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21 février 2012 2 21 /02 /février /2012 15:43

L'air du monde | LEMONDE | 21.02.12 | 14h03

par Sylvie Kauffmann (L'air du monde)

 
 

Jerez de la Frontera, en Andalousie, est une ville de 212 000 habitants, célèbre pour ses vignes et son circuit automobile, où Ayrton Senna remporta un jour un Grand Prix de formule 1 pour 14 millièmes de seconde d'avance. Jerez a désormais une autre spécialité : c'est une ville en faillite.

Aucun des quelque 2 400 employés municipaux ou du secteur public local n'y a été payé depuis décembre. Les autobus sont en grève et, faute de carburant, ceux qui desservent les zones rurales alentour n'assurent plus que la moitié du service. Les installations sportives de la ville n'ont pas ouvert depuis un an, car on leur a coupé l'électricité. Un tiers des lampadaires publics ne s'allument plus. L'immeuble des affaires sociales, inauguré il y a un an, n'a pas non plus l'électricité ; les fonctionnaires y travaillent avec un générateur à essence et sans chauffage.

Chaque jour voit son lot de manifestations, d'occupations de lieux publics, de réclamations : un jour, ce sont les policiers municipaux, un autre, les employés du cimetière, le lendemain, les dames de l'association de services à la personne, incapable de les payer car la mairie n'a pas versé les subventions.

Jerez a commencé l'année avec zéro euro dans ses caisses. Pour un budget de 222 millions, elle était arrivée, fin 2010, à une dette de 958 millions. La course effrénée à l'endettement s'est arrêtée là. "Etranglée, Jerez agonise", résumait El Pais dimanche 19 février. En Espagne, les villes ruinées comme Jerez se comptent par douzaines.

Le lecteur du quotidien espagnol se sent moins seul en tournant les pages. Ses voisins portugais, apprend-il, connaissent "un enfer particulier", celui de "vivre troïkés" (troikados). "Troïké", néologisme désignant ceux qui vivent sous le régime de la "troïka" - mission composée de représentants de la Banque centrale européenne, du Fonds monétaire international et de la Commission européenne - depuis que la zone euro a contraint le Portugal, comme la Grèce, à remettre leurs finances publiques en ordre.

Vivre "troïkés", c'est un peu comme vivre à Jerez, mais avec en prime la visite des fonctionnaires étrangers qui viennent dispenser leur expertise au gouvernement. "Ils sont là, sur la photo du "Diario de noticias", traversant la place du Commerce à Lisbonne, jeunes, modernes, souriants, en costume, avec leurs lunettes de soleil et leurs ordinateurs portables dans leurs petites sacoches noires", écrit le journaliste d'El Pais. Et cette image tranche terriblement avec celle d'un pays qui se délite, où les ambulances restent garées dans les parkings, où l'on ferme des salles de classe car le nombre d'enseignants a été réduit de 10 %, où les autoroutes magnifiques sont désertes. Comme résignés devant "cette vie qui recule de jour en jour". Les Portugais, cependant, sont moins remuants que les habitants de Jerez.

Ce qui n'est pas, on le sait, le cas des Grecs. Personne ne suit les nouvelles de Grèce plus que les Espagnols, avec cette curiosité des co-bagnards et l'idée un tout petit peu réconfortante que ce bagne-là est quand même pire que ce bagne-ci. A Athènes, lorsque la nuit tombe, lit le lecteur d'El Pais, quand les touristes se retirent, "les sans-logis commencent à affluer sur les trottoirs, sous les portes cochères, réfugiés sous de petites constructions de cartons et des couvertures. Certaines places se transforment en dortoirs et, rue Sofokleous, on distribue de la nourriture".

C'est la réalité de 2012, au sud de la zone euro. L'Italie de Mario Monti s'est elle aussi mise à l'heure de la rigueur, mais elle le vit différemment. L'évasion fiscale est devenue l'ennemi public numéro un, donnant lieu à un délit de faciès d'un genre nouveau : mieux vaut avoir sa déclaration de revenus dans la boîte à gants de sa Maserati, les contrôles sont fréquents. C'est une des raisons pour lesquelles les mesures d'austérité sont mieux acceptées en Italie, ou même en Espagne, qu'en Grèce : les dirigeants ont le souci de montrer que le fardeau ne repose pas que sur les épaules des classes moyennes et populaires.

Mario Monti a renoncé à ses traitements de président du conseil et de ministre de l'économie, et mis l'Eglise catholique à contribution. En Espagne, Mariano Rajoy, le chef du gouvernement, a limité son salaire annuel à 78 185 euros (à titre de comparaison, celui du président Sarkozy approche les 240 000 euros). Les présentateurs de la télévision publique, les directeurs d'entreprises publiques ont accepté une baisse de leurs rémunérations de 25 % à 30 %. Les salaires de l'ensemble des fonctionnaires espagnols, réduits de 5 % en 2011, sont gelés en 2012.

A l'inverse, la Grèce, comme le souligne l'économiste Jean Pisany-Ferry, réduit le salaire minimum mensuel à 483 euros mais néglige "le fait que l'évasion fiscale des 10 % supérieurs se traduit par une perte d'un quart des recettes de l'impôt sur le revenu". Politiquement et socialement, cette inégalité devant le sacrifice n'est pas tenable.

Autrefois coupée en deux entre l'Est et l'Ouest, l'Europe expérimente ainsi une nouvelle fracture, une fracture Nord-Sud : le nord de la zone euro est l'Europe du triple A, de la croissance, même modeste, des services publics efficaces, des taux de chômage tolérables. Cette Europe-là est une terre d'accueil pour immigrants qualifiés.

Au sud de la zone euro se trouve l'Europe de la triple ruine, de la récession et du chômage, où l'endettement a conduit aux situations décrites plus haut. Les jeunes et les chercheurs fuient cette Europe "troïkée" pour trouver du travail, en Europe du Nord ou en Amérique latine.

Cette inégalité-là, entre les deux zones, est-elle politiquement tenable ? La question est particulièrement pertinente pour la France, qui est à la fois au Nord et au Sud, mais qui, en termes de discipline budgétaire et d'endettement, est plus proche du Sud que du Nord. Ce n'est pas tout à fait un hasard si, d'après un sondage IFOP, la moitié des Français, et 62 % des ouvriers, craignent un scénario grec pour leur pays.


kauffmann@lemonde.fr

 

 

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