France de l’opération Xenios Zeus lancée par Nikos Dendias qui a consisté en l’arrestation de milliers d’immigrés dans toute la Grèce. Que pensez-vous de l’action du gouvernement actuel contre l’Aube dorée ?
Je l’ai dit précédemment, je pense que les politiques choisies par le gouvernement promeuvent l’Aube dorée. La politique de notre ministre de l’Ordre public et de protection des citoyens est une politique raciste. On ne peut pas baptiser une opération de pogrom« Zeus l’hospitalier ». C’est un humour noir très cynique et très raciste. Ce n’est pas par des politiques pareilles qu’on va combattre l’Aube dorée.
On a l’impression que le gouvernement actuel a beaucoup de mal à boucler le nouveau paquet de mesures à cause de dissensions internes. Combien de temps donnez-vous à ce gouvernement ?
Ce gouvernement ne va pas tenir. Ils ont conscience eux même qu’ils ne pourront pas tenir. Ils n’ont aucun soutien social, aucune légitimité démocratique, puisqu’ils ont été élus sur un autre programme que celui qu’ils appliquent. Je pense donc que c’est une question de temps pour qu’ils tombent du pouvoir. Ce qui est inquiétant, c’est qu’ils ont l’air déterminés de passer ces nouvelles mesures avant de quitter le pouvoir. C’est une situation très préoccupante.
Propos recueillis par Mehdi Zaaf.
Article paru sur le Labo Grec