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11 juillet 2012 3 11 /07 /juillet /2012 12:56

 

Accédant au pouvoir, dans un contexte de crise gravissime, François Hollande avait clairement deux options. Soit engager la gauche dans une politique économique nouvelle, celle d'un réformisme audacieux – ou radical, peu importent les mots ; soit retomber dans les ornières du passé, celles du social-libéralisme, dans lesquelles la gauche avait versé à la fin des années 1990. Ou si l’on préfère, il avait la possibilité de commencer son quinquennat en s’inspirant de Lionel Jospin version 1997, celui qui arrive à Matignon avec dans sa besace pléthore de réformes très ancrées à gauche, de la taxe Tobin jusqu’aux 35 heures payées 39, le refus de la privatisation de France Télécom ou encore le rétablissement de l’autorisation administrative de licenciement ; ou bien en copiant Lionel Jospin version 2002, celui qui cède face aux licenciements boursiers ou qui devient le champion toutes catégories des privatisations.

Deux mois après l’arrivée de François Hollande à l’Elysée, le doute n’est plus guère de mise : c’est clairement la seconde solution que privilégie le chef de l’Etat, celle du social-libéralisme. En quelque sorte, François Hollande a choisi de commencer par là où Lionel Jospin a fini. Le Lionel Jospin qui se dit impuissant face aux marchés financiers, celui qui cède à leurs injonctions et qui va jusqu’à donner le coup d’envoi début 2002 à la plus sulfureuse des privatisations, celle des autoroutes.

S’il fallait une nouvelle preuve de cette embardée imprévue de François Hollande, c’est assurément cet étrange débat sur la compétitivité des entreprises qui l’apporte. Etrange débat que les dignitaires socialistes avaient discrètement préparé et qu’ils ont choisi de lancer à la faveur de la grande Conférence sociale. L’irruption de ce débat sur la compétitivité des entreprises est pour le moins inattendue. Pour une raison de fond, comme pour une raison de forme.

La raison de fond coule de source. Ces dernières années, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse de conduire ce que les experts appellent une « politique de l’offre ». Réduction du train de vie de l’Etat ; allègements de la fiscalité des entreprises (taxe professionnelle, fiscalité de groupe, etc.) ; extrême modération salariale avec refus de tout « coup de pouce » en faveur du Smic, déréglementation accélérée du Code du travail et notamment du droit du licenciement : le gouvernement de droite a tout fait pour que les entreprises soient le moins affectées possible par la crise et pour que la France connaisse un « ajustement social ». En clair, les variables d’ajustement à la crise ont d’abord été les salaires et l’emploi.

Tournant la page de ce quinquennat qui a creusé les inégalités sociales, on pouvait donc penser que le gouvernement de gauche passerait de « la politique de l’offre » à la « politique de la demande ». Dans un contexte d’effondrement du pouvoir d’achat, on pouvait espérer que le gouvernement aurait à cœur de rééquilibrer le partage entre capital et travail – partage fortement déformé au cours de ces deux dernières décennies. On pouvait d’autant plus le penser que, durant la campagne, cette question de la compétitivité des entreprises est venue en débat, et que François Hollande l’avait justement écartée.

Quand la gauche dénonçait la TVA sociale

Que l’on se souvienne : craignant de perdre la main et bientôt le pouvoir, Nicolas Sarkozy multiplie les gesticulations au début de 2012 et, parmi une cascade d’autres mesures, il propose au début du mois de janvier que la France mette en chantier la « TVA sociale ». L’appellation est trompeuse : il s’agit en réalité d’une TVA anti-sociale. L’ambition du dispositif vise à supprimer certaines charges sociales patronales abondant la Sécurité sociale et à alléger ainsi le coût du travail en trouvant des financements différents, sous la forme d’un relèvement de la TVA auquel seraient assujettis tous les produits, y compris les produits importés.

C’est donc ce qui advient : Nicolas Sarkozy fait voter, peu de temps après, par le Parlement un relèvement du taux normal de la TVA de 19,6 % à 21,2 %, effectif au 1er octobre prochain.

Que dit à l’époque la gauche et au premier chef François Hollande ? Comme on peut le constater dans cette vidéo ci-dessous, il conteste cette réforme, lors d'un discours le 31 janvier, en faisant valoir que le relèvement de TVA serait gravement inégalitaire, car il ferait payer par les consommateurs des prélèvements auparavant à la charge des employeurs. Ce qui est une remarque de bon sens : la fiscalité à laquelle les consommateurs sont assujettis, au travers de la TVA, est particulièrement injuste, puisqu’elle est dégressive. Autrement dit, elle pèse plus sur les contribuables modestes que sur les contribuables fortunés.

 


 

Mais critiquant la TVA sociale, François Hollande ne se borne pas à dire qu’elle est « injuste » ou « improvisée » ; il dit encore qu’elle est « inopportune ». En clair, il ne dit pas que le problème pointé par Nicolas Sarkozy, celui du coût de travail, est pertinent, mais que la solution préconisée, celle de la TVA, n’est pas la bonne ; il ne dit pas plus qu’un autre dispositif serait mieux calibré. Non ! Ce que François Hollande dit, c'est que Nicolas Sarkozy a tout faux. La réforme passera donc tout entière à la trappe, et la hausse de la TVA sera annulée par la gauche avant même qu’elle n’entre en vigueur.

On peut d’ailleurs facilement trouver confirmation de cette orientation en se référant au programme du candidat François Hollande (il est ici) : il y est longuement question de favoriser « la production et l’emploi » par diverses mesures, notamment « en orientant les financements, les aides publiques et les allègements fiscaux vers les entreprises qui investiront sur notre territoire » ; mais il n’est nullement préconisé de suivre une politique libérale visant à alléger le coût du travail.

On imagine d’ailleurs le tollé que cela aurait suscité à gauche, si François Hollande, en pleine controverse autour de la TVA sociale, avait apporté son soutien à son rival, Nicolas Sarkozy, lui suggérant juste de trouver un prélèvement de substitution plus adapté et mieux calibré que la TVA.

La sortie tonitruante du conservateur Louis Gallois

Or, c’est très exactement ce que nous sommes en train de vivre aujourd’hui. Comme dans un plan de communication soigneusement préparé, c’est le Commissaire général à l’investissement, Louis Gallois (ancien patron d’EADS et ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Chevènement lors du premier septennat de François Mitterrand), qui se dit, le 7 juillet, devant le Cercle des économistes, favorable à une réduction massive des cotisations payées par les entreprises françaises exposées à la concurrence internationale, afin d'améliorer leur compétitivité.

« Il y a un consensus assez large, face à ce phénomène de dégradation (de la compétitivité nationale) qui paraît inéluctable, et dont nous voyons tous les jours les éléments dans la presse avec les plans sociaux et évidemment le déficit massif de notre commerce extérieur : je crois qu'il faut faire un choc de compétitivité, qui doit toucher le secteur exposé », assure Louis Gallois. Et d’ajouter : « Pour toucher le secteur exposé, il faut que ce choc soit assez massif et qu'il porte sur les cotisations sociales, concernant des salaires relativement élevés. Il s'agit de transférer 30 à 50 milliards pour avoir un effet significatif. »

Observant que le débat sur la TVA a désormais mal tourné, il évoque alors d'autres pistes comme les « taux intermédiaires » de la TVA, et « certainement la CSG », voire « la fiscalité des retraités », jugeant anormal qu'elle leur soit très favorable.

Après avoir détaillé toutes ces réformes possibles, dont beaucoup sont notoirement réactionnaires ou inégalitaires, Louis Gallois conclut : « On a besoin, je crois, de créer un choc de confiance dans le pays. Il va falloir à un moment ou à un autre qu'on se rende compte qu'on ne peut pas se contenter de demi-mesures. » Il faut « créer une onde de choc » en faveur des entreprises, insiste-t-il. Les retraités, qu'il propose de taxer davantage, ou les consommateurs, qu'il propose de ponctionner un peu plus, apprécieront...

Or, quand le Commissaire général à l’investissement fait cette sortie tonitruante devant le temple de la pensée unique (néolibérale) qu'est le Cercle des économistes, François Hollande, qui vient tout juste de lui confier ce poste, ne lui rappelle pas qu’il occupe une fonction publique et qu’il est tenu à une obligation de réserve. Non ! Dès le surlendemain, le 9 juillet, le président de la République crée la surprise en ouverture de la Conférence sociale, en avouant qu’il est à peu de choses près sur la même longueur d’ondes que Louis Gallois. Sur une longueur d'ondes qu'il n'a jamais évoquée tout au long de la campagne présidentielle et qu'il a même combattue. C’est ce qu’il explique longuement dans son discours inaugural à la Conférence sociale, que l’on peut consulter ci-dessous :

Il suffit effectivement de lire ce discours pour relever le changement de pied. Parlant des défis auxquels la France est confrontée, François Hollande souligne que l'endettement est le premier que la France ait à relever. Et il ajoute : « Le second défi auquel nous faisons face est la détérioration de notre compétitivité. » Le chômage et la précarité ne figurent donc qu’au troisième rang. En quelque sorte, c’est un satisfecit rétrospectif décerné à Nicolas Sarkozy : au moins a-t-il eu le mérite de pointer ce problème de la compétitivité, au moment où la gauche ne voulait pas en entendre parler.

Une hausse de la CSG en préparation

Et François Hollande poursuit en livrant le fond de sa pensée : « Nous devons trouver les nouveaux modes de financement et les nouvelles organisations de notre modèle social. L’équilibre de nos comptes et la compétitivité de notre pays ne sont pas seulement des impératifs économiques. Ce sont des obligations sociales. Nos mécanismes de solidarité seront menacés si nous ne savons pas les faire évoluer, les faire progresser. Pour les entreprises les plus exposées à la mondialisation nous devons trouver le moyen de les aider à rester dans la course, dans le respect de nos valeurs, face à des concurrents qui ont fait des efforts considérables ces dernières années. La compétitivité a donc aussi une forte signification sociale : elle est d’ailleurs facteur de croissance et d’emploi, donc de ressources nouvelles pour nos systèmes collectifs. Voilà pourquoi je considère nécessaire une réforme du mode de financement de la protection sociale pour qu’il ne pèse pas seulement sur le travail (l’abandon de la TVA sociale ne nous dispense pas d’une réflexion sur ce sujet). »

Le propos, bien sûr, est passablement elliptique. Et voulant que les partenaires sociaux « digèrent » le message, les membres du gouvernement ne font rien, ensuite, pour expliquer plus précisément le projet en gestation. Il n’est pourtant pas besoin d’être grand clerc pour le deviner : c’est à une hausse de la Contribution sociale généralisée (CSG) que le gouvernement et le chef de l’Etat veulent préparer les esprits, en compensation d’un allègement des charges sociales patronales.

Les modalités de ce transfert étant pour l’instant inconnues, il est encore difficile de porter un jugement précis sur le projet élyséen. Mais on peut sans grande difficulté passer en revue les différentes variantes possibles. Une première hypothèse serait que des cotisations employeurs et salariés soient abaissées, et que la CSG soit relevée à due concurrence. Ce transfert pourrait alors ne pas pénaliser les salariés ou alors seulement de manière modeste, parce que la CSG présente l’avantage d’assujettir tous les revenus du travail, mais aussi en partie les revenus de l’épargne.

Comme le rappelle un communiqué du Syndicat national unifié des impôts (SNUI), « sur les 89 milliards d’euros de recettes que la CSG devrait procurer en 2012, 62 milliards proviennent des revenus d’activité (soit 69,66 % du rendement de la CSG), 16 milliards proviennent des revenus de remplacement comme la retraite (soit 17,9 % du rendement de la CSG) et 10 milliards des revenus du patrimoine (soit 11,23 % du rendement de la CSG), les autres recettes provenant des revenus des jeux ou des majorations et pénalités ».

Dans cette hypothèse, les salariés pourraient donc ne pas être fortement pénalisés, mais la marge financière pour avantager les entreprises serait minime. En clair, le gouvernement se lancerait dans un grand Meccano pour pas grand-chose.

Or, le gouvernement veut que la réforme ait un effet massif. Selon le propos d’un ministre, il s’agit de créer « un choc d’offre ». Une autre solution serait donc d’alléger des cotisations patronales – par exemple les cotisations famille que Nicolas Sarkozy avait prévu d’alléger à compter du 1er octobre en contrepartie de la hausse de la TVA – et de trouver de nouveaux financements grâce à un relèvement de la CSG. En clair, une bonne partie des charges patronales seraient alors transférées sur les salariés – et sur les revenus du capital mais dans une bien moindre mesure.

On comprend donc qu’en explorant cette piste d’une réforme visant à alléger le coût du travail, François Hollande marche sur les brisées de la droite. C’est même une bonne partie de la réforme Sarkozy qui pourrait survivre, car l’ancien chef de l’Etat avait prévu dans sa réforme qu’aucune cotisation familiale ne serait due pour les rémunérations inférieures à 2,1 fois le Smic. Et en complément de la hausse de la TVA, Nicolas Sarkozy avait lui-même songé à légèrement majorer la CSG.

En quelque sorte, ce serait donc le calibrage de la réforme Sarkozy qui pourrait être modifié, mais pas sa philosophie d’ensemble. Et même une bonne partie du dispositif pourrait être reconduit : la baisse des cotisations familiales demandée depuis des lustres par le patronat, le relèvement de la CSG, mais pas de la TVA.

Pour les salariés, le jeu de bonneteau pourrait donc être très dangereux et, dans cette hypothèse, venir de nouveau ponctionner un pouvoir d’achat qui déjà pique du nez.

Dans tous les cas de figure, c’est bien une « politique de l’offre » qui se met en place, visant à consolider la situation financière des entreprises ; et non une « politique de la demande », visant à relancer la croissance par des mesures de soutien énergiques au pouvoir d’achat et à la consommation. Usant d'une sémantique qui ne faisait guère illusion, Dominique Strauss-Kahn parlait, en d'autres temps, du « socialisme de la production ». Cela lui servait de cache-sexe pour dissimuler sa conversion aux thèses les plus libérales.

En quelque sorte, les petites phrases de François Hollande sur la compétitivité des entreprises donnent du sens et une cohérence aux premières mesures prises par le gouvernement, qui ont parfois déçu la gauche. Si le gouvernement s’est engagé dans une politique budgétaire d’austérité, si le salaire minimum n’a bénéficié que d’un « coup de pouce » purement symbolique, c’est à l’évidence dans cette même logique de stimuler en priorité la compétitivité des entreprises.

Dans une période de crise, où le pouvoir d’achat s’effondre, François Hollande ne fait-il donc pas une erreur majeure de stratégie économique ? De surcroît, par cette cascade de mesures relativement impopulaires qui marquent le début de son quinquennat, ne prend-il pas un risque politique, en ramant à contresens des intérêts de l'électorat populaire ? En réalité, on n’a sans doute pas fini de mesurer que ce choix de prendre la compétitivité des entreprises comme l’un des fondements de la politique économique est un acte qui va marquer tout le quinquennat.

Le constat est de simple bon sens : si le gouvernement s’engage dans ce transfert vers la CSG de certaines cotisations sociales employeurs, il ne va pas dans le même temps, par exemple, mettre en chantier une réforme encore plus complexe, visant à fusionner cette même Contribution sociale généralisée avec l’impôt sur le revenu, pour reconstruire un véritable impôt citoyen progressif. Impossible de courir deux lièvres à la fois ! Ce transfert de charges sociales sur la CSG risque fort de sonner le glas de la fameuse « révolution fiscale » que les socialistes avaient promis de faire. On observera d’ailleurs que dans sa déclaration de politique générale, le premier ministre a passé sous silence ce projet de fusion, qui était l’acte principal de cette révolution fiscale. A la trappe : le projet majeur des socialistes, celui qui avait un ancrage clairement à gauche, n’a pas même été mentionné.

Autre exemple, même interrogation : à l’issue de la Conférence sociale, Jean-Marc Ayrault a annoncé une réforme d’ici la fin de l’année des modalités d’indexation du Smic. Ce qui n’est pas en soi une surprise puisque pendant la campagne, François Hollande avait émis le souhait que ces modalités prennent mieux en compte la croissance. Compte tenu de ce nouveau primat donné à la compétitivité des entreprises, une question vient à l’esprit : et si la croissance est nulle, est-ce que les revalorisations du Smic en seront affectées ? En clair, se dirige-t-on vers un Smic flexible ? Un Smic qui ne soit plus la voiture-balai de toutes les inégalités générées par le capitalisme français mais qui puisse être modulé au gré des besoins de la sacro-sainte... compétitivité des entreprises ?

Jean-Marc Ayrault a aussi assuré que les négociations « compétitivité-emploi » lancées par Nicolas Sarkozy pour permettre aux entreprises d'adapter le travail en cas de baisse d'activité n'étaient « plus à l'ordre du jour », mais il a ensuite annoncé que le gouvernement allait ouvrir une négociation sur « la sécurisation » qui balaierait différents chantiers dont celui de la lutte contre les licenciements boursiers mais aussi celui de la flexibilité du marché du travail ! D’où cette autre interrogation : ne va-t-on pas voir ressortir des cartons les thématiques très libérales de la flexi-sécurité ?

Epilogue logique de cette orientation, Jean-Marc Ayrault a annoncé que le gouvernement allait confier à Louis Gallois « une mission sur la compétitivité de nos entreprises », avec l'objectif de « préparer la mise en œuvre d'actions concrètes d'ici la fin de l'année » pour améliorer leur « environnement ». Pour mémoire, l'ex-grand patron, à qui les socialistes ont confié cette importante mission, sait de quoi il parle et a une grande expérience. Pour l'année 2011, il a perçu d'EADS une rémunération globale de 3 millions d'euros, dont 990.000 euros en fixe et le reste en rémunération variable. A la tête de ce groupe, il a aussi eu une politique massive de délocalisations d'activités. Une référence patronale, en quelque sorte...

En bref, la politique économique voulue par François Hollande prend soudainement une cohérence. Car on devine sans peine que la compétitivité des entreprises s’accommode assez mal d’une « révolution fiscale », d’un Smic trop rigide ou d’un Code du travail trop contraignant. Entre les deux, il faut choisir. Sa voie, François Hollande semble l’avoir choisie. Une voie bien périlleuse…

 

 

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