Source : www.reporterre.net
Cécile Raimbeau (Reporterre)
lundi 10 février 2014
A Kiad, au Panama, les Indiens Ngäbe se battent contre un projet de barrage destructeur. Il vise à s’intégrer dans un complexe international de production d’énergie au profit d’intérêts privés.
Kiad (Panama), reportage
Suite de notre reportage. Premier volet : Les Indiens du Panama luttent contre un projet de barrage "écologique".
Manolo et les siens veulent préserver leur petite église où la religion Mama Tata est pratiquée depuis qu’une Indienne a reçu une révélation divine en 1962, rénovant la pratique d’un culte autochtone.
Pour la communauté de Kiad, l’école est tout pareillement sacrée : bien qu’il n’ait jamais été scolarisé, le vieux Manolo y enseigne l’écriture de la langue Ngäbe qu’il a inventée après la prophétie, en utilisant des signes semblables à des hiéroglyphes apparus cette année-là mystérieusement dans la terre.
Ces caractères ressemblent à certains des dessins gravés dans des pierres par les ancêtres. Plusieurs pétroglyphes importants pour transmettre la culture Ngäbe vont ainsi être immergés si le barrage est terminé.
Depuis l’école de Kiad, une longue file indienne s’est constituée en direction du Tabasara. La foule se tient face à un pétroglyphe sacré gravé sur un rocher au milieu du courant. La cérémonie rituelle qu’initie la cacique se déroule dans la fumée : les Ngäbes boivent à tour de rôle une tasse de cacao puisée dans une marmite cuisant au feu de bois sur la berge.
Puis ils éclaboussent de leurs mains la roche sacrée, et marchent dans la rivière pour laver leur corps et leur esprit et contempler l’art symbolique ancestral. Malgré l’intensité de leurs prières, ce pourrait bien être le dernier de ces pèlerinages.
Puisque la firme Genisa a gagné l’appel d’offre, bloquer maintenant le projet mettrait en doute la crédibilité du Panama vis-à-vis des investisseurs, selon Jorge Ricardo Fábrega, le premier ministre panaméen. Pour son gouvernement, le barrage Barro Blanco se situe en-dehors de la réserve et respecte les lois du pays.
Paradis fiscal présidé par le richissime homme d’affaires Ricardo Martinelli, le Panama, il est vrai, a mené une politique particulièrement hospitalière à l’égard des capitaux privés étrangers, souvent aux dépens de sa population. Les manifestations pour défendre le fleuve Tabasara ont systématiquement été réprimées par les forces anti-émeute qui ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur de maigres foules d’Indiens armés de banderoles. « Deux manifestants ont été tués », dénonce la cacique.
Certes, au sein de la communauté Ngäbe, les jeux de pouvoir politique entre les différentes autorités indigènes sont complexes et les voix n’ont pas toujours été unanimes : un débat existe entre ceux qui prônent un développement économique qui profite aussi aux Indiens et ceux qui privilégient la défense de la nature, l’autonomie et la culture. Clementina Perez est de ces derniers : « Le développement, c’est notre dieu Mama Tata qui le construit et nous invite à le protéger, non pas de le détruire ».
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