La validation du mécanisme de la #transparence par le Conseil constitutionnel place la France au premier rang des démocraties en Europe.
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En validant mercredi les grands principes de la loi sur la transparence, le Conseil constitutionnel s'épargne un procès en ringardisme et sauve la mise de l'exécutif. Mais il censure des dispositions importantes et amoindrit encore la portée de cette loi écrite après les aveux de Jérôme Cahuzac.
La décision du Conseil constitutionnel était attendue jeudi. Elle est en fait tombée mercredi matin : le président du Conseil, Jean-Louis Debré, a discrètement avancé le calendrier. Même le gouvernement n'était pas au courant. « Nous avons pris tout le monde de vitesse afin que le Conseil ne soit pas l'objet de pressions, avec des caméras en bas attendant notre décision », explique Debré, interrogé par Mediapart.
Depuis une semaine, la presse, Mediapart compris, se faisait l'écho des inquiétudes de l'exécutif. Au vu de leurs échanges informels avec le Conseil constitutionnel, l'Élysée et Matignon craignaient une censure de la loi sur la transparence de la vie politique. Ce qui aurait fait très mauvais genre pour un texte concocté en urgence après les aveux de Jérôme Cahuzac, le 2 avril dernier.
Finalement, s'il y a bien eu censure partielle, les grandes têtes de chapitre de la loi sur la transparence, définitivement votée en septembre, ont été validées. Déclarations de patrimoines et d'intérêt pour 7 000 élus et hauts fonctionnaires ; création d'une Haute autorité dotée de pouvoirs pour les contrôler ; publication de la “réserve parlementaire” ; protection des lanceurs d'alerte ; interdiction des micro-partis qui permettent de contourner la loi sur le financement politique, etc. : l'architecture générale de ce que la droite a appelé les « lois Cahuzac » reste intacte.
• Le communiqué de presse du Conseil constitutionnel.
• Les deux décisions de mercredi (l'une concerne la loi ordinaire, l'autre la loi “organique”)
Bon prince, le Conseil a même accepté d'interdire « toute autre activité professionnelle ou salariée » à ses propres membres. Sitôt la loi promulguée, Nicolas Sarkozy, membre de droit en tant qu'ancien chef de l'État, ne pourra donc plus exercer le métier d'avocat ni monnayer sa présence dans des conférences rémunérées. Il est probable que l'ancien chef de l'État choisisse plutôt de ne plus mettre du tout les pieds au Conseil constitutionnel. « Si un membre continue d'exercer des activités professionnelles, il ne vien[dra] plus », confirme Jean-Louis Debré.
La décision de ce mercredi ressemble à s'y méprendre à un compromis entre l'exécutif et le Conseil constitutionnel. François Hollande aurait payé très cher la remise en cause d'une ou de plusieurs mesures phare de la loi. Quant au Conseil constitutionnel, il évite ainsi d'alimenter le procès en ringardisme qui lui est souvent fait. Un haut fonctionnaire assure que le sort de la loi sur la transparence a été évoqué « en haut lieu » ces derniers jours. Le chef de l'État et Jean-Louis Debré en ont-ils discuté ? « Il n'y a jamais de négociation ou de discussion avec l'exécutif, jure Debré. Nous nous contentons de vérifier la constitutionnalité de la loi. » « Les membres du Conseil constitutionnel ont eu un mouvement d'humeur, mais ils n'avaient pas beaucoup d'arguments juridiques à nous opposer », veut croire un connaisseur du dossier.
Selon Najat Vallaud-Belkacem, c'est un François Hollande « réjoui » qui a salué la nouvelle en conseil des ministres ce mercredi. Sur Twitter, le ministre des relations avec le Parlement, Alain Vidalies, a applaudi :
La validation du mécanisme de la #transparence par le Conseil constitutionnel place la France au premier rang des démocraties en Europe.
Mais même si les apparences sont sauves pour le gouvernement, le Conseil constitutionnel, dont la décision est sans appel, a partiellement censuré la loi. « Quinze dispositions au cœur des lois relatives à la transparence de la vie publique » ont ainsi disparu, s'alarme l'association Regards Citoyens. « Il y a des motifs de déception et des reculs », abonde Myriam Savy, de l'ONG Transparency International France (TI France).
Le renoncement le plus frappant concerne les activités annexes des parlementaires. Une semaine après les aveux de Jérôme Cahuzac, le 10 avril, le chef de l'État annonçait l'interdiction de cumuler un « mandat parlementaire avec certaines activités professionnelles pour prévenir tout conflit d'intérêts », allusion à l'ancienne activité de consultant pour les labos pharmaceutiques de Jérôme Cahuzac. « Est-il acceptable qu’un parlementaire (soit) à la fois consultant ou avocat d’affaires ? Je dis non, ça sera terminé », disait alors Jean-Marc Ayrault aux députés.
Les parlementaires n'avaient pas caché leurs réticences. Un compromis avait été trouvé, qui limitait (un peu) l'activité d'avocats d'affaires et interdisait toute activité de conseil. Mercredi, le Conseil constitutionnel a fait sauter ces « interdictions » au motif qu'elles « excédaient manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté du choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou prévenir les risques de confusion ou de conflits d'intérêts ». Un député ou un sénateur pourra donc continuer à être avocat d'affaires (ce fut le cas de Jean-François Copé) ou à créer des sociétés de conseil pour monnayer le carnet d'adresses qu'il s'est constitué en tant que ministre (comme François Fillon, Luc Chatel ou certains socialistes).
Pour Myriam Savy, de TI France, c'est à la fois « un recul et une importante source potentielle de conflits d'intérêts ». « Les parlementaires pourront continuer à facturer du conseil à qui ils le souhaitent en tant, par exemple, qu'avocats d'affaires ou lobbyistes, et pourront même débuter une nouvelle activité professionnelle en cours de mandat », s'insurge l'association Regards Citoyens, qui y voit « un sacré coup porté par le Conseil à l'exemplarité et la revalorisation des élus ».
Deuxième recul : seules les déclarations d'intérêts des élus seront publiées. La loi prévoyait de contraindre 7 000 hauts responsables de l'État à lister leurs activités, fonctions, rémunérations etc. dans un document vérifié par la Haute autorité et ensuite publié sur son site: ministres et membres des cabinets, collaborateurs du président de la République, de l’Assemblée et du Sénat, députés y compris européens, hauts fonctionnaires nommés en conseil des ministres, maires de communes de plus de 20 000 habitants, patrons d’entreprises publiques, etc.
Sauf que pour le Conseil constitutionnel, publier les déclarations d'intérêt des « personnes qui n'exercent pas des fonctions électives ou ministérielles mais des responsabilités de nature administrative (…) est sans lien direct avec l'objectif poursuivi et porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ». Du coup, seul un gros millier de déclarations d'intérêt seront publiées : celles des députés, des sénateurs et des présidents d'exécutifs locaux.
« La publicité aurait permis aux citoyens et aux journalistes d'accéder aux informations. Faute de publicité, il faudra que la Haute autorité assure le contrôle seule, mais en aura-t-elle les moyens? » s'interroge Myriam Savy. Autre limite : la Haute autorité n'aura connaissance que de l'activité professionnelle des conjoints, mais pas des parents et des enfants. « De la transparence au rabais », juge Tangui Morlier, de l'association Regards Citoyens.
Autre cas de « censure » : les déclarations de patrimoine des “barons” locaux (présidents de conseils généraux, régionaux, maires des grandes villes, etc.) resteront sous clé et ne pourront pas être consultées en préfecture comme le prévoyait la loi. Là encore, le Conseil constitutionnel invoque « une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ». Sans que l'on saisisse ce qui rend les grands élus locaux si différents des parlementaires…
Enfin, le Conseil constitutionnel limite les pouvoirs d'injonction de la Haute autorité : elle ne pourra pas “enjoindre” un élu en situation de conflit d'intérêts d'y mettre un terme si cela implique qu'il démissionne. Pour les parlementaires, elle devra d'abord s'adresser au bureau des Assemblées. Elle restera tout aussi désarmée face aux élus locaux, aux hauts fonctionnaires… ou aux ministres. Si elle avait existé au moment de l'affaire Bettencourt, et si elle avait estimé qu'il y avait un conflit d'intérêts en raison de son rôle supposé dans l'embauche de sa femme par Liliane Bettencourt alors qu'il était ministre du budget, la Haute autorité n'aurait pu demander à Éric Woerth de quitter son poste de ministre. « La Haute autorité pourra bien demander au Parquet d'intervenir, mais pas sûr que cela aille jusqu'au bout », s'inquiète Tangui Morlier, de Regards Citoyens.
Il empêche aussi la Haute autorité de « rendre publiques des appréciations sur les déclarations de patrimoines » des candidats à l'élection présidentielle « dans les derniers jours de la campagne électorale ». Un candidat dont la déclaration serait mensongère pourrait passer entre les mailles du filet si la Haute autorité s'en rend compte peu de temps avant l'élection...
La décision du Conseil constitutionnel passée, vient l'heure du bilan. Six mois après les aveux de Jérôme Cahuzac, que reste-t-il des annonces faites par François Hollande les 3 et 10 avril, lors de deux allocutions télévisées solennelles au plus fort du séisme ? Peu de choses. La réforme du conseil supérieur de la magistrature qui devait « être votée au Parlement dès cet été » pour renforcer l'indépendance de la justice ? Enterrée en juillet, faute de majorité des 3/5es au Congrès. La « publication et le contrôle des patrimoines des ministres et des parlementaires » ? Le contrôle sera assuré par la Haute autorité, à condition qu'elle en ait les moyens, ce qui n'est pas encore évident, même si le gouvernement s'y engage. La publication, elle, n'est plus que très partielle, uniquement possible dans la préfecture du département concerné, et désormais rendue impossible pour certains élus.
L'interdiction « de tout mandat public » pour les « élus condamnés pour fraude fiscale ou corruption » ? Elle n'aurait sans doute pas passé le cap du Conseil constitutionnel et s'est transformée en peine d'inéligibilité de dix ans (le double de ce qui existe aujourd'hui).
Quant aux parlementaires, ils pourront continuer à mélanger allègrement les genres et les intérêts. Même si la loi contient des avancées salutaires, on est loin de la grande rénovation démocratique promise.
Ci-dessous, les deux déclarations vidéo de François Hollande, les 3 et 10 avril 2013. Le 2 avril, Jérôme Cahuzac a avoué avoir détenu un compte en Suisse.