C’est une maison, non pas bleue comme dans la chanson de Maxime Le Forestier, mais verte, et tout le monde, à Saint-Pierre-des-Corps, la connaît. Avec sa grande façade en bois et ses courbes évoquant la proue d'un bateau, il est impossible de rater cette bâtisse verticale posée depuis maintenant un an et demi au début de l’avenue Jean-Bonin, à quelques minutes en bus du centre-ville de Tours.
Ce n’est toutefois pas sa couleur ni ses formes qui font sa spécificité. Mais ceux qui l'habitent. Appelons-les les Lunais, l’un des quatre noms des deux familles (recomposées) vivant ici. Le rez-de-chaussée (79 m2) est occupé par les "parents", Anne et Jean-Michel, tous deux retraités – elle de la fonction publique territoriale, lui de la SNCF. Aux étages (deux niveaux, 128 m2 en tout), on trouve la fille d’Anne, Mathilde, et son compagnon Arnaud – tous deux cheminots - et leurs enfants de 8 et 2 ans. Résumons : deux foyers, issus d’une même lignée, vivant l’un au-dessus de l’autre dans une maison flambant neuve. L’histoire n’est pas banale et doit autant à la crise du logement qu’au brassage des générations.
Tout commence en 2006 quand Anne et Jean-Michel, qui habitaient alors dans la Vienne, décident de revenir s’installer dans l’agglomération tourangelle. Leur rêve est de faire construire une maison bioclimatique en ossature bois. Une parcelle de 870 m2 leur est proposée à Saint-Pierre-des-Corps au prix de 105.000 euros. C’est le "coup de cœur". Et le début des complications, comme souvent. Le terrain étant situé en zone inondable, le bâti ne devra pas dépasser 10% de la surface au sol, ce qui supposera une construction verticale. Contact est pris avec l’architecte Jean-Yves Barrier, une pointure locale qui ne dessine habituellement jamais de maison individuelle, mais veut bien faire une exception étant donné que c’est lui qui a réalisé l’aménagement de l’avenue Jean-Bonin. "Puis est arrivée la phase coût, et c’est là qu’on a toussé, se souvient Anne. L’architecte a beau nous avoir fait une fleur, le projet nous est vite apparu hors-budget."
A l’époque, Mathilde vivait seule dans un autre quartier de Saint-Pierre. "Que dirais-tu si nous te faisions un appartement au-dessus de chez nous, afin de partager les frais ?", lui demande alors sa maman. L’idée paraît saugrenue, mais elle va faire son petit bonhomme de chemin. "J’étais une mère célibataire dans un appartement en location. J’ai vu là une bonne opportunité de devenir propriétaire", raconte Mathilde. Arnaud rentre dans sa vie peu de temps après et s’accroche au wagon, malgré quelques doutes au départ : "Emménager au-dessus de ses parents peut faire peur. Personnellement, je ne l’aurais pas fait avec les miens." Mais Mathilde, elle, y croit : "Je savais que je pourrais cohabiter. Avec ma mère, on a l’habitude de se dire les choses. " Entendez : remettre l’autre à sa place quand cela est nécessaire.
Trois années de paperasse, de travaux et d’imprévus suivront. La principale galère ? Trouver un notaire, mais aussi des banques, qui comprennent l’originalité de cette opération de mutualisation immobilière et familiale. "Ce n’était pas simple. On était à la fois constructeur, propriétaire foncier et vendeur d’un appartement. On nous a même considérés comme des promoteurs", raconte Jean-Michel. Même complication pour Arnaud et Mathilde, aux étages supérieurs : "Personne ne comprenait qu’on fasse construire sur un terrain qui ne nous appartienne pas." Acte notarial et emprunts finiront par être signés au terme d’un long marathon. Et pour une facture totale de 310.000 euros, soit 1.490 euros le m2. Si l’opération, à l’arrivée, est dans la moyenne des constructions "haut-de-gamme" de l’agglomération, son coût aurait été supérieur, comparativement, pour deux logements isolés. Chaque appartement a par ailleurs la jouissance du terrain et le quartier pourrait gagner en valeur si un jour le tramway venait à passer par ici.
Reste la question de cette cohabitation familiale par étages interposés. "Nous veillons à ne pas nous immiscer dans la vie de nos enfants et nos petits-enfants, insistent Anne et Jean-Michel au milieu de leur loft-salon-cuisine. Nous nous sommes d’ailleurs imposé des règles comme frapper à leur porte, et réciproquement, quand nous leur rendons visite. Chaque logement a également son entrée propre. Et ce n’est pas parce que nous savons qu’ils sont au-dessus qu’on va pour autant aller les voir. Ils sont adultes, ce ne sont pas nos bébés. "
Qu’on se rassure cependant : si Mathilde et Arnaud ont conservé une nounou pour aller chercher les enfants à la sortie de l’école, il leur arrive, quand ils sortent au cinéma le soir, de "descendre le babyphone" à l’étage inférieur. "En fait, c’est plutôt nous qui sommes envahissants", en sourit Arnaud.