L'Assemblée nationale adopte, mardi 17 septembre, la loi sur la transparence des élus, annoncée après la tempête Cahuzac. Mercredi, le Sénat examine le cumul des mandats, une promesse de François Hollande. Ces textes contiennent des avancées... plombées par les conservatismes.
C'est la fin d'un long calvaire parlementaire. Après des mois de navette entre les deux assemblées, les députés adoptent définitivement les lois sur la transparence de la vie politique ce mardi 17 septembre. Les « lois Cahuzac » selon l'opposition : c'est bien en réaction au scandale Cahuzac, et à la hâte, qu'elles ont été écrites au printemps. Mercredi 18 septembre, le Sénat s'empare de la limitation du cumul des mandats, une promesse de François Hollande. Les sénateurs, très hostiles, devraient le rejeter. Mais le texte sera voté cet hiver par les députés qui ont le dernier mot.
Cumul des mandats, transparence : ces projets de lois contiennent des avancées. Mais ils ont aussi des lacunes, fruit du conservatisme des élus et de la frilosité du pouvoir.
Transparence : des mois de polémiques
« On ne peut pas sérieusement prétendre (...) que ces textes sont au rabais », affirme le ministre des relations avec le Parlement, Alain Vidalies. Mais les lois sur la transparence auraient pu être bien plus ambitieuses.
- La transparence des patrimoines
François Hollande l'avait promise, dans la panique de l'affaire Cahuzac. Mais au printemps, les parlementaires se rebiffent. Le président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone, part en guerre contre la « démocratie-paparazzi ». Un accord est trouvé. Puis au Sénat, cet été, coup de théâtre : la publication des patrimoines au Journal officiel (ce que réclamait le PS... il y a 25 ans ) est adoptée.
Le texte définitif, repassé une dernière fois par l'Assemblée la semaine dernière, revient au « point d'équilibre » du printemps. Qui ne satisfait pas grand-monde... Le patrimoine et le revenu des élus seront consultables, mais seulement par des habitants du département. Un registre des personnes ayant consulté ces informations sera tenu en préfecture. Les divulguer fera encourir 45 000 euros d'amende (la peine de prison d'un an envisagée a été supprimée). Cette sanction reste « très forte », selon Transparency International, qui a analysé le texte en détail. La Haute Autorité ne publiera au JO que les noms des élus dont elle estime que l'évolution du patrimoine pose problème. François Hollande avait décrété à la hâte la possibilité pour le juge de prononcer une peine d'inéligibilité à vie envers les élus condamnés pour fraude fiscale. Ce sera dix ans, deux fois plus qu'aujourd'hui. C'est ce qu'il avait promis dans son programme présidentiel.
- Le rôle de la haute autorité pour la transparence (HAT)
Environ 7 000 élus et responsables devront remplir une déclaration de patrimoine. Cette autorité indépendante sera chargée de vérifier l’exactitude des déclarations et publiera sur son site les déclarations d'intérêt. En cas de mensonge, l'élu encourt 3 ans de prison et 45 000 euros d'amende. Elle pourra s'auto-saisir, être saisie par les associations de lutte contre la corruption, ou par des lanceurs d'alerte dont le rôle est reconnu. Mais si la HAT est censée disposer des « moyens humains nécessaires », elle n'a pas de moyens d'enquête en propre. Elle a un pouvoir d'injonction (demander aux intéressés ou à leurs proches des informations fiscales), mais qui ne s'applique pas aux parlementaires.
Elle peut s'adresser à l'administration fiscale pour obtenir communication de détails sur le patrimoine d'un élu, et lui demander de lancer une procédure d'assistance internationale. Transparency International estime que la formulation alambiquée de la loi pourrait « laisser à l’administration fiscale une marge d’appréciation des éléments à transmettre ». La HAT ne peut pas s'adresser à Tracfin, la cellule de Bercy contre le blanchiment de capitaux.
- Les incompatibilités
Au départ, l'interdiction de toute activité professionnelle avait été posée en principe. Il fut ensuite question d'interdire certaines professions, à commencer par le conseil (plusieurs élus de gauche ou de droite ont leur société de conseil – voir cet article de Mediapart ou sur Rue89) – ou le journalisme (les sénateurs Baylet et Dassault sont aussi patrons des quotidiens La Dépêche et Le Figaro). Mais un lobbying forcené a eu raison d'une partie des intentions de départ. Du coup, le dispositif est assez complexe. Les nouveaux députés ne pourront pas commencer d'activité professionnelle. Le conseil est banni, mais pas pour les avocats et d'autres professions réglementées. À condition de ne pas travailler pour une entreprise liée à l'État, le métier d'avocat d'affaires (un temps exercé par Jean-François Copé) peut être poursuivi. Les patrons de presse n'ont plus de souci à se faire. Par ailleurs, les membres du Conseil constitutionnel ne pourront exercer d'autres activités.
- Les conflits d'intérêts
Une définition du conflit d'intérêts est inscrite dans la loi. Le texte oblige les ministres et élus en situation de conflit d'intérêts de se « déporter » et encadre le pantouflage (le fait de monnayer son carnet d'adresses dans le privé). Les parlementaires devront publier le nom et les fonctions des 2 400 collaborateurs parlementaires, une avancée (voir ici pourquoi).
- Les micro-partis
Véritables coquilles vides dont la multiplication sert à contourner les lois sur le financement politique, les micro-partis sont vidés de leur substance. Une seule personne ne pourra pas donner plus de 7 500 euros à des partis, cotisations comprises. Les partis seront tenus de déclarer la liste de leurs donateurs.
- La réserve parlementaire
La distribution, chaque année, de cette énorme masse financière de 150 millions d'euros, jusqu'ici utilisée selon le bon vouloir des parlementaires, sera rendue publique. Une avancée que l'on doit au Sénat (lire ici une série d'articles sur le sujet).
Cumul des mandats : ce qui manque
La loi interdit la détention simultanée d'un mandat de parlementaire et d'un mandat d'exécutif local (maire, maire d'arrondissement et adjoint au maire ; président et vice-président de communautés de commune, de conseil régional et général). C'est une petite révolution. Car aujourd'hui, 338 députés et 211 sénateurs, soit 549 parlementaires sur 925, sont en situation de cumul au regard de ces critères ! D'ici quelques années, le paysage politique devrait donc évoluer, de nouvelles têtes émerger. Il n'est pas sûr pourtant que le paysage politique en soit bouleversé, car pour l'instant en tout cas, les élans les plus réformateurs ont été bridés.
- 2017 au lieu de 2014
« Je voterai une loi sur le cumul des mandats. » Dans son programme présidentiel, François Hollande n'avait pas donné de date. Mais dès juillet 2012, Jean-Marc Ayrault annonce une application « en 2014 », pour les municipales. Pourtant, face à la bronca d'une partie de la majorité, et au risque de voir se profiler une litanie de démissions de parlementaires préférant leur mandat local (ce qui aurait pu mettre en danger la majorité PS à l'Assemblée), l'Élysée recule. En février 2013, le Conseil d'État préconise de repousser l'application au 31 mars 2017. Il sera donc encore possible de cumuler un mandat de parlementaire et un exécutif local pendant près de quatre ans.
- Des fonctions pas concernées
En plus des mandats parlementaires, une série de “fonctions” locales ne seront plus compatibles avec un mandat de parlementaire : présidence ou vice-présidence de syndicats intercommunaux (par exemple de gestion des ordures ménagères), de syndicats mixtes et de sociétés d'économie mixte, présidence du conseil d'administration d'un établissement public local (caisse des écoles, CCAS), etc. Mais d'autres fonctions ne sont pas concernées : par exemple la direction des établissements publics d'aménagement (les quatorze “EPAD”, type Défense ou Saclay). « Notre objectif est bien d'étendre l'incompatibilité aux fonctions annexes. S'il y a des manques, on complétera en seconde lecture », promet le rapporteur PS de la loi à l'Assemblée, Christophe Borgel.
- Pas de plafonnement des indemnités
Pour s'assurer une majorité absolue à l'Assemblée (indispensable pour les lois “organiques” comme celle-ci), les responsables socialistes du texte se sont gardés de proposer un tel plafonnement : pas question de froisser leurs collègues cumulards. Les amendements des écologistes, des radicaux de gauche et de l'UDI ont tous été retoqués. Sans modifications, on en resterait donc à partir de 2017 au régime actuel : impossible pour un parlementaire de toucher, mandats non exécutifs locaux compris, plus d'une fois et demie l'indemnité parlementaire (8 272 euros brut).
La semaine dernière, les sénateurs ont bien adopté en commission un amendement de Gaëtan Gorce (PS) qui propose d'abaisser ce montant maximal à l'indemnité de base du parlementaire (5 514 euros). Mais son avenir semble compromis. Certains sont pour (Laurence Dumont, responsable du texte pour le groupe PS de l'Assemblée, s'y dit « favorable ») mais Christophe Borgel estime que le non-cumul des indemnités « n'est pas le sujet ». Pour de nombreux parlementaires déjà sceptiques, cette nouvelle contrainte est un chiffon rouge.
- Pas de limitation du cumul dans le temps
Avant l'été, une petite trentaine de députés frondeurs avaient fait voter à la surprise générale un amendement limitant le cumul dans le temps à trois mandats successifs, contre l'avis du gouvernement. Une mesure qui aurait pu contribuer à aérer la vie politique, alors que depuis depuis le milieu des années 1970, entre 20 et 30 % des députés (des hommes dans l'écrasante majorité) en sont à leur quatrième mandat au moins. Mais la porte a été bien vite refermée. Bruno Le Roux, le président du groupe socialiste à l'Assemblée, a clos le débat « au bazooka ». « J'y suis farouchement opposé, explique Borgel. Ceux qui ont le plus d'autorité ont aussi le plus d'expérience. Ce serait un affaiblissement considérable pour le Parlement. »
- Pas de limitation des mandats locaux
Les gros barons locaux peuvent dormir tranquilles. À condition d'abandonner à partir de 2017 leur mandat national de parlementaire, ils pourront continuer à cumuler plusieurs fonctions locales, et les indemnités qui vont avec. « La loi fait l'impasse sur le cumul des présidents de région et des grands élus locaux, déplore le sénateur PS Rachel Mazuir. Ils risquent à l'avenir de devenir les interlocuteurs principaux du gouvernement face aux parlementaires. » Et le sénateur de citer un exemple très concret. « Que va peser à l'avenir un parlementaire du Rhône qui ne cumule plus alors que le maire de Lyon Gérard Collomb est localement président de tout ce qui est essentiel ? » Collomb, sénateur PS, maire de Lyon et président de la communauté urbaine, cumule à peu près toutes les fonctions locales d'importance. Et il pourrait demain, tout en n'étant plus sénateur, devenir l'homme fort de la future grande métropole lyonnaise…
« Il faut évidemment limiter le cumul des mandats locaux, qui est parfois excessif et pose la question des conflits d'intérêts », souligne Laurence Dumont. Mais en réalité, personne ne semble très pressé. « C'est une prochaine étape, mais on ne peut pas le faire alors qu'arrivent des élections municipales », plaide Christophe Borgel. « Nous n'avons pas de projet de non-cumul des fonctions locales au-delà de ce qui existe déjà », a martelé la semaine dernière le ministre de l'intérieur Manuel Valls.
- Pas de réforme du Parlement
Sans le cumul, les parlementaires seront-ils moins godillots qu'aujourd'hui ? Oui, affirment les promoteurs de la réforme, puisque les parlementaires auront plus de temps pour faire la loi et exercer leur fonction de contrôle et d'évaluation de la politique du gouvernement, deux prérogatives du Parlement qui restent théoriques.
L'argument est rejeté par Alain Richard, sénateur PS et ancien ministre de Lionel Jospin, qui brandit au contraire le risque de parlementaires “hors sol” bataillant pour rester au contact des électeurs face à leurs concurrents. « La répartition du temps parlementaire restera ce qu'elle est car ils devront assurer leur survie politique en intensifiant leur propagande politique locale. » Selon le constitutionnaliste Olivier Beaud, la réforme du cumul des mandats pourrait même « aggraver la présidentialisation ». « À l'heure actuelle, que cela plaise ou non, l'existence de "grands barons" au sein du Parlement constitue un contre-pouvoir. »
Cette interrogation est partagée par des élus favorables à la loi. Car rien n'est prévu pour muscler les pouvoirs du Parlement. « Abroger le cumul ne renforcera pas la situation des parlementaires si on ne leur accorde pas les moyens humains, matériels et juridiques pour contrôler le gouvernement ou se confronter à l'armada de Bercy ou du ministère de la justice », estime Gaëtan Gorce. Rien n'est prévu non plus pour accroître les moyens des parlementaires.
« Au Sénat américain, les élus ont un "staff" de 10 personnes et donc la capacité de mobiliser de l'expertise. Nous, nous avons deux ou trois collaborateurs, dont un en circonscription… », résume le député PS Matthias Fekl. Ce non-cumulard plaide pour une réduction du nombre de députés « entre 450 et 500, contre 577 aujourd'hui », autant d'économies qui permettraient d'augmenter l'enveloppe consacrée à la rémunération des collaborateurs parlementaires. Un temps évoquée dans l'entourage de François Hollande, cette réduction du nombre de députés semble aujourd'hui enterrée.
- La victoire des apparatchiks ?
L'argument est souvent brandi par les partisans du cumul. De fait, pour recruter leurs nouvelles recrues, les partis vont aller piocher dans leur vivier militant. Par ailleurs, nul doute que les cumulards qui lâchent leur mandat de parlementaire d'ici 2017 vont garder le siège au chaud pour leurs poulains. « On prépare le remplacement des cumulards par leurs collaborateurs ou leurs camarades d'organisation partisane », s'inquiète Alain Richard. Un exemple parmi d'autres : il y a quelques jours, le sénateur PS Alain Le Vern, président du conseil régional de Haute-Normandie, a annoncé son retrait de la vie politique... et dans le même temps désigné ses successeurs au Sénat et au conseil régional.
D'autant que le texte sur le cumul des mandats va autoriser un suppléant de député ou de sénateur à le remplacer automatiquement en cas de démission. Jusqu'ici, ce cas était réservé à des circonstances exceptionnelles, en cas de nomination au gouvernement ou de décès du titulaire. Et une démission provoquait une élection législative partielle. « Manuel Valls voulait absolument éviter des partielles gênantes », explique un parlementaire. Cette logique partisane peut limiter l'émergence de profils originaux.
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