Source : www.reporterre.net
Grégoire Souchay (Reporterre)
samedi 15 novembre 2014
Ce samedi 15 novembre, la FNSEA et la Coordination rurale appellent à manifester à Albi en soutien au projet de barrage de Sivens. Déjà, mercredi 5 novembre, trois mille agriculteurs avaient manifesté à Toulouse et ailleurs, pour ce barrage et contre « les normes écologiques ». Reporterre les a rencontrés et écoutés.
Toulouse, correspondance
Il faut un peu ruser pour parvenir à discuter avec les centaines d’agriculteurs de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Expoitants d’Agricoles) réunis ce mercredi à Toulouse. Parce que, comme il est répété au micro de la manifestation : « Les journalistes parisiens ne comprennent rien au monde agricole, dans leurs bureaux. Qu’ils viennent voir ce que c’est notre métier sur le terrain ».
Un mélange de mauvaise foi et d’affirmation de groupe, quasi exclusivement masculin, pour savoir qui est légitime ou pas pour parler de l’agriculture. Alors, le journaliste exagère un peu ses origines rurales et sa proximité avec son grand-père agriculteur pour que la discussion s’installe.
« Rester compétitif »
Le mot d’ordre du jour : « Produire français » contre « les normes imposées par Bruxelles » et surtout par le gouvernement, « qui cherche toujours à laver plus blanc que blanc, à être meilleur que les autres ».
Preuve en est la question des zones vulnérables, que nous explique Philippe Jougla, président de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) du Tarn : « La France s’est faite épingler par Bruxelles pour les nitrates. Résultat, au lieu de payer l’amende, elle a décidé du jour au lendemain d’abaisser les seuils de potabilité de 40 milligrammes par litre à 18. » Un tiers du pays se retrouve ainsi classé en zone vulnérable avec des interdictions d’épandage.
Ce qui conduit à des discours offensifs contre « l’écologie technocratique ». Mais plutôt que de réclamer des mesures protectionnistes, une règlementation stricte des productions à bas coûts et sans contraintes environnementales venues d’ailleurs, les agriculteurs de la FNSEA préfèrent demander un allègement des « contraintes administratives » pour « rester compétitif ».
C’est la même logique que suivent ceux qui, vivant dans le Tarn, acceptent dans ce cortège de prendre la parole à propos du barrage de Sivens. Mais aucun qui ne soit directement sur la zone : « On est dans un climat de terreur » affirme Jean-Louis Cazaubon, président de la Chambre régionale d’agriculture de Midi-Pyrénées, "Il faut se rendre compte, c’est une atmosphère de guérilla, un véritable déni de démocratie".
- Jean-Louis Cazaubon -
Pour lui, malgré tout, "ce projet va se faire, simplement il va évoluer sur ses finalités avec une diminution du volume destiné à l’irrigation et une augmentation de celui pour le soutien d’étiage, viser 50/50 au lieu de 70/30 actuellement". Il ne nous sera pas possible de savoir ce que pensent les agriculteurs de la FNSEA vivant dans la vallée du Tescou. Des collègues de communes environnantes répondront à leur place.
« Pour pouvoir suivre, il faut de nouveaux projets »
Dorian, jeune agriculteur à Monclar-de-Quercy, produit des céréales, essentiellement du maïs semence, sur une cinquantaine d’hectares. Après un discours d’entrepreneur sur « les besoins d’intrants et de rentabilité pour produire et faire face aux charges », il précise : « J’ai vu l’agriculture évoluer, nous avons tous dû prendre des risques pour s’adapter. Forcément, pour pouvoir suivre, il faut des nouveaux projets ».
Pour lui, c’est la même problématique que les autoroutes, « que plus personne ne conteste aujourd’hui. Pourtant, elles aussi ont dû causer des dégâts écologiques ». Il juge que le projet de barrage est « nécessaire ». Il est « obligé » d’irriguer ses cultures, sans quoi « on ne ramasse rien ! ». Arrêter l’irrigation, « qui optimise le rendement », ne laisserait d’autre issue que de « devoir s’étendre, mais les terres ne sont pas infinies. »
- Dorian -
C’est un discours que nous retrouverons tout au long de la manifestation : « Ce barrage est là pour les petites exploitations familiales. L’arrêter favoriserait les grands exploitants, les agri-managers », que beaucoup ne paraissent pas porter dans leur cœur.
Evoquant les pratiques culturales alternatives, le discours varie entre : « Si on avait la solution miracle, on y serait déjà », et des tentatives d’expérimentations : « Avec le non labour, on a les ravageurs, la saleté. Après dix ans, on a dû en revenir ».
« L’eau est un bien inépuisable »
Le discours officiel, c’est Christian Galzin, éleveur de moutons, maire de Vénès et conseiller général du Tarn qui nous le délivre : « Ce n’est pas un barrage, c’est une petite retenue. Ça n’a rien à voir avec les barrages hydroélectriques comme celui de Pareloup, en Aveyron. Ici, zéro béton, zéro pierre, la digue sera faite en terre ».
Pour lui, la réflexion a eu lieu, le projet a été voté et c’est un « impératif démocratique » qu’il s’applique. « La retenue va bénéficier à des exploitations de quarante hectares en moyenne, on est loin de l’agriculture productiviste dont on nous parle partout ! »
Interrogé sur la pertinence d’un barrage comme solution, il rappelle que « l’étude Garonne 2050 précise un manque de cent millions de mètres cubes d’eau sur la région d’ici trente ans. » Et c’est en replongeant dans son enfance qu’il trouve son argument final : « Quand j’étais à l’école, j’ai appris le cycle perpétuel de l’eau, avec les flèches entre le sol, les nuages, la mer, etc., c’est un bien inépuisable, il suffit de la stocker là où elle tombe et on en aura tant qu’on veut ». D’où le « bon sens paysan » qui veut « stocker l’eau l’hiver pour en avoir à disposition en été ».
Inévitablement, se pose la question des retenues collinaires de petites tailles. Pourquoi faire un grand barrage et pas de petits lacs individuels ? Benoit, éleveur de chèvres à Briatexte, répond : « C’est tout simplement impossible ! On nous met des bâtons dans les roues tout le temps, des contraintes administratives qui en découragent plus d’un ».
Lui-même a constaté que pour un lac collinaire de 50 000 mètres cubes (soit 3 % de celui de Sivens), il faut 8.000 euros d’études de faisabilité, sans savoir s’il y aura une autorisation à la clé. « Je n’ai pas les moyens pour ça. Alors que j’aurais besoin de produire de la luzerne pour alimenter mon cheptel, avoir mon autonomie alimentaire et ne pas lui donner des tourteaux OGM, on m’en empêche. »
En revanche, cela ne le freine pas dans son soutien au projet de Sivens : « 43 sur 46 élus ont voté le projet. Ça a été voté, ça doit se faire. Et quand on connaît la région, on sait qu’il n’y aura même plus assez d’eau potable dans la région dans cinquante ans. »
Une stratégie agricole dans l’impasse
S’il n’y a plus d’eau, pourquoi continuer à irriguer ? Dominique, qui cultive 220 hectares dans la vallée du Tarn m’explique : « Le maïs est une plante très efficiente en eau, mais le souci c’est qu’il en demande beaucoup au moment où il y en a peu ». Interrogé sur Sivens, il admet : « Nous, les grands exploitants, nous n’avons pas besoin de ce barrage. Mais il faut le faire pour que survivent les petits exploitants. »
Toujours revient cette séparation entre petits agriculteurs et grands exploitants. Et pourtant, dans le cortège, les voilà mêlés et unis avec ceux-là mêmes qui les poussent à poursuivre jusqu’à l’épuisement, la faillite ou pire. Ainsi, « c’est regrettable qu’il y ait eu un mort à Sivens. Mais savez-vous que quatre cents agriculteurs se suicident chaque année ? Plus d’un par jour », tandis que deux cents fermes mettent la clé sous la porte chaque semaine.
Un autre son de cloche
Devant cette tragédie, il paraît difficile de venir remettre en cause une vie de travail et une vision globale du monde. C’est pourtant ce que certains font aujourd’hui. Car en dehors de la FNSEA, des voix agricoles s’élèvent contre le projet. À commencer par la Confédération Paysanne.
Ainsi, Philippe Maffre, installé à Lisle-sur-Tarn : « Le bon sens paysan ce serait d’abord de savoir de quoi on parle. Combien d’exploitants bénéficieraient du barrage ? Combien seraient prêts à payer 10 000 euros par an de frais d’exploitation ? Et si ce n’est pas eux, est-ce à la collectivité de le faire ? »
Surtout, pour lui, si les contraintes administratives sont lourdes, elles sont compréhensibles : « L’eau, comme toute la nature, ne nous appartient pas, c’est un bien public. Le malaise qui est ressenti est économique, parce que cela fait cinquante ans qu’on pousse à l’emprunt, l’agrandissement, tandis que le syndicat agricole majoritaire libéralise les quotas et les prix. C’est un système qui s’essouffle. »
Mais c’est la parole de Rémi Serres, opposant historique au projet qui résonne le plus fort et qui aura marqué toutes celles et ceux qui purent l’entendre, le 31 août dernier, lors du tout premier grand rassemblement contre le projet :
« Il faut l’avouer, on n’a pas été bons, nous les paysans, nous sommes responsables de cette agriculture productiviste. » Et d’ajouter : « Quand je vois partir trente hectares de terre sur lesquelles nous pourrions installer trente maraîchers, je pense que cela vaut le coup de se battre. »
Ecouter Rémi Serres (2min30) :
Mais contre toute attente, c’est pour défendre ce modèle que les producteurs agricoles se battent aujourd’hui. Ils se retrouvent le 15 novembre, à Albi, pour manifester leur soutien au projet de barrage du Testet.
Lire aussi : Au Testet, zadistes ou pas, « Voici pourquoi nous sommes là ».
Lire la lettre ouverte d’un opposant au barrage adressée aux manifestants de ce mercredi.
LÂCHERS DE FUMIERS ET MALTRAITANCE ANIMALE SOUS L’OEIL PASSIF DE LA POLICE
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