À de nombreuses reprises, Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a donné l’alarme sur les dangers de la politique d’austérité menée par les gouvernements de droite comme de gauche. Dès juillet, il livrait avec ses collègues une étude prémonitoire sur les risques encourus pour l’économie française à s’accrocher « coûte que coûte » à la règle des 3 % de déficit, choisie par le gouvernement. « La généralisation, la poursuite de cette stratégie (d’austérité) portera un sérieux coup de frein à la croissance économique : elle ne permettra ni un retour à l’équilibre des finances publiques à l’horizon 2017 ni une amélioration sur le front du chômage », avait averti l’OFCE, en en chiffrant déjà les effets. Le taux de chômage dépassera la barre des 11 % dès 2014, prédisaient les économistes.
Les faits viennent de leur donner raison. L’économie française est en récession, avec guère d’espoir d’amélioration sur l’ensemble de 2013. Le taux de chômage frise déjà les 10 % et l’objectif de 3 % de déficit public ne sera pas atteint fin 2013, comme le gouvernement s’y était engagé.
Xavier Timbeau revient sur la stratégie économique du gouvernement, qui semble totalement pris au dépourvu depuis l’annonce de cette révision du déficit. Pour l’économiste, le gouvernement paie sa stratégie de dénégation. Il a refusé d’assumer politiquement auprès des Français la politique d’austérité qu’il menait. Et il n’est même pas crédité des efforts « considérables » accomplis, l’Allemagne restant persuadée que la France n’a rien fait. Une double erreur politique et diplomatique qui risque de se payer cher, selon lui.
Mediapart. Une grande nervosité s’est emparée du gouvernement depuis l’annonce que la France ne respecterait pas la barre de 3 % de déficit budgétaire en 2013. Pourquoi une telle panique, selon vous ?
Xavier Timbeau. Ce n’est pas de la panique. C’est « la stratégie du choc » de Naomi Klein. La situation est dramatisée à l’excès. Le gouvernement semble avoir perdu toute capacité de raisonnement. On est dans l’auto-dénigrement complet. Commerce extérieur, niveau scolaire, fuite des grandes fortunes, tout y passe. Le discours ambiant est celui du déclin, de la faillite. C’est le choc.
Au fur et à mesure de la dégradation de l’économie française et européenne, il était prévisible que cet objectif des 3 % ne serait pas atteint, fin 2013...
Le gouvernement savait au moins depuis novembre qu’il n’obtiendrait pas le pourcentage de 0,8 de croissance retenu pour établir la loi de finances, et donc qu’il ne respecterait pas les 3 % de déficit. Mais plutôt que le dire, de négocier avec les autres européens, de s’expliquer, il a préféré s’en remettre à la commission européenne et ne rien assumer. C’est une faute majeure. Nous risquons de la payer lourdement.
Aujourd’hui, le gouvernement est totalement pris à contre-pied dans sa stratégie économique. Quand il est arrivé au pouvoir, il avait un plan qui s’est affiné au fil des mois. Il avait en tête de faire un budget d’austérité pour 2012-2013, afin d’atteindre un déficit budgétaire de 3 %, comme il s’y est engagé auprès de la commission européenne. Puis, après ces deux années d’effort, la croissance reviendrait. C’est ce schéma-là qui a été négocié avec Berlin en juillet 2013.
Il n’y a pas eu de débat sur son opportunité. L’Élysée ne l’a pas voulu. Toutes les velléités de discussion ont été tuées dans l’œuf. Il n’y a pas eu d’exclusion de ministres, mais au niveau des cabinets, la reprise en main a été très dure. Tous les membres de cabinet qui n’étaient pas dans la ligne ont été sortis.
Ce scénario ne pouvait pas réussir car il y a eu une erreur majeure, dont la commission européenne est en grande partie responsable. Cette erreur, c’est la sous-estimation des effets du coefficient multiplicateur. C’est-à-dire l’estimation des effets récessifs dans l’économie liés à la suppression des dépenses publiques. Les experts de la commission européenne ont jugé que ceux-ci étaient peu importants, contrairement à ce que nombre d’économistes soutenaient. Le FMI, qui pourtant n’est pas réputé pour son laxisme, les a alertés. Mais la commission européenne a maintenu ses positions, en disant qu’elle ne croyait pas à ces analyses. Elle était persuadée que les pays européens allaient parvenir au seuil magique des 3 %, sans que cela n’aggrave la récession en Europe. La réalité les a rattrapés.
Qu’aurait dû faire le gouvernement ?
Le gouvernement a pris les Français pour des imbéciles. Il a tenu un discours infantilisant, faisant de la rigueur sans le dire, niant les efforts demandés. À aucun moment, il n’a porté le discours de redressement des comptes publics. Il ne l’a jamais assumé, se réfugiant dans le silence. Les efforts faits, pourtant, sont considérables. Depuis 2010, le déficit budgétaire structurel a diminué de 5 %, ce qui correspond à peu près au budget de l’éducation. C’est du jamais vu dans l’histoire du pays, en période de paix.
Le pire, c'est que la France perd une grande partie des bénéfices politiques de ces efforts. Le gouvernement, n’assumant pas le discours d’austérité, n’est pas en position favorable face à l’Europe. À l’inverse de l’Espagne et de l’Italie, qui ont insisté sur leurs mesures prises, la France n’a rien dit. Faute de souligner ce qui a été entrepris, l’Allemagne est persuadée que la France n’a rien fait. C’est un gâchis politique et diplomatique majeure.
L’Allemagne justement exige que la France s’en tienne à ses objectifs de 3 %, malgré tout. Pourra-t-on résister ?
Difficilement si l’on s’en tient à l’attitude actuelle. Le coup, en tout cas, est parti pour 2013. On a entériné la récession. Il faudrait pouvoir dire qu’on arrête en 2014, que certains dossiers soient rouverts. Il faudrait notamment accepter de remettre de la dépense publique pour accompagner certains dispositifs comme le chômage partiel.
Mais, pour cela, il faut que le gouvernement ose tenir un langage clair et ferme. Ce qu'il ne fait pas. Il pourrait mettre en avant les chiffres et dire que maintenant il maintient le cap sur les déficits structurels mais refuse de prendre de nouvelles mesures d’austérité. Il ne le fait pas. Tout le monde au gouvernement donne le sentiment d’être tétanisé par l’Allemagne et la commission européenne.