Médiapart - 21 mai 2012 |
Après son succès aux dernières législatives, où la coalition Syriza a obtenu 16 % des voix, et alors que la Grèce dans l'incapacité de constituer un gouvernement de coalition va revoter le 17 juin, le héraut de l’autre gauche hellène que les sondages placent en tête, Alexis Tsipras, est en quête de reconnaissance européenne. Après avoir en vain tenté de former un gouvernement après le scrutin du 6 mai, où les partis anti-austérité (gauche et extrême droite) ont été majoritaires, Tsipras espère devenir premier ministre, et prépare d’ores et déjà la suite.
Avant de se rendre mardi en Allemagne, où il rencontrera les dirigeants de Die Linke, cet urbaniste de 37 ans a passé son lundi à Paris, où il a rencontré Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, ainsi que les autres responsables du Front de gauche, avant de participer en fin de journée à un rassemblement devant l’Assemblée nationale, appelant à « changer l’Europe ». Face à plus de 200 personnes réunies sous une pluie battante, Tsipras a harangué l’assistance, en grec et avec traducteur, en promettant de « tenir bon ».
Devant de nombreux journalistes, auparavant, il a précisé son propos : « Nous voulons forcer les dirigeants européens à regarder la réalité en face, car la crise grecque concerne tout le monde. Nous voulons faire prendre conscience qu’on ne peut conduire aucun peuple en Europe à un suicide volontaire. » Pour Tsipras, la Grèce n’est pas confrontée à « un simple programme d’austérité », mais à « une expérimentation de solutions néolibérales de choc, qui a conduit mon pays à une crise humanitaire sans précédent ». Et si « l’expérimentation continue, elle sera exportée dans les autres pays européens ».
Quant à l’attitude à adopter face à l’Allemagne, Tsipras affirme : « Merkel doit comprendre qu’elle est une partenaire parmi les autres. Personne n’est propriétaire ni locataire de l’eurozone. » Et ne lui parlez pas de référendum pour sortir de la zone euro, solution à laquelle réfléchirait le gouvernement allemand, il réplique aussitôt : « La Grèce a fait don à l’humanité de la démocratie. Aujourd’hui, le peuple grec rétablit le sens et la portée de ce mot. La Grèce est un Etat souverain, ce n’est pas à Merkel de décider s’il faut un référendum ou non. Le référendum, ce seront les prochaines élections, le 17 juin. » Et selon lui, le choix ne sera alors pas « l’euro ou le drachme », mais « l’espoir ou le drame ».
La dynamique rencontrée en Grèce par la coalition de gauche Syriza semble conforter Alexis Tsipras dans sa volonté de remettre en cause en profondeur les solutions de la troïka : « Il n’y a rien à négocier dans le mémorandum, car on ne négocie pas l’enfer, et ce mémorandum conduit à l’enfer. »
Pour les alter ego français de Tsipras, l’enjeu est bien de transposer le scénario électoral grec au niveau européen, et d’abord français : « Nous lançons aujourd’hui un appel à une réorientation sérieuse de la construction européenne, explique ainsi le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, refusant les politiques d’austérité, s’émancipant de la tutelle des marchés et respectant les votes des peuples. »
Pour Jean-Luc Mélenchon, la percée de Syriza, comme son propre résultat à la dernière présidentielle, sont autant de signes que « la chaîne de la résignation est en train de se rompre en Europe ». Pour le co-président du Parti de gauche, affichant un large sourire aux côtés de Tsipras tout au long de la conférence de presse, « en le regardant, nous nous regardons nous-mêmes ». Et même « si nous ne sommes pas identiques, estime-t-il, nous sommes comparables, notre ambition est commune ».
Devant la foule de parapluies massés devant l’Assemblée nationale, il a aussi lancé : « En 2009, Syriza faisait 4,5 %. Mais ils ont tenu bon, sans faire la moindre concession face à la ligne capitularde du PASOK (le parti socialiste grec - ndlr) ! » La venue en France de Tsipras permet aussi à Mélenchon de critiquer le PS, coupable à ses yeux d’« ostracisation ». « Ce n’est pas convenable. Il vient ici chercher une écoute et la solidarité de la gauche, la camaraderie, l’internationalisme, devraient au minimum se mettre en branle, lâche-t-il. Mais il n’est même pas reçu à Solférino. Le fait qu’il n’y ait pas de curiosité à son égard montre combien le PS est le parti de l’alliance avec le PASOK, le parti du mémorandum. »
La critique vaut aussi pour les dirigeants européens. « Ils devraient faire preuve de réalisme, accepter l’idée d’une victoire de Syriza, et se préparer à la comprendre, au lieu de menacer le peuple grec », assène Mélenchon. « Il nous faut construire un front européen contre le merkelisme, ajoute-t-il. Mais pour saisir cette opportunité, il ne faut pas que François Hollande commence à céder. » Alexis Tsipras, lui, se fait plus diplomate avec le nouveau président français. « Nous comprenons qu’il n’accepte de rencontrer que des chefs d’Etat, explique-t-il. Mais il faudra que ce qu’il disait avant d’être élu soit toujours valable après. Car si les Français ont envoyé Sarkozy en vacances au Maroc, c’est pour faire une autre politique. Sinon, il sera effectivement Hollandréou. »
Et le leader de Syriza de paraphraser le François Hollande du Bourget : « Notre adversaire n’a pas de visage, pas de programme, pas de parti, mais c’est lui qui nous gouverne. Il s’agit du capital. » Comme pour souligner que les deux gauches peuvent parfois tenir le même discours.