LEMONDE.FR | 03.01.12 | 17h29 • Mis à jour le 04.01.12 | 08h02
Youssou Ndour, lors de l'inauguration de sa chaîne de télévision TFM, à Dakar, en septembre 2010. Le chanteur a obtenu l'autorisation d'ouverture après une longue lutte avec la présidence sénégalaise.ASSOCIATED PRESS/Charlie Neibergall
Vedette musicale planétaire, homme d'affaires, et depuis lundi 2 janvier au soir, candidat à la présidentielle de son pays, le Sénégal : Youssou Ndour cumule les fonctions et pèsera, par son immense popularité, sur le scrutin du 26 février, lors duquel le président Abdoulaye Wade vise un troisième mandat.
Le chanteur a annoncé son intention de se présenter à l'antenne de sa radio et devant les caméras de sa chaîne de télévision (RFM et TFM). Tentant de s'affirmer en homme de la rupture et en candidat crédible malgré son inexpérience, Youssou Ndour déclarait lundi : "C'est vrai, je n'ai pas fait d'études supérieures, mais la présidence est une fonction et non un métier. (...) A l'école du monde, j'ai appris, j'ai beaucoup appris. Le voyage instruit autant que les livres."
Depuis 2010, il s'était engagé de plus en plus intensivement en politique, organisant un mouvement citoyen, Fekkee ma ci boolé, ce qui signifie "Je suis là, donc j'en fais partie", en wolof. Youssou Ndour devait bientôt annoncer son soutien à un candidat, parmi la vingtaine de personnalités qui se sont déclarés et doivent être approuvées par le Conseil constitutionnel fin janvier. Il s'est finalement choisi lui-même.
"SELF-MADE MAN"
Le chanteur de 52 ans, issu d'une famille modeste appartenant à la caste des griots, devenu la star du mbalax (musique populaire sénégalaise) et l'une des principales figures de la "world music" après son duo avec la chanteuse Neneh Cherry, Seven seconds, paru en 1994, est un symbole au Sénégal, notamment parmi les jeunes.
Mais il n'est pas certain que son immense popularité puisse assurer à "You" – son surnom dans le pays – une stature politique. Son mouvement citoyen "lui a permis de rassembler de nombreux soutiens, affirme Madiambal Diagne, directeur général du journal Le Quotidien. Mais beaucoup de gens sont perplexes, maintenant qu'il se présente", après avoir d'abord nié qu'il visait la présidence. "Et avec quel programme ?", s'interroge Diagne.
Lundi soir, Youssou Ndour s'est présenté en "manager" pragmatique, désireux de "mettre le Sénégal au travail". Le chanteur a investi de façon importante dans son pays : il a créé à Dakar un studio et une société de production, une société de micro-crédit, il anime une fondation caritative et possède un groupe de presse.
À LA FOIS PROCHE ET CRITIQUE DU POUVOIR
Il se déclare, alors que le président Abdoulaye Wade, 85 ans, paraît profondément impopulaire. L'opposition dénonce la volonté de M. Wade de briguer un troisième mandat, en soulignant que le chef de l'Etat a déjà effectué le maximum de deux mandats consécutifs autorisés par la Constitution, révisée en 2001. Les partisans de M. Wade font valoir que son premier mandat a été entamé un an avant la révision de la loi fondamentale, et ne vaut donc pas dans ce décompte.
En juin, Youssou Ndour, comme beaucoup d'autres, avait appelé M. Wade à se retirer. En promettant lundi d'incarner "l'alternative", il semble consommer une rupture, après avoir été longtemps à la fois proche et critique du pouvoir. Même s'il n'est pas encore certain, rappelle Madiambal Diagne, que le chanteur aille jusqu'au bout de sa candidature.
"Politiquement, il était une sorte d'électron libre, qui se mobilise avec l'opposition sur certaines questions, et qui entretient des relations avec le président Wade pour ses affaires", résume Demba Ndiaye, directeur de la publication du quotidien La Sentinelle.
LE PATRON DE MÉDIAS INFLUENTS
En septembre 2009, alors que le pouvoir lui refusait une licence d'exploitation pour sa chaîne de télévision TFM, Youssou Ndour s'était ainsi engagé sur le front social, en dénonçant les incessantes coupures d'électricité qui rythment le quotidien des Sénégalais. "Le peuple est fatigué d'être dans les ténèbres, ça coupe le matin, ça coupe le soir", chantait-t-il en wolof dans un tube diffusé gratuitement sur Internet.
Puis "You" avait fait appel à ses fans pour faire plier la présidence : en mai, il affirmait avoir rassemblé plus de 1,7 million de signatures sur Internet, pour soutenir la création de sa chaîne TFM, au nom de la liberté d'expression et de celle d'entreprendre.
Autorisée d'abord comme station culturelle, TFM diffuse depuis des informations générales, et pourrait devenir un puissant instrument de campagne. Déjà durant la présidentielle de 2000, la radio RFM de Youssou Ndour avait aidé, avec d'autres antennes, à porter Abdoulaye Wade au pouvoir. Des correspondants locaux avaient retransmis les résultats partiels des votes, depuis les bureaux reculés du pays, dès la sortie des urnes, aidant ainsi à limiter les fraudes.
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