Une riveraine de Rue89 décide de contester une contravention pour stationnement gênant, parce qu'elle l'estime non gênant. A ce stade, c'est touchant, mais ça ne justifie pas un article.
Elle rédige une longue (et poignante, pour qui mesure l'inutilité de la performance) missive à l'officier du ministère public, le 10 octobre 2011.
Et elle reçoit une réponse, personnelle, le 2 janvier de cette nouvelle année, sous forme d'une leçon de morale sociale et fiscale. L'officier grenoblois du ministère public à qui elle avait raconté ses nombreux soucis financiers lui écrit :
« Votre situation fiscale devrait vous inciter à faire preuve de plus de vigilance quant au strict respect du code de la route... »
Notre riveraine estime « honteux que l'administration avoue que les riches sont au-dessus des lois. Qu'ils ont conscience qu'une même amende est facilement payée par un riche et durement par un “pauvre” ».
Voici le courrier de notre riveraine qui mérite vraiment d'être lu jusqu'au bout.
« Je vais vous parler de ma vie »
» Pour vous expliquer ma démarche, je vais vous parler de ma vie.
Mercredi 5 octobre, comme depuis un mois maintenant, je suis en stage. C'est donc sur mon téléphone que je reçois le message suivant :
« Je suis passé devant ta voiture et tu as un PV. »
Un PV de 35 euros, cela peut sembler dérisoire… Mais pas pour moi. 35 euros pourquoi ? Car je suis garée devant chez moi, sur une place non matérialisée. Ni sortie de garage, ni place pour personnes handicapées en vue, juste une barre au sol, signifiant sans doute l'ironie d'un zébra.
« En effet, je n'ai plus de rétroviseur droit »
Non, je n'ai ni un garage, ni une place de parking privée et je ne me déplace pas non plus en stage avec ma voiture car le gazole c'est trop cher (ce n'est pas moi qui vais vous l'apprendre).
D'autant plus que j'ai « la chance » d'avoir un tarif préférentiel pour le tramway. Je ne paie que 14 euros par mois alors j'en « profite ».
Pour être sincère avec vous, je préfèrerais aller au « travail » en voiture, je ne mettrais pas 45 minutes pour aller de la caserne de Bonne à Echirolles. En plus, ma voiture serait stationnée toute la journée sur un parking sûr.
Mais il y a une autre raison pour laquelle je ne vais pas au travail en voiture. C'est que pour l'instant, je cours le risque d'avoir une autre contravention. En effet, je n'ai plus de rétroviseur droit. Je me suis levée un matin et il était cassé, côté trottoir, sans doute un passant énervé ou colérique qui n'a pas trouvé un autre moyen pour exprimer sa peine.
« En fait, c'est encore la voiture de ma maman »
C'est la deuxième fois cette année et je n'ai pas les moyens de m'offrir un rétroviseur tous les six mois. Comme je n'ai pas non plus les moyens de payer cette contravention de 35euros. D'ailleurs, je ne devrais pas dire « ma » voiture car c'est encore celle de ma maman.
Elle m'a payé ma voiture 2 600 euros il y a deux ans et je lui dois encore 1 600 euros. Je pensais pouvoir lui rembourser car je travaille l'été. Malheureusement, je privilégie le paiement de mes charges courantes : loyer, nourriture, EDF, GDF, téléphone. [...] [Un jour] je gagnerai assez bien ma vie pour prendre MA voiture pour me rendre au travail et la garer dans MON garage quand je rentrerai le soir.
Alors j'imagine déjà votre courrier de réponse : « Mademoiselle, selon
l'article R417-10 du code de la route, tout véhicule à l'arrêt ou en stationnement... [...].
“Cette contravention, je ne la paierai pas”
De toute façon, je ne vous demande pas d'accepter l'opposition que je fais à cette contravention mais sachez juste que je ne la paierai pas. [...]
Actuellement, je suis étudiante et mes parents n'ont pas les moyens de m'aider. Je fais des études pour me sortir de cette situation, je suis en master 2 et pourtant je me demande à quel salaire je vais pouvoir prétendre l'année prochaine : 1 600 euros ? 1 700 euros ? [...]
Voilà, j'espère que vous m'aurez lu. Je n'en serai jamais certaine puisque je n'ai pas les moyens d'envoyer ces courriers en recommandé avec avis de réception.
Alors comme pour le reste de ma vie, je vais miser sur ma (pseudo) chance. Par ailleurs, sachez que je me ferai un plaisir de participer à la solidarité nationale, de payer mes impôts ou des contraventions quand j'en aurai les moyens.[...]
Vous remerciant, peut être de m'avoir lu, je vous prie de croire, mesdames, messieurs, en ma sincère considération. »
La réponse de l'officier du ministère public
« Mademoiselle,
Vous m'adressez une correspondance qu'effectivement j'ai pris le temps de
lire, relative à une verbalisation relevée à votre encontre par le contrôle du stationnement de Grenoble. Il n'a pas été accordé de suite favorable à votre demande.
Je ne répondrai pas que “votre situation fiscale ne justifie pas le retrait de votre contravention”, mais plutôt que votre situation fiscale devrait vous inciter à faire preuve de plus de vigilance quant au strict respect du code de la route... Deux possibilités s'offrent à vous :
- ou vous payez la contravention de 35 euros sous 45 jours [...] ;
- ou vous souhaitez maintenir votre contestation malgré la présente décision, auquel cas votre dossier sera envoyé devant la juridiction compétence, ce qui entrainera en cas de condamnation, outre l'amende, des frais fixes de justice de 22 euros. »