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« 3000 morts, un véto ; 6000 morts, un véto ; 17000 morts, un véto » résume Gérard Araud. En colère, l’ambassadeur de France à l’ONU voit dans le troisième refus sino-russe la preuve du « soutien inconditionnel » de la part de Moscou et de Pékin envers le « régime syrien dans son entreprise de répression sanglante ».
Les deux membres permanents du Conseil de sécurité reprochent au texte, présenté par la France, l’Allemagne, le Royaume-Unis, le Portugal et les Etats-Unis, « d’ouvrir la voie à une intervention militaire » selon l’ambassadeur Russe à l’ONU. Le Quotidien du Peuple, journal chinois, rappelle l’opposition de Pékin à « une soi-disant ‘’responsabilité de protéger’’ comme base pour le néo-interventionnisme ».
Pourtant, Gérard Araud assure que le texte était modéré : « il n’y a que des menaces de sanctions ». Le Conseil de sécurité doit en effet être réuni à chaque nouvelle étape du Chapitre VII, codifiant les moyens de coercition des Nations Unies.
« En neuf mois, trois vétos, c’est une première qui signe un retour à une logique de Guerre froide », nous explique Khattar Abou Diab. Pour le directeur du Conseil Géopolitique et Perspectives, professeur à Paris VI, les Russes prennent le contrepied du dossier libyen dans lequel ils estiment avoir été abusés. « Poutine veut jouer une carte maîtresse, il veut obliger les autres pays à le consulter systématiquement. C’est une prise en otage du peuple Syrien de la part de la Russie qui veut retrouver une place diplomatique de premier plan ».
Pourtant, la Russie a-t-elle encore les moyens de revendiquer la place qui était la sienne durant la Guerre froide ? « Probablement pas » explique Khattar Abou Diab pour qui le Kremlin cherche désormais « une porte de sortie ». Certains spécialistes évoquent la possibilité d’offrir à Poutine des garanties en matière d’assises sur le territoire, en cas de changement de régime pour assouplir la position de Moscou. On sait que la Russie a toujours souhaité un accès privilégié aux mers chaudes. Mais pour ce consultant en géopolitique du Moyen-Orient, les Russes pourraient essayer de faire se retourner des responsables syriens en faveur d’une transition démocratique. Une manière, un peu idéaliste, de conserver la face tout en aboutissant à une résolution politique du conflit.
Les crispations diplomatiques risquent de s’accentuer encore aujourd’hui. La Russie présente au Conseil un texte pakistanais souhaitant prolonger « sans conditions » la mission d’observation de l’ONU en Syrie pour 45 jours. Face à eux, le Royaume Uni propose une résolution visant à proroger la mission pour 30 jours mais assortie de conditions. Si Bashar Al-Assad ne tient pas sa promesse de retirer ses armes lourdes, les observateurs devront quitter le pays, ce qui pourrait bien enterrer définitivement l’option diplomatique. Ce soir, la Russie annonce qu'elle "bloquera" cette proposition.
Face à l’obstination de la Russie et de la Chine, Washington n’a pas hésité hier à accuser les deux pays de se placer « du mauvais côté de l’Histoire». La Maison Blanche menace désormais d’agir « en dehors » du cadre onusien. Une escalade dangereuse qui révèle les faiblesses du Conseil de sécurité en matière de gouvernance mondiale, et ce au prix du sang versé.
Toutefois, la situation est trop délicate dans la région pour envisager une intervention militaire unilatérale. La présence de Pasdarans iraniens (Gardiens de la révolution) et le soutien de Téhéran au régime de Bashar al-Assad complique singulièrement les choses. L’option militaire, à l’instar du dossier libyen, « aggraverait la crise » selon Mr. Abou Diab. Ce dernier préfère envisager une alternative : « une intervention sous le drapeau des Nations-Unies est indispensable, mais on pourrait imaginer qu’elle soit le fait de troupes venant de pays musulmans ou de pays plus indépendants, et non des occidentaux ». Il cite pour exemple le Brésil, l’Inde, ou tout autre Etat n’étant pas aligné directement sur une position américaine, européenne ou russo-chinoise.
Mais toute avancée prendra du temps. S’il est affaibli, le commandement central du gouvernement syrien reste fort et lourdement armé, notamment dans les grandes villes comme Damas et Alep. Hier, la répression a été sanglante, faisant près de 300 victimes. Un triste record, à la veille du Ramadan.