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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

« Visitez la Grèce, la mer n'est pas en crise »

Mercredi 21 Mars 2012 à 05:00

 

Greek Crisis
Historien et ethnologue, ancien correspondant en France pour la revue grecque Nemecis, Panagiotis... En savoir plus sur cet auteur

 

Les beaux jours reviennent en Grèce, mais la crise est toujours là. Panagiotis Grigoriou s'est rendu au port du Pirée, à la rencontre des marins en grève. Récit.

 

(Port du Pirée - CHAMUSSY/SIPA)
(Port du Pirée - CHAMUSSY/SIPA)
Ce lundi 19 mars nous avons cru entendre certains oiseaux de mauvais augure, bien au-delà de chez nous d'ailleurs. C'est bien connu, sous la Troïka, l'actualité intérieure de la Baronnie efface le plus souvent, toutes les autres nouvelles, déjà, ne plus avoir à l'œil les affaires du vaste monde, c'est mauvais signe. Car ainsi perdre la dimension continentale, voire planétaire de certains signifiants à travers l'inter-connectivité des événements, cela ne peut que réduire notre sens critique. Ceci, doit faire partie de la programmation de la stratégie du choc, et nous le constatons, depuis des mois en Grèce.

Assommés par une actualité intérieure écrasante, tout le reste s'estompe, et jusqu'à l'effacement final de toute information, au bout d'un certain temps. Ainsi même, et de plus en plus souvent, on entend autour de nous, celles et ceux qui s'y refusent toute connexion désormais à l'actualité, « Basta... nous ne suivons plus les informations, car nous devons ensuite prendre des médicaments pour s'en dormir ou pour tenir, c'est déjà le cas d'ailleurs ». Quant aux nouvelles depuis les autres pays, qui plus est, analysées si possible dans leurs vraies dimensions, il ne faut plus en rêver trop et trop souvent. Pas question.
 
Rien n'est fait pour faciliter en effet la mise en perspective de ce situationnisme sinistre, introduit simultanément dans plusieurs pays et par son jeu d'événements bouleversants à travers les différentes versions de la bancocratie, entre l'Italie et l'Irlande par exemple. Nous apprenons alors peu de choses par les médias habituels, habituellement auxiliaires et non pas analystes, de notre séquentialité.
 
Seulement ce lundi, et une fois n'est plus coutume, nos médias se sont aussi un moment focalisés sur Toulouse : « Avez-vous entendu, en France ça ne va pas mieux, il y a de la tragédie qui fait sa niche partout finalement... », commentait à haute voix, un usager du métro en début d'après-midi, dans une rame circulant entre le Pirée et Athènes.

Jusque là, j'ignorais encore cette toute dernière séquence depuis Toulouse. Puis j'ai appris, elle se recompose de drame en drame alors, cette Europe. Mais il n'y a pas que de la dramaturgie dans l'air, car ces assassinats odieux sont aussi et avant tout, des actes très politiques, puis, la « coïncidence » avec le calendrier électoral en France a été souligné ici par tout le monde.

Le retour du beau temps ne chasse pas la tempête

Mais aussitôt ensuite, nos séquences locales ont repris le dessus, et la pensée universelle alors attendra. Ainsi, lundi matin encore, un homme de 71 ans, armé d'un fusil s'en rendu au centre des impôts d'Agia Paraskevi dans les quartiers plutôt aisés d'Athènes, pour tirer en l'air, avant de prendre en otage le personnel et les contribuables qui s'y trouvaient, alors dans le choc. « Vous ne prendrez pas ma maison » a-t-il crié, selon le reportage. L'homme âgé, prétendait encore dissimuler une grenade dans sa sacoche, mais ce n'était pas vrai, selon les précisions des policiers, aussitôt intervenus.

L'homme a finalement retrouvé un certain calme, avant de se rendre à la police. Donc le drame fut évité, ont ainsi commenté nos journalistes, soulagés. Dans le même ordre du monde irascible, si grand dramaturge en ce moment, des violences sans précédent se sont produites dimanche soir lors d'un match de football encore à Athènes, « cela ne présage rien de bon dans un futur immédiat », fut encore la première analyse des éditorialistes à travers la presse, figurant parfois sur la une des journaux, et en tout cas, devant les présentoirs des kiosques à journaux il y a avait foule.

Et pas vraiment, pour s'informer sur la parodie de l'élection de Venizélos à la tête du PASOK, hier dimanche, d'ailleurs paraît-il, qu'à travers le pays, les préoccupations dominicales se sont penchées plutôt vers le soleil que vers l'hombre. Au PASOK et à travers le « systémisme » journalistique on reproduit en boucle la nouvelle, selon laquelle, « plus de 150 000 militants et sympathisants du PASOK se sont déplacés aux urnes de ces primaires alors cruciales », qui croit encore ?

Car dimanche, la vraie grande foule était ailleurs. Par milliers, des habitants de l'agglomération athénienne, se sont rués vers les espaces verts, les parcs et les plages car il a fait vraiment beau, c'était la première si belle journée, donc printanière, depuis longtemps. « Ouf enfin, il fait beau au moins », c'était le slogan du jour. On aurait presque oublié le Mémorandum ce dimanche, sauf que les discussions du jour, portaient inlassablement, sur le dur quotidien, et sur les dernières trouvailles pour encore économiser trois sous. Puis, sur le chemin du retour, certains s'arrêtèrent de nouveau chez les marchands de bois pour s'approvisionner. Entre temps, à proximité et sur les ports de plaisance de nombreux bateaux sont désormais à vendre sans que personne ne s'y intéresse.
 
Sur les plages, des grecs et des étrangers demeurant ici, avaient déjà emmené leurs glacières, pas question de remplir les tavernes, comme cette famille bulgare, si joyeuse à travers sa vraie pause ensoleillée sans doute par les temps qui courent, un parfum d'été déjà, c'est appréciable. Et de retour, il y avait des embouteillages sur la rocade de la côte sud, cela faisait vraiment si longtemps, une véritable surprise, plutôt agréable, car elle nous a rappelé aux souvenirs de l'avant Mémorandum. Le présent peut-être aussi un mirage du passé, c'est bien connu. Au même moment, et sur la blogosphere grecque on faisait état de la toute dernière incitation qui circule sur internet, notamment à travers facebook, « [visitez la Grèce], la mer n'est pas en crise ».

 

La mer bien sûr que non, les marins par contre... Je me suis rendu sur le port du Pirée ce lundi dans la matinée, pour rencontrer les marins en grève. Entre temps, mais c'était plus tôt dans la matinée, sans doute encore une de ces « coïncidences » de saison, l'acteur et metteur scène du théâtre, Christos Kharbatzis s'est suicidé dans ce même port au volant de sa voiture, une Mercedes noire. Pour couvrir la grève des marins certaines équipes de télévision étaient déjà sur place, donc le suicide a été couvert en quasi direct. Dans le port du Pirée, il y avait décidément des marins en grève et des appareillages définitifs ce lundi ; théâtre du bas monde, tragédies qui s'entremêlent, crise.
 
Pourtant, la grève de nos marins n'a pas été très médiatisée finalement. Certaines télévisions lundi matin en direct, ont évoqué avant tout « les très mauvaises conséquences de cette gréve sur l'économie des îles, par ces grévistes alors inconscients». De toute façon, toutes les grèves et toutes les manifestations en Grèce ont depuis deux ans, « de très mauvaises conséquences sur l'économie, le tourisme et l'ordre public », suivant la version des médias supposés dominants, et sans doute, appartenant aux dominants.
 
J'ai rencontré N., marin syndicaliste et officier, d'abord dans la marine marchande, et ensuite à bord des ferries assurant les liaisons en mer Égée. Déterminé, mais conscient de la grosse mer du moment, il espère pourtant un renversement de la situation, même si dans l'immédiat ceci semble inaccessible.

« Nous perdons notre spécificité, notre tradition, notre histoire, notre identité même de marins. Les caisses des retraites et d'assurance santé de notre branche avaient connu des excédents en capitaux jusque là, et pour cause. Je cotise pratiquement 850 euros par mois, sans compter les cotisations versées par l'armateur. Il y quelques semaines, le capital de la Caisse des Retraites des Marins (NAT) s'élevait encore à 38 millions d'euros, celui de la Caisse d'Allocations Familiales des Marins (ELOEN) à 52 millions. 

Par le Mémorandum II, et le supposé "ré-échelonnement de la dette grecque", l'ELOEN a perdu plus du 62% de son capital, 32 millions d'euros environ. C'est en même temps la fin du cabotage pour ce qui est de la croisière et bientôt pour des lignes intérieures, c'est l'abolition de fait de la convention collective de notre branche, mais en réalité c'est déjà Maastricht qui fut à l'origine de tout cela. Des marins venus d'autres pays travailleront suivant la législation et les salaires de leurs pays, y compris et bientôt chez les officiers.

Selon une règlementation datant d'ailleurs de l'époque des Colonels, un comble, tout officier servant dans la marine assurant les liaisons à l'intérieur de l'espace maritime du pays, doit pratiquer la langue et la culture de notre pays, être en quelque sorte acclimaté dans la maritimité de l'archipel grec, sa géographie et ses usages. Plus désormais, une simple connaissance disons approximative de la langue grecque suffira. 


Ah ces armateurs, non ils ne sont pas perdants, même en ce temps de crise. Le jour où ils seront perdants, ils vont alors vendre leurs bateaux, il n'y a pas photo. Et lorsque les lignes ne sont pas directement subventionnées, alors ils obtiennent au moins le renforcement d'un régime fiscal, très très avantageux. Et je ne vous parlerai pas des autres circonstances « juteuses », comme le fioul détaxé, pour ne pas dire issu d'autres sources... passons. Puis, je dois vous dire pour faire comprendre toute notre situation, que depuis plusieurs années, notre caisse, s'est vue chargée par l'État d'un rôle étrangement social, autrement dit, elle fut obligée à assurer la prévoyance et les retraites des Grecs (ou parfois « Grecs »), issus des Républiques ex-soviétiques de la Mer Noire et du Caucase, installés chez nous depuis les années 1990. En échange, l'État verserait à notre caisse une récompense, sous forme de contribution annexe, et ceci, sur plusieurs années. Il n'a rien versé, jamais. Et pourtant, notre organisme était encore excédentaire avant le Mémorandum II.

Nous arriverons encore une fois à la mise à mort de tout un métier, à la mer comme sur terre et sur terre comme à l'enfer. Puis, ils diront ces journalistes, comme déjà ce matin, que nous tenons en otage les habitants des îles, c'est dans le journal "Ethnos", ce lundi. Ou, sinon c'est la télé et de radio "Skai", (elle appartient comme tout le monde le sait à un armateur), qui nous enverra ses journalistes, accompagnés d'une vingtaine de « voyageurs  indignés ». Lors de notre précédente grève, nous étions là, devant ces passerelles en train de bloquer tout passage, sans bouger.

Alors ils étaient venus et ils ont conduit un enfant emmené par eux à foncer sur nous. Nous n'avions pas touché cet enfant alors, lorsqu'ils se sont mis à crier, "au secours, les grévistes ont molesté notre fils", pour ainsi faire intervenir la police portuaire. Une fois tous au poste, nous avons prouvé par A+B que c'était une affaire montée de toutes pièces. Ces gens, qui prétendaient être des voyageurs en colère, n'avaient même pas leurs billets émis, et en plus, leurs valises étaient vides, ils étaient tout simplement payés pour faire de la figuration et de la provocation. Alors, aucune charge n'a été retenue contre nous, mais la version des faits, alors présentée par leur télévision, était évidement la leur. 


Voilà nos grands armateurs des télés et des navires subventionnés. Oui, ils peuvent à la limite connaître la crise et ainsi s'arranger entre eux pour supprimer la moitié des rotations, vers la Crête par exemple, ainsi les bateaux restants se remplissent davantage, sauf qu'ils ont déjà licencié le tiers de leurs marins. Donc, nous payons la crise, encore une fois. Et lorsqu'ils dépensent une fortune pour réaménager leurs bateaux les plus anciens, ils ont raison : c'est rentable. Tel le European Express sur la ligne de Mytilène et de Chios, un ancien navire de croisière, transformé en ferry, comme il n'avait pas de garage, un pont entier lui a été ôté, ces travaux ont duré plusieurs mois. Dans ces bateaux, comme dans les autres de la marine marchande, nous avons vécu toutes ces années de notre jeunesse, et maintenant on nous met à la porte. Quel avenir alors pour nous ? »
 
Un peu plus loin, un autre marin à la retraite, depuis un moment déjà, faisait état de sa longue route : « J'ai commencé en embarquant sur un Liberty en 1965, puis assez rapidement, nous avons emmené ce vieux navire déjà, sur Syros, au chantier naval. C'était une autre époque, aujourd'hui, toutes les mouettes crient notre douleur ».
 
Et celle du dimanche, au port de plaisance de Faliro se tenant fièrement devant le cuirassé Averof des années 1912-1923, transformé en navire musée, oiseau aussi de mauvais augure ? Pas si sûr, Printemps en vue.
 
Retrouvez Panagiotis Grigoriou sur son blog.

Le 11 avril, retrouvez 
Panagiotis Grigoriou pour sa conférence à l'Ecole Normale supérieure de Paris, à l'invitation de RosaRéséda (Montebourg)

 
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