Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Source : rue89.com
Un rapport [PDF] sur le nouveau règlement européen relatif aux Télécom (Internet et téléphonie) a été présenté lundi 9 décembre devant la commission de l’industrie à Strasbourg. Il fait suite à une proposition portée par la commissaire européenne chargée de la société numérique, Neelie Kroes.
Cette proposition touchait notamment la neutralité du Net, principe fondateur :
Que dit le texte ? Il se veut d’abord rassurant :
« Les fournisseurs de services d’accès à l’internet ne restreignent pas les libertés prévues au paragraphe 1 en bloquant, en ralentissant, en dégradant ou en traitant de manière discriminatoire des contenus, des applications ou des services spécifiques. »
Jusque-là, tout va bien, semble-t-il : tout le monde, quel que soit son opérateur, pourra avoir accès de la même manière et à la même vitesse aux services en ligne. Puis un passage sème le doute :
« Les fournisseurs de contenus, d’applications et de services et les fournisseurs de communications électroniques au public sont libres de conclure des accords entre eux pour l’acheminement du trafic [...] sous la forme de services spécialisés d’un niveau de qualité de service défini ou d’une capacité dédiée.
La fourniture de ces services spécialisés ne porte pas atteinte d’une manière récurrente ou continue à la qualité générale des services liés à l’Internet. »
On branche le décodeur :
La neutralité serait donc respectée, même si ceux qui ont les moyens auront droit à une meilleure qualité de réseau tandis que les autres ne se verraient entravés dans leurs activité « que » ponctuellement. Tout va bien.
Cela ne paraît pas très important lorsque le chargement d’une page prend quelques secondes de plus. Sur un service de streaming en revanche, on imagine les dégâts que ça peut faire.
Qui resterait sur Soundcloud s’il faut attendre une minute pour charger une chanson, même si cela n’arrive que ponctuellement ? Pourquoi ne pas migrer plutôt chez Spotify où tout est incroyablement fluide et rapide grâce à des accords chers payés avec des opérateurs ?
Il est intéressant de voir que le concept de « discrimination » est conçu non pas comme « faisant une différence entre deux éléments » mais comme « profite à l’un sans nuire à l’autre ». Une vision biaisée selon Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net :
« S’il y a un deal avec YouTube, le fournisseur d’accès n’aura pas le droit de réduire le trafic de Dailymotion, de le “ déprioriser ”. Mais cette dégradation se fait par défaut, naturellement. On fausse totalement le jeu de la concurrence. »
C’est la neutralité sur Internet qui empêche les plus forts d’y régner en maîtres et donne de l’oxygène aux petites pousses fragiles et leurs innovations.
Nous avions évoqué dans un article en juillet ce qu’impliquerait un « Internet à deux vitesses ».
Ces mesures de la part des télécoms ne sont pas fondamentalement machiavéliques. La neutralité est confrontée à un obstacle inattendu : la Toile est saturée – on parle de « congestion du réseau ». A titre d’exemple, l’entreprise californienne Cisco prévoit que le trafic vidéo aura doublé d’ici 2017 : YouTube est aujourd’hui consulté quatre milliards de fois par jour.
La réponse des fournisseurs d’accès Internet repose sur la logique suivante : qui dit plus de trafic dit de plus grosses infrastructures, donc des coûts qui augmentent. Des coûts qu’ils ne peuvent pas prendre en charge, et qu’ils veulent reporter sur les gros fournisseurs de contenus plutôt que sur les usagers.
On pourrait presque se laisser séduire par l’idée de faire payer les mastodontes du Net. Sauf qu’il n’est en réalité pas question ici de taxer, mais bien de négocier la priorité sur la bande passante.
On voit venir le loup : un Internet à deux vitesses, où les sites qui ont les moyens s’achèteront la priorité et le luxe de la vitesse, tandis que les autres prendront les miettes, où les internautes pourraient être bridés une fois la limite de trafic atteinte s’ils ne vont pas aux services les plus « attractifs ».
Imaginons par exemple que YouTube négocie un contrat avec Orange et pas avec Free. Les abonnés du premier pourraient accéder facilement aux vidéos, tandis que les abonnés du second rencontreraient des difficultés de visionnage.
Imaginons encore que le contrat qui lie Orange avec YouTube soit plus important que celui qui le lie avec Dailymotion. Les vidéos du premier seraient accessibles plus aisément que celles du second, risquant de fait d’étrangler concurrent français.
Un rapport [PDF] de la direction générale du Trésor évoquait le bouleversement de l’équilibre économique des fournisseurs de contenus si l’on venait à prioriser la bande passante. Les risques :
Coïncidence du calendrier, le nouveau président de la Commission fédérale des communications – le régulateur américain des télécoms – a déclaré trouver normal que les FAI puissent exiger aux services internet gourmands en bande passante de payer pour un accès optimisé.
« Je pense que nous allons aussi voir un marché où Netflix peut dire : “Bien, je vais payer pour m’assurer que vous receviez, que mes abonnés reçoivent la meilleure version de ce film.”
Une déclaration qui a fait hurler les associations de défense des droits sur Internet. Branle-bas de combat en Europe aussi : la Quadrature du Net exhorte les citoyens européens à appeler leurs eurodéputés afin d’amender la proposition avant son vote.