Fin du suspense : la majorité socialiste à l'Assemblée a refusé de durcir, lundi soir, la taxe sur les transactions financières. Une victoire pour Bercy. Et pour Euronext.
Les menaces de Bercy ont fini par payer : les députés ont renoncé lundi soir à durcir la taxe sur les transactions financières en vigueur en France depuis l'été 2012, lors de leur examen du budget 2014. À bientôt deux ans du discours du Bourget du candidat François Hollande, qui avait fait de la finance son « ennemi », c'est un nouveau recul de l'exécutif sur un dossier pourtant emblématique.
L'amendement, déposé par le rapporteur général au budget, le socialiste Christian Eckert, proposait d'élargir l'assiette de la taxe aux opérations « intra-day », qui figurent parmi les activités les plus spéculatives sur les marchés financiers. Il avait obtenu le feu vert la semaine dernière des membres de la commission des finances de l'assemblée.
La « taxe Tobin », dans sa version française, devait rapporter 600 millions d'euros aux caisses de l'État, très en deçà des pronostics du début d'année (1,6 milliard d'euros). D'où la volonté de certains de durcir la taxe, pour lever davantage d'argent – et, au passage, freiner la spéculation.
Sous pression dans la soirée, Christian Eckert a finalement accepté de retirer son amendement, à la demande du ministre du budget Bernard Cazeneuve. Ce dernier, inquiet pour la « liquidité » des marchés, s'est dit convaincu qu'en cas d'adoption de la disposition, « l'avenir de l'entreprise Euronext (qui gère la Bourse de Paris, ndlr) serait compromis », mais aussi que l'« accès des entreprises aux capitaux serait entravé ».
« Idéologiquement c'est plaisant, cosmétiquement, ça passe, mais en termes d'efficacité opérationnelle, ça ne vole pas haut », a affirmé le ministre. « Je veux bien accepter, une fois mais pas éternellement, de retirer cet amendement », a réagi Christian Eckert.
« Nous avons la preuve que Bercy privilégie davantage Euronext que sa majorité socialiste », commente Alexandre Naulot, d'Oxfam-France, qui reconnaît toutefois qu'il n'est « pas surpris » par l'issue du débat. Il juge en particulier « inacceptable » l'argument du ministre sur la liquidité, quand on connaît la « sur-liquidité » de ce type de marchés.
Après le retrait des socialistes, c'est le député communiste du Cher, Nicolas Sansu, qui a repris l'amendement, mais sans parvenir à rassembler une majorité.
Autre intervention dans ce débat, celle du député socialiste Pierre-Alain Muet (qui ne ménageait pas ses critiques contre Pierre Moscovici et la politique de Bercy, dans un récent article de Mediapart) : il a, lundi soir, validé lui aussi le retrait de l'amendement, estimant, tout comme Bernard Cazeneuve, qu'il fallait d'abord avancer au niveau européen, pour ne pas pénaliser la seule place boursière française.
Cet argument européen n'est pourtant pas convaincant. D'abord parce qu'il existe déjà des pays, comme l'Italie, qui ont mis en place des taxes Tobin plus ambitieuses, sans attendre une fiscalité européenne encore incertaine. Ensuite parce que Bercy, en rejetant cet amendement, est pris en flagrant délit de double discours : le ministère torpille à Paris ce qu'il défend haut et fort à Bruxelles. Le projet en chantier à Bruxelles, défendu officiellement par l'exécutif socialiste, prévoit, précisément, d'intégrer les opérations « intra-day ».
Enfin, le gouvernement envoie un signal désastreux à ses partenaires européens, à un moment où le dossier s'est enlisé à Bruxelles (lire notre article) : rien ne presse pour mettre le secteur financier à contribution, semble-t-il penser.