Source : www.reporterre.net
Marie Astier (Reporterre)
jeudi 22 janvier 2015
Près d’Athènes, une ancienne base militaire près d’un aéroport abandonné est bradée par l’État à un grand groupe de tourisme. Contre le béton destructeur du littoral, les riverains occupent le site d’Hellinikon et le cultivent. Et, alors qu’un tiers des Grecs n’ont plus de couverture maladie, ils organisent un centre de santé gratuit. Reportage au cœur d’une lutte cruciale de la Grèce d’aujourd’hui.
La Grèce revient dans les radars des médias. La cause ? Les élections du 25 janvier, qui pourraient ébranler l’Europe des néo-libéraux. La classe dirigeante craint la victoire du parti de gauche Syriza, qu’espèrent au contraire partis de gauche et écologistes.
A l’automne dernier, Reporterre s’est donné deux semaines pour aller voir les Grecs. Aller s’asseoir à la terrasse d’un « kafeneio » pour écouter leurs histoires, leur quotidien, leurs indignations et leurs espoirs. Ils nous ont raconté que quand ils ne sont pas au chômage, leur salaire a diminué d’au moins un tiers. Un tiers, c’est aussi la proportion d’entre eux qui n’ont plus de couverture sociale. Certains ont découvert l’angoisse du frigo vide et de la soupe populaire.
Et du côté de l’écologie ? Ce n’est pas brillant, on vous prévient.
Athènes, reportage
Une bande de terre est fraîchement retournée, les alignements des plants déjà dessinés. Dans chaque trou, Anna Karapa dépose un peu de fertilisant et une jeune pousse. Puis un autre jardinier passe derrière pour arroser. Ce dimanche, on plante des choux pour l’hiver.
« Ici tout est bio, et tout est commun. On décide des plants de culture ensemble et la parcelle n’est pas divisée entre chaque jardinier », explique cette architecte. Cela fait trois ans et demi que, tous les dimanches, ils sont une quinzaine de permanents, une trentaine en comptant les soutiens de passage, à cultiver ces 2.500 mètres carrés de terre.
Car ici, l’activité agricole est avant tout symbolique : on n’est pas seulement dans un jardin partagé, mais sur une terre occupée et âprement disputée. Elle est située sur une ancienne base militaire américaine, et jouxte l’ancien aéroport d’Athènes. En tout, 6,2 millions de mètres carrés et 3,5 kilomètres de côtes situés sur la commune d’Hellinikon, à quelques kilomètres seulement du centre d’Athènes.
Villas de luxe, casino et gratte-ciel
Le tout est à l’abandon depuis plus de dix ans. En 2004, quelques installations pour les jeux olympiques y ont été construites, puis aussitôt délaissées une fois les festivités terminées. Un moment, il a été question d’y installer un grand parc métropolitain. Athènes manque cruellement d’espaces verts, c’est l’une des villes les moins bien loties d’Europe.
Mais la crise a eu raison de cette idée. Le terrain a été transféré au TAIPED, le fonds créé par l’État grec pour privatiser toutes sortes de biens (dont des terres à haute valeur naturelle). Il est en bonne voie pour être vendu au fonds d’investissement Lamda Development, membre du groupe Latsis, du nom de son propriétaire Spiros Latsis. Ce milliardaire est l’homme le plus riche de Grèce. Le groupe grec est accompagné dans son projet par un promoteur d’Abu Dhabi et par le Chinois Fosun – qui, en France, est en train de racheter le Club Med.
Ces riches investisseurs ont convaincu l’État grec grâce à un projet touristique ambitieux : des villas de luxe, un casino, un gratte-ciel qui deviendrait le symbole de la capitale grecque, une marina et une plage réservée aux touristes fortunés. Le tout est assorti de la promesse de sept milliards d’euros d’investissement et de la création de plusieurs dizaines de milliers d’emplois.
La vidéo de promotion parle carrément d’« une nouvelle ère pour la Grèce ».
Une riviera espagnole
« Nous croyons que ce terrain devrait appartenir aux citoyens avec un parc et des aménagements, pour répondre à de vrais besoins sociaux », rétorque Panos Totsikas. Il est assis à l’ombre des arbres, dans le petit salon d’extérieur que se sont installés les jardiniers. « Ils veulent suivre le modèle de la riviera espagnole, en construisant de grands buildings. On a vu ce que ça a donné, ils ont détruit la côte, dénonce -t-il. Architecte lui aussi, il fait partie du Comité en faveur du Parc métropolitain. On ne croit pas que c’est un bon moyen de développer le tourisme, la preuve, en Espagne les hôtels ne sont pas pleins. »
En signe d’opposition à la vente, des habitants de la zone ont déjà commencé à créer leur parc métropolitain. Des associations sportives récupèrent les anciennes installations olympiques, des oliviers ont été plantés un peu plus loin : les 1 500 arbres ont désormais deux ans et mesurent un mètre de haut.
En soutien, l’ancien maire de la commune a donné des terrains et des bâtiments. Au jardin partagé, donc, mais aussi à la clinique sociale d’Hellinikon. Elle ne fonctionne qu’avec des bénévoles, qui sont plus de deux cents, et soigne gratuitement plus de cent patients par jour. Elle répond à une urgence sociale : aujourd’hui un tiers des Grecs n’ont pas les moyens de se faire soigner et n’ont plus de couverture maladie.
Au final, c’est l’État grec qui paiera
Anna désigne les dernières plantes d’été : les tomates ont séché sur pied, les aubergines et les poivrons produisent quelques derniers tout petits fruits. « Cet été, nous passions deux heures par jour à arroser. La terre est pauvre, il faut mettre beaucoup de fertilisants pour faire pousser quelque chose, admet Anna. Mais nous voulons démontrer qu’ici, en plus de planter des arbres, nous pouvons cultiver et nourrir Athènes. » Mais il arrive aussi que la récolte soit abondante : les jardiniers se la répartissent, et en donnent aux services sociaux de la mairie pour les plus pauvres.
Le regard de la cinquantenaire se perd au-delà des grilles du jardin. Derrière, une route où les voitures ne circulent plus, bordée de terrains vagues. « La zone sera vendue 83 euros du mètre carré, alors que le terrain constructible atteint ici les 2.000 euros du mètre carré ! » s’indigne Anna. Le TAIPED a accepté l’offre de Lamda Development à 915 millions d’euros, « alors que le tout a été évalué à 11,5 milliards d’euros », renchérit Panos.
- Anna Karapa -
Paradoxalement, l’État grec devra payer pour vendre ce terrain. « Le contrat stipule qu’il doit retirer tous les aménagements actuels, dont la tour de contrôle de l’aéroport qui se trouve toujours ici », explique Panos. « Et il devra payer les routes, les réseaux, toutes les infrastructures », complète Anna. Total de la facture annoncée : 2,5 milliards d’euros sortis des caisses publiques grecques. Quant au profit de la vente, il ira directement au remboursement des créanciers du pays.
Autre preuve que le contrat est totalement défavorable à l’État grec, selon Anna, une clause prévoit que si des vestiges archéologiques sont découverts pendant les travaux, c’est lui qui indemnisera les investisseurs qui ne peuvent pas construire ce qu’ils avaient prévu. Ce qui risque probablement d’arriver, car une cité antique s’élevait autrefois dans la zone.
Comment les dirigeants grecs peuvent-ils valider un tel contrat ? Panos rigole : « Voyons, ils sont corrompus, comme en France, vous devriez le savoir ! C’est comme cela que ça marche, c’est le capitalisme ! »
Syriza pourrait changer la donne
C’est d’ailleurs parce qu’elle ne croit plus aux politiciens que Varinia Popoli a décidé de s’impliquer dans ce jardin, ainsi que dans la clinique...
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Source : www.reporterre.net