La dette publique est aujourd'hui hissée au rang de fléau ultime. Un mot d'ordre est répété en boucle : pas de croissance sans désendettement, et pas de désendettement sans austérité. Pour renouer avec la prospérité, encore faudrait-il que les populations acceptent de se serrer la ceinture. C'est en tout cas, sur l'air de «There is no alternative», le message qui leur est envoyé. Et c'est le point de départ d'un essai qui défend une approche aussi radicale que différente.
Loin d'être un problème à résoudre, la dette est au contraire présentée par Maurizio Lazzarato comme une formidable aubaine pour les néolibéraux. Mieux, une technique de pouvoir au service de l'accomplissement d'un vieux rêve. «L'enjeu n'est pas l'équilibre budgétaire», affirme le philosophe, il est autrement plus ambitieux. En effet, la crise permet de délivrer l'Etat «de l'emprise de la lutte des classes, de la pression des revendications sociales et de l'élargissement des droits sociaux». Et d'imposer des prélèvements multiples : impôt, réduction du salaire nominal, coupe dans les dépenses sociales comme les retraites, augmentation des prix, privatisations...
La culpabilité est le ressort et la force d'une telle politique : «A lire les journaux, à entendre les experts, les hommes politiques, tout le monde est coupable (les travailleurs, les retraités, les chômeurs, les malades, les assurés sociaux, etc.), tout le monde sauf les financiers et les banquiers.» Ou comment rendre les populations responsables d'une dette qu'elles n'ont pas contractée. Cette stratégie, qui façonne les subjectivités, a été expérimentée dans les universités américaines où «l'étudiant [débiteur] contracte ses dettes de son propre chef» et organise sa vie en fonction de ses remboursements. Le vrai fléau tient sans doute à l'intériorisation d'une telle obligation.
Gouverner par la dette , de Maurizio Lazzarato, Les Prairies ordinaires, 240 p., 16 €.