Il y a dix jours, le Forum mondial de l’eau (FME), grand-messe triennale de l’accès à l’eau, revendiquait plus de 10.000 inscrits pour sa nouvelle édition marseillaise. "Quatre à cinq fois plus qu’au dernier forum en 2009 à Istanbul !", se réjouit Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l’eau, qui organise le forum. Une bonne nouvelle.
La mauvaise, c’est que le Président Nicolas Sarkozy, annoncé pour ouvrir le FME lundi 12 mars, se fera finalement représenter par le Premier ministre François Fillon. "Il ne fait pas bon s’afficher par les temps qui courent dans ce forum marchand", interprète d'emblée Laurent Fléty, porte-parole du Forum alternatif mondial de l’eau (FAME), sorte de "off" qui se tiendra également à Marseille à partir du mercredi 14 mars.
Pour ses détracteurs, le FME serait en effet une vaste kermesse où les géants français de la gestion de l’eau -Veolia, Suez Environnement et la Saur- distribuent leurs cartes de visites et exercent leur lobbying en faveur d'une gestion privée de l'eau. Pour preuve : Loïc Fauchon, grand organisateur du forum marseillais, n’est-il pas aussi président de la Société des Eaux de Marseille, filiale de Veolia?
Pour se refaire une légitimité, le FME 2012 a tenté de faire dans le concret. Moins de déclarations de bonne volonté et de grandes analyses, plus d’action. C’est-à-dire de "solutions". Une plateforme a été créée pour l’occasion, Solutionsforwater, qui a recueilli quelque 1.500 initiatives du monde entier, des plus locales aux plus institutionnelles, pour améliorer les conditions d’accès à l’eau. Une manière de répondre aux associations du FAME. Et de tenter de relever les trois défis de ce 6e forum.
Pas d’illusion : ce FME n’a guère d’autres objectifs que de favoriser, encore et toujours, l’accès à une eau de qualité et dans de bonnes conditions partout dans le monde, sachant que la demande ne cesse d’augmenter. Principale raison : la croissance démographique mondiale (9,1 milliards d’habitants estimés en 2050) et l’évolution des modes de vie.
Celle des standards de confort booste en effet la consommation de l’eau par le secteur industriel, à commencer par la production d’énergie. L’évolution des régimes alimentaires, de plus en plus carnés, gonfle quant à elle la consommation d’eau par l’agriculture, et notamment par l’élevage. Ce secteur capte environ 70% de l’eau douce planétaire. Et sa consommation devrait augmenter d'au minimum 19% d’ici 2050.
La pression de la demande des particuliers est aussi très forte : les villes explosent, et les équipements ne suivent pas. 1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et ceux qui n’ont pas l’eau courante en ville (et l’assainissement) sont plus nombreux qu’ils n’étaient à la fin des années 1990 !
Quand on sait que les zones urbaines devront absorber l’ensemble de la croissance démographique, principalement dans les régions les moins développées, l'action est urgente. Loïc Fauchon plaide :
De même, on sait que le changement climatique exacerbera les stress actuels qui pèsent sur les ressources en eau. Modification de la répartition des précipitations, de l’humidité des sols, fonte des glaciers, amenuisement et salinisation des eaux souterraines… Tout ceci devrait créer des effets de rareté. Particulièrement en Asie du Sud, en Afrique australe, et en Europe centrale et du sud.
Alors que le changement devrait être coûteux -les risques naturels ont coûté 2% à 15% du PIB des pays en développement entre 1990 et 2000- il n’est pas considéré comme une priorité par Loïc Fauchon :
A l’échelle mondiale, plus de 80% des eaux usées ne sont ni collectées, ni traitées. "Avec l’explosion des méga-cités, réapparaissent et progressent les maladies chroniques comme le choléra, la diphtérie et le paludisme, note Loïc Fauchon. Les diarrhées tuent chaque jour 5.000 à 6.000 enfants de moins de cinq ans". L’augmentation globale du nombre de cas de choléra entre 2000 et 2010 a atteint 130%.
Mais la question de la qualité de l’eau se pose également dans les pays développés, fortement exposés à la pollution des nappes phréatiques par les nitrates. Les Etats-Unis font actuellement la plus grosse consommation de pesticides, suivis des pays européens.
Un problème de long terme. En France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) étudie le comportement de ces pesticides dans le sol. Selon Nathalie Dörflinder, chef du service Eau :
Ce qui complique considérablement les études. D'autant que s'ajoutent désormais une nouvelle source de pollution : les "polluants émergents". Des produits pharmaceutiques (pilule contraceptive, paracétamol…), vétérinaires (antibiotiques…) et industriels (nanoparticules…), présents à l’état de traces dans les eaux souterraines et les rivières, et qui passent au travers des stations d’épuration classiques. Leur traitement est un luxe que ne peuvent s’offrir toutes les communes. Et qui, quoi qu’en dise Loïc Fauchon, repose la question des modèles de gestion, publics ou privés, de l’eau.