C’est une affaire qui va soulever bien des passions et des polémiques : Hind Meddeb, une journaliste franco-tunisienne, s’est enfuie en France plutôt que de se présenter à une convocation de la justice tunisienne, affirmant qu’elle n’avait « plus confiance dans la Tunisie d’aujourd’hui ».
Hind Meddeb avait été interpelée vendredi par la police à la sortie du procès du rappeur tunisien Weld el 15, condamné à deux ans de prison par un tribunal tunisien pour un clip et une chanson violemment hostiles à la police.
A l’annonce du verdict, la jeune femme a manifesté dans la salle d’audience son désaccord avec la décision du juge.
« Nouvelle défaite pour la liberté d’expression »
La veille du procès, elle avait publié une tribune dans Libération, cosignée avec plusieurs rappeurs, affirmant :
« Qi la justice le condamne aujourd’hui, ce sera une nouvelle défaite pour la liberté d’expression en Tunisie. »
Journaliste basée à Paris et notamment chroniqueuse sur France Info, Hind Meddeb est aussi la fille d’Abdelwahab Meddeb, universitaire, écrivain et islamologue réputé, pourfendeur de l’islamisme, habitué des tribunes médiatiques en France. Le père avait pris l’avion pour Tunis dès l’annonce de l’arrestation de sa fille, et exprimé son « soutien indéfectible », même s’il ajoutait au site tunisien Nawaat.org qu’il fallait « calmer le jeu ».
Alors qu’elle était attendue ce lundi au tribunal de Ben Arous, dans la banlieue de Tunis, après avoir été libérée au bout de quelques heures, Hind Meddeb a fait savoir sur sa page Facebook qu’elle avait décidé de s’enfuir de Tunisie et de se réfugier dimanche en France ;
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Dans son long texte sur Facebook, Hind Meddeb raconte les conditions de son interpellation au palais de justice, puis au commissariat :
Ils m’ont descendue dans une cellule qui jouxtait celle dans laquelle ils ont enfermé mon ami Alaa Eddine Yaacoubi, alias Weld el 15 ; il a été surpris et paniqué en me voyant fermement prise de chaque côté par deux policiers.
Après avoir retrouvé mon calme, j’ai demandé aux policiers d’accepter mes excuses. Je leur ai dit que j’étais journaliste et que je n’aurais pas dû protester dans la salle d’audience mais que comme le rappeur Weld el 15 est un ami, j’avais été emportée par l’émotion.
Ils n’ont pas accepté mes excuses. Ils m’ont dit que j’allais rester deux ans en prison avec mon ami Alaa car ma réaction dans la salle d’audience équivalait à un outrage non seulement à agent mais aussi à magistrat, ce qui est passible de deux ans de prison ferme.
Ils ont ajouté que je serai confrontée au même juge qui se vengerait en me condamnant (pourtant je n’ai pas protesté devant le juge, il était déjà sorti au moment des faits).
‘ Ce n’est pas parce que tu es journaliste ou française qu’on ne va pas te condamner ! Tu vas payer ton soutien à Weld el 15 ! Ce soir tu dormiras en prison !’
J’étais terrorisée. J’essayais de les raisonner, mais ils refusaient de m’écouter ou de me parler. Par la suite, on m’a laissée pendant trois heures dans une cellule sans me donner aucune information.
J’entendais d’autres personnes interpellées arriver, les policiers les ont frappés, j’entendais les coups et les cris.”
Un choix controversé
Il suffit de voir les commentaires sous ce texte sur Facebook pour comprendre que ce choix va faire polémique, entre ceux qui saluent son “courage” et ceux qui qualifient sa fuite de “honteuse”.
Son geste met sérieusement en cause des institutions tunisiennes clés comme la police et la justice, mais il fait aussi des vagues parce que son auteure est franco-tunisienne, et la fille d’un homme célèbre mais lui aussi controversé.
Spécialiste de l’islam, Abdelwahab Meddeb a lui-même reconnu qu’il avait observé avec une certaine complaisance le régime de Ben Ali. Il a écrit non sans courage dans un ouvrage consacré à la révolution tunisienne :
“ Nous n’avions pas protesté quand Ben Ali avait procédé à l’éradication des islamistes par la terreur en 1990-1991. Nous en étions même soulagés. ”
Après avoir salué la chute de la dictature, il est devenu de plus en plus critique de la montée en puissance des islamistes en Tunisie, qu’il s’agisse d’Ennahdha au pouvoir ou des salafistes dans la rue.
Cette affaire intervient dans un contexte de plusieurs affaires judiciaires délicates, entre la condamnation des Femen étrangères à des peines de prison ferme, l’affaire d’Amina, la Femen tunisienne, et ce procès du rappeur antiflics.