« Nous ne nous sommes pas armés » face à la mondialisation, a redit Montebourg sur France 2, jeudi soir. Pour son premier entretien, le nouveau ministre du « redressement productif », chantre de la “démondialisation” et du protectionnisme européen, a redit son volontarisme en matière industrielle. « La réindustrialisation, c’est une grande cause nationale », a martelé Montebourg.
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Adoubé pompier industriel en chef de l’équipe ministérielle, Montebourg, qui avait effectué, dans le cadre de la campagne d’Hollande, un tour de France des usines, va vite devoir démontrer que le volontarisme de l’équipe Hollande en matière industrielle ne se paie pas que de mots. Une gageure : le chômage est au plus haut depuis douze ans, le gouvernement s’attend à ce qu’éclosent rapidement une série de plans sociaux, dont certains pourraient constituer des points très chauds, et le Front de gauche guette, fort logiquement, d’éventuels faux-pas ou renoncements.
« Nous nous battrons aux côtés de nos outils industriels. Il se peut que nous encaissions des échecs. Mais ces échecs, nous les encaisserons aux côtés des salariés et des territoires », a prévenu d’emblée Montebourg. Une façon de déminer le terrain.
Premier dossier sur la table du ministre, celui des Fralib à Géménos (Bouches-du-Rhône). La centaine de salariés de cette usine où l’en met en sachet les infusions Eléphant est en conflit depuis des mois avec leur propriétaire, la multinationale néerlandaise Unilever, qui entend délocaliser la production. Les salariés, en instance de licenciement, occupent l’usine. La justice vient de leur accorder un court répit, jusqu’au 1er juin, pour discuter avec Unilever de leur projet de reprise. Passé ce délai, ils risquent l’expulsion par les forces de l’ordre. Jeudi soir, Montebourg, qui leur a rendu visite au cours de la campagne, a promis un déplacement rapide. « Nous souhaitons qu’Unilever mette de l’eau dans son vin et que nous arrivions à une solution imaginative qui permette (…) de sauver un outil industriel », a martelé le ministre sur France 2, sans plus de précisions.
Des hauts-fonctionnaires, experts des entreprises et du social, ont remis récemment à Jean-Marc Ayrault une note de 4 pages sur l’« actualité des restructurations » à la date du 6 mai. Ce document, révélé par Le Point et que Mediapart a pu consulter, s’inquiète d’un risque d’« accélération » des « restructurations d’ici l’automne ». « Certains groupes ont reporté l’annonce de restructurations importantes pour éviter d’avoir à le faire en pleine période électorale. Dans certains cas, ils ont été invités à le faire à la demande du cabinet de Xavier Bertrand », accuse le texte, confirmant ce que responsables du PS et syndicalistes affirment depuis des mois. Par ailleurs, « tous les leviers » ont été actionnés par l’équipe sortante pour « repousser » des mises en liquidation judiciaire. Des artifices, type « aides financières », sont « aujourd’hui épuisés ».
Conclusion logique : « une partie de ces entreprises vont être liquidées en mai et juin prochain ». Autant de symboles et de difficultés potentielles pour le gouvernement –même si les licenciements économiques ne représentent qu'une infime partie (3 %) des entrées au chômage.
D’ici aux législatives, fixées aux 10 et 17 juin, « peu de dossiers devraient émerger », indique la note, qui évoque tout de même les cas d’Air France, Goodyear et Technicolor. Un comité central d’entreprise est en effet évoqué chez Air France, en difficulté financière, le 24 mai prochain. Il pourrait déboucher à terme sur un plan de départs concernant plusieurs milliers de personnes. Une annonce qui nécessitera une « communication habile de la part du gouvernement », avertissent les auteurs, et « la mise en scène d’une discussion visant à limiter les conséquences sociales de cette réorganisation », en ayant recours à des aides européennes ou du chômage partiel.
Un plan social portant sur « 700 à 800 salariés » pourrait aussi être annoncé « courant mai » chez Goodyear à Amiens (Somme). Les experts mettent l’accent sur les risques politiques encourus : dans cette circonscription aujourd’hui détenue par le communiste Maxime Gremetz, qui ne se représente pas, l'avocat de la CGT, Fiodor Rilov, est candidat aux législatives, et son suppléant est le leader « charismatique » de la CGT chez Goodyear, Mickaël Wamen. « Il n’est donc pas exclu que ces derniers tentent de faire du cas de Goodyear un enjeu emblématique de la prochaine campagne législative », préviennent-ils.
Autre usine sensible : la dernier site européen de production de Technicolor (ex-Thomson), qui emploie encore 350 salariés à Angers (Maine-et-Loire) pourrait être opportunément placé en liquidation judiciaire, ce qui permettrait à l’entreprise de ne pas s’acquitter de ses obligations légales dans le cadre du plan social. « Si le projet de mise en liquidation judiciaire est confirmé, ce dossier sera l’occasion pour le futur gouvernement de montrer sa détermination à s’opposer aux abus de certains employeurs », préviennent les auteurs.
Voilà pour les urgences. Mais très vite, dès « mai ou en juin », des entreprises actuellement en « redressement judiciaire » pourraient être liquidées. C’est notamment le cas de Prevent Glass, un sous-traitant de Volkswagen, qui emploie 219 salariés à Bagneaux-sur-Loing (Seine-et-Marne). Pour ce site, le pessimisme est visiblement de mise. « Aucun repreneur ne se manifestera », « ce dossier sera socialement très difficile ». De fait, « les salariés réclament des indemnités supra-légales que l’administrateur judiciaire n’a pas les moyens de prendre en charge et sont conseillés par maître Brun », avocat jugé « souvent jusqu’au-boutiste ». Philippe Brun, autre avocat historique de la CGT, est en effet un avocat militant, connu pour son art de faire payer les employeurs devant les prud’hommes.
Autre dossier en suspens depuis des mois : la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne (550 salariés près de Rouen), actuellement à l’arrêt, en sursis pour six mois grâce à un accord négocié avec le pétrolier Shell. Le 25 mai, le tribunal de commerce décidera d’une éventuelle mise en liquidation judiciaire, si aucun repreneur « sérieux » ne se présente. « Nous souhaitons ouvrir immédiatement les discussions avec Shell, de manière à obtenir que cette activité se poursuive au-delà des six mois. C’est notre objectif », a expliqué jeudi Arnaud Montebourg sur France 2, indiquant aussi que le succès n’était pas certain.
La note évoque aussi les cas du groupe Hersant Media (dont le quotidien Paris-Normandie, 110 salariés au total), de la fonderie Manzoni Bouchot, sous-traitant de Peugeot et Citröen (Jura, 450 salariés) ou de Meryl Fiber, une usine de textile du Pas-de-Calais. Ces deux derniers dossiers sont particulièrement inquiétants. « La liquidation totale de cette fonderie serait catastrophique pour le territoire et pour ses salariés », indique la note. Pour Meryl Fiber, c’est encore pire : « il n’y a pas aujourd’hui de perspectives crédibles de reprise ». Il faut donc s’attendre à une liquidation « en juin ».
Plus inquiétant, les conseillers de François Hollande semblent avoir tiré une croix définitive sur le site PSA à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis, 3 400 salariés) Ils parient même sur l’annonce « dès septembre » d’une « restructuration très significative », avec la « fermeture du site d’Aulnay d’ici 3 ans » et un plan de départ volontaires portant sur « 3 000 à 4 000 autres emplois ».
« Cette annonce ne se fera pas sans heurts, prévient la note : cela fait des années qu’aucun site automobile n’a été fermé en France et l’opposition ne manquera pas de signaler qu’elle avait obtenu elle, y compris au plus fort de la crise, que ni Peugeot, ni Renault ne ferment d’usine en France. » Sur France 2 jeudi, Arnaud Montebourg a promis « d’ouvrir la discussion avec la direction de Peugeot ». Là encore, sans donner plus de précisions.
Les dossiers recensés dans cette note ne sont pas les seuls écueils sur lesquels le gouvernement risque de buter. L'usine Rio Tinto (ex-Péchiney) à Saint-Jean-de-Maurienne est menacée. General Motors vient d’annoncer, juste après le deuxième tour, qu’il allait mettre en vente son site de Strasbourg. Autre annonce post-présidentielle, la fermeture d’une usine du fabricant italien de poids-lourds Camiva à Saint-Alban-Leysse, près de Chambéry, qui emploie encore 174 personnes.
Cet été, le groupe ArcelorMittal doit dire s’il redémarre ses derniers hauts-fourneaux de Florange (Moselle) – le site emploie plus de 3 000 emplois directs, c'est le deuxième employeur de Moselle. Dans l’entourage d’Hollande, on ne se fait guère d’illusions. Le président a promis pendant la campagne un « dispositif législatif » pour éviter que lorsqu'un site est rentable, une entreprise multinationale le ferme juste pour assécher la concurrence. Ce texte pourrait s’appliquer aussi chez Mréal dans l'Eure : une papeterie dont le propriétaire finlandais a refusé de vendre à trois repreneurs afin d'assécher le marché – il y a urgence, car l'usine doit fermer en juin.
Dans ce contexte social tendu, le Front de gauche fait évidemment monter les enchères. Le 15 mai, Jean-Luc Mélenchon a adressé à Jean-Marc Ayrault une lettre pour alerter son « cher camarade » « sur la situation intolérable d’une vingtaine d’entreprises emblématiques et de leurs salariés ». Les noms des entreprises cités sont à peu près les mêmes que ceux qui inquiètent le gouvernement. Mais le chef de file du Front de gauche en profite surtout pour demander au premier ministre de « stopper l’hémorragie industrielle », « par la loi », avec plusieurs dispositifs qui ne figurent pas, ou pas selon ces termes, dans le programme présidentiel de François Hollande : « l’interdiction des licenciements boursiers et suppressions d’emploi dans les entreprises bénéficiaires », « la création d’un droit de veto des élus du personnel », un « droit de préemption » pour les coopératives de salariés ou encore la « protection des sous-traitants ».
Autant d'exigences que le Front de gauche ne va pas manquer de marteler pendant la campagne des législatives. Depuis 2007, la France a perdu 350 000 emplois industriels.