Source : www.mediapart.fr
Depuis des années, Joseph Stiglitz est pendu à la sonnette d'alarme: les plans d'austérité à répétition infligés à l'Europe ne font qu'aggraver la situation. Officiellement, les sociaux-démocrates sont d'accord. Dans les faits, ils n'ont rien fait pour « réorienter » l'Europe. Le sommet européen de ces jeudi et vendredi, au-delà des déclarations d'usage, doit encore en faire la démonstration.
Il faut lui reconnaître une vraie constance. Depuis le début de la crise des « subprime », en 2007, mais surtout depuis la gigantesque crise des dettes publiques en Europe, Joseph Stiglitz martèle le même message : « L'austérité en Europe est risquée. » L'ex-chef économiste de la Banque mondiale (1997-2000), prix Nobel d'économie en 2001, plaide, à l'inverse, pour une nouvelle relance : « Rien ne sert de se focaliser sur le déficit d'aujourd'hui, de demain ou de l'an prochain : il faut regarder le déficit à cinq ans. » Et de lancer cet avertissement aux dirigeants européens dans la tribune que nous publions (à lire ici) : « Au rythme actuel de la "reprise", aucun retour à la normale ne peut être envisagé avant la prochaine décennie. » Sans une réaction forte et rapide, l'Europe demeurera sur le chemin emprunté par le Japon à la fin des années 1990 et qui l'a conduit à une longue décennie de stagnation dont il peine encore aujourd'hui à sortir.
C'est déjà ce que Joseph Stiglitz disait à Mediapart, lors d'un entretien réalisé en septembre 2010. Il notait alors que les mesures d'austérité prises en Europe depuis le printemps 2010 étaient « incroyablement risquées. L'économie pourrait même basculer à nouveau dans la récession ». Il soulignait également combien la pensée économique inspirant ces politiques n'était en rien à la hauteur de l'ampleur et des nouveautés de la crise à l'œuvre : « Je n'ai pas anticipé la vitesse à laquelle la vieille orthodoxie, à l'origine de tous nos ennuis, s'est imposée à nouveau. Les mémoires sont courtes. »
Quelques mois plus tard, dans un nouvel entretien, Joseph Stiglitz repartait à l'assaut des conservatismes, du manque d'action de l'administration Obama et surtout de l'aveuglement des dirigeants européens. Manque d'initiative, manque d'audace, vieilles recettes pour crise nouvelle... La Troïka n'avait pas encore mis la Grèce à terre, le Portugal et l'Espagne n'avaient pas encore sombré. Mais tous les ingrédients étaient là, notait Stiglitz, pour installer un chômage de masse, une récession ou une croissance à l'arrêt et un pouvoir inentamé des banques et des marchés financiers.
« La question consiste à se demander si nous pouvons réduire cette influence politique des banques, notait-il alors. Je crois que nous pouvons faire beaucoup mieux. Je ne sais pas si cela sera suffisant mais nous n'avons pas essayé. Nous aggravons l'influence des groupes d'intérêts tout en affaiblissant dans le même temps la véritable démocratie, et cela s'annonce vraiment désastreux non seulement pour la politique mais plus généralement pour notre société. »
Aujourd'hui, le prix Nobel d'économie plaide pour « un programme beaucoup plus ambitieux, et différent ». Non pas en finir avec l'euro, dit-il. Mais « ce qu'il faut, par-dessus tout, c'est une réforme fondamentale de la structure et des politiques de la zone euro ». C'est également ce qui se dit en chuchotant dans les cénacles européens de Bruxelles, ce qui est évoqué parfois par François Hollande ou le nouveau président du conseil italien, Matteo Renzi. Mais aucune de ces intentions – un vrai plan de relance, une réduction étalée des dettes publiques, une renégociation avec une part d'annulation de l'insoutenable dette grecque, une réforme poussée du système financier – ne s'est aujourd'hui véritablement traduite dans les faits.
Hollande et Renzi obtiendront peut-être, vendredi à l'issue du sommet européen, une déclaration finale faisant état de leurs préoccupations. On reparlera, comme le fait déjà le gouvernement français, de « réorientation » de l'Europe... Qui se souvient du pacte de croissance de 2012, officiellement arraché par Hollande ? Qui peut dire quels sont ses résultats ?
Stiglitz vient ainsi opportunément rappeler que de nombreux autres économistes de renom (Paul Krugman, Thomas Piketty, Paul Jorion et d'autres) proposent depuis des années des voies alternatives. Les dirigeants européens restent sourds. Or leurs diagnostics recoupent très largement ceux faits par des acteurs plus institutionnels. On se souvient de l'étonnant mea culpa du Fonds monétaire international sur la potion administrée aux pays européens par la Troïka.
À l'échelle française et en écho direct aux propos de Joseph Stiglitz, l'actuel débat budgétaire vient montrer la dangerosité d'une austérité sans fin. Valérie Rabault, rapporteure générale du budget à l'Assemblée, a pointé dans son rapport aux députés les risques du plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le gouvernement pour la période 2015 à 2017. « Il aurait un impact négatif sur la croissance de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017 ».
Au moment où l'Insee prévoit pour 2014 une croissance à l'arrêt, encore inférieure aux prévisions du gouvernement, et un chômage toujours en hausse, les dirigeants européens seraient inspirés d'écouter ces appels qui se succèdent depuis des élections européennes qui ont largement désavoué les politiques économiques menées depuis 2008.
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