Source : www.marianne.net
Sur le site communautaire reddit.com, sur lequel entre 25 et 30 millions d’internautes du monde entier viennent débattre chaque mois, les manifestations qui se déroulent actuellement à Kiev sont l’un des sujets les plus commentés. Au moment de la rédaction de cet article, le fil de discussion comptabilise pas moins de 4 257 contributions.
La couverture de ces événements par les internautes mérite d'être décortiquée, car celle-ci esquisse une forme de journalisme participatif permettant de suivre l’actualité en temps réel et de manière particulièrement immersive. Tous les outils disponibles sur Internet sont mis à contribution pour permettre aux internautes de suivre les affrontements qui opposent les manifestants au gouvernement dans les rues de la capitale Ukrainienne.
Les événements de Kiev nous offrent une version augmentée de ce que le journalisme participatif a pu être jusqu'à présent. Depuis les révolutions arabes, les pratiques ont évolué. Nous ne sommes plus seulement dans le témoignage brut apporté par des vidéastes et photographes amateurs. La preuve : pour commencer, un lien Wikipédia permet de contextualiser l'actualité. Il s'agit d'un préambule nécessaire à quiconque prend le train en route et veut connaître la raison de ces émeutes. Le lien est disponible dans plusieurs langues, ce qui facilite l'entrée en matière. Passé cette première étape, l'internaute en quête d'informations peut plonger dans le grand bain du journalisme citoyen, le fameux « cinquième pouvoir ».
Des flux vidéo diffusés en continu permettent de suivre les événements en direct. La retransmission ayant un certain coût, il existe ainsi un lien sur lequel les internautes peuvent donner de l'argent afin d'aider les vidéastes à poursuivre leur live. Signe des temps, les dons via Paypal et en Bitcoins sont acceptés.
Sur cet article, rédigé en russe, on peut apercevoir des manifestants construire une catapulte.
Le forum permet bien sûr à chaque internaute de poser les questions qu’il souhaite. Par exemple : « Quelle loi a été votée ? En tant qu’Américain, je n’ai bien sûr pas la moindre idée de ce qui se passe dans le reste du monde (merci à nos super chaînes d’infos). Toute information sera grandement appréciée… » Le nombre de participants aux différentes discussions garantit d’obtenir une réponse très rapidement et, pourquoi pas, de basculer dans un sous-débat qui ne gênera pas les autres internautes puisque tous les fils s’imbriquent les uns dans les autres. Pour être plus clair, quelqu’un souhaitant s’informer rapidement sur la situation ne lira que les posts commençant le plus à gauche de l’écran. Les autres dévieront de plus en plus sur la droite à mesure qu’ils entreront dans des discussions impliquant un moindre nombre de participant, ou se perdant dans des digressions hors-sujet.
Comme sur Youtube, un système de vote des contributions permet aux « redditors » de hiérarchiser la qualité des informations. Ainsi, les trolls ou autres intervenants peu intéressants seront relégués au fin fond du fil de discussion. Ce principe de modération, basé sur la justice populaire, fonctionne particulièrement bien et il est rare de tomber sur une contribution inutile.
On pourrait citer d'autres avantages à ce traitement pluriel de l'actualité : traductions instantanées, multiplication des anecdotes et points de vues, absence de censure sur le ton employé pour relater un événement...
Le journalisme n'est pas un métier à enterrer pour autant. Si le journalisme citoyen offre quantité de matière brut, le journaliste professionnel doit quant à lui trier le bon grain de l'ivraie, vérifier les faits, synthétiser les informations dans des formats courts et digestes. Plus que jamais, le travail de traitement et de mise en forme de l'information est ce qui justifie la plus-value journalistique. A l'heure où les rédactions rognent sur leur budget investigation et rechignent à envoyer des reporters couvrir des événements à l'autre bout du monde, le journalisme citoyen s'impose plus comme un allié qu'un concurrent direct du journalisme classique. Mais si le champ d'investigation s'est déplacé sur les réseaux sociaux et sur les sites web participatifs, gare, cependant, à ne pas se contenter de revues de tweets biens fainéantes. Le travail n'est pas moins exigeant aujourd'hui qu'il ne l'était hier.
Source : www.marianne.net