Depuis la révélation, début juin, de l'existence du programme d'espionnage mondial PRISM, de nouveaux documents de l'ex-employé de la NSA sont dévoilés quasiment chaque semaine. Ces derniers jours, on a ainsi appris comment les États-Unis espionnent méthodiquement la France, le Brésil, le Mexique ou encore la chaîne de télévision Al Jazeera.
Depuis son exil russe, Edward Snowden continue, au nez et à la barbe des États-Unis, à divulguer peu à peu de nouveaux documents récupérés alors qu’il travaillait pour la NSA, dépeignant par petite touches le système d’espionnage mondial mis en place par l’agence américaine. Près de quatre mois après la première révélation de l’existence du programme d’espionnage PRISM, le 6 juin dernier par le Guardian, l’ex-employé de la NSA distille encore, quasiment chaque semaine, de nouveaux « leaks » (« fuites ») qui lèvent un nouveau pan du voile sur les pratiques du renseignement américain.

Dimanche, le journal allemand Spiegel, autre récipiendaire des documents d’Edward Snowden, détaillait ainsi la manière dont la NSA avait placé sous surveillance le système informatique du ministère français des affaires étrangères. Un document classé « Top Secret » datant de juin 2010 explique comment le renseignement américain a réussi à infiltrer le « VPN » (« Virtual Private Network », réseau virtuel privé) du quai d’Orsay, c’est-à-dire le réseau interne et, normalement, sécurisé, utilisé par l’ensemble de la diplomatie française.
Selon une liste des cibles de la NSA établie en septembre 2010, cette surveillance aurait également visée les bureaux diplomatiques français à Washington et aux Nations unies, des opérations menées sous les noms de codes de « Wabash » et « Blackfoot ». Le 26 août, le Spiegel avait déjà révélé tous les détails de la mise sur écoute de l’immeuble de l’Union européenne à New York.
La présidente brésilienne Dilma Rousseff a, de son côté, fait l’objet d’une surveillance toute particulière. Selon les nouveaux documents d’Edward Snowden dévoilés dimanche 1er septembre par la chaîne de télévision Globo, la NSA a réussi à installer dans son ordinateur un programme permettant de surveiller tous les contenus auxquels elle accédait sur internet. L’agence voulait ainsi avoir « une meilleure compréhension des méthodes de communication et des interlocuteurs » de la présidente Rousseff.
Le président mexicain Enrique Peña Nieto a, lui, été placé sous surveillance avant même son élection. À partir du mois de décembre 2012, alors qu’il menait campagne pour l’élection présidentielle, l’agence a en effet commencé à intercepter ses mails et messages téléphoniques.
Mais les États ne sont pas les seules cibles du renseignement. Samedi 31 août, le Spiegel a mis en ligne un document établissant pour la première fois que la NSA a également espionné des médias. En l’espèce, le document transmis par Edward Snowden au quotidien allemand évoque la mise sous surveillance de la chaîne de télévision basée au Qatar, Al Jazeera. Dans un document datant de mars 2006, le « centre d’analyse du réseau » de l’agence explique ainsi avoir réussi à pirater le réseau de communication interne de la chaîne et à intercepter les communications de « cibles intéressantes ».
Un système tentaculaire et systématique
Malgré son isolement et la surveillance dont il fait l’objet, Edward Snowden livre, par bribes, les multiples aspects de ce qui ressemble de plus en plus à un système d’espionnage tentaculaire et systématique de toutes les cibles pouvant intéresser les gouvernement américain.
Selon un budget confidentiel du renseignement américain, fourni par Edward Snowden au Washington Post, les services américains auraient ainsi mené 231 « cyber-opérations » pour la seule année 2011. Ce nouveau document détaille le financement d’un certain nombre de projets, comme « GENIE », doté de 652 millions d’euros et visant à pénétrer les réseaux étrangers pour les placer sous contrôle américain. Plus gênant, ce budget confidentiel révèle également que la NSA a dépensé des millions de dollars pour traquer d’éventuels agents d’al-Qaïda infiltrés après la découverte d’apprentis terroristes parmi des personnes postulant à un poste au sein du renseignement américain.

Personne ne semble savoir à la NSA avec combien de documents Edward Snowden a quitté le territoire américain au mois de mai dernier, et donc combien de révélations sont encore à venir. Ni si ces documents sont encore en sa possession ou s’ils ont déjà été transmis à des journalistes. Selon les premiers éléments de l’enquête, le jeune informaticien se révèle particulièrement doué en matière de protection de données et d’anonymat et les limiers de la NSA ont bien du mal à retracer son parcours sur les réseaux.
Ceci explique peut-être l’apparente fébrilité des agences de renseignement américaine, mais également britannique, ainsi que leur zèle dans leur traque aux complices d’Edward Snowden. Vendredi, l’agence Reuters a ainsi révélé que le gouvernement britannique a tenté de faire pression pour obtenir du New York Times qu’il détruise certains documents transmis par Edward Snowden, comme il l’avait obtenu du Guardian. La semaine précédente, le quotidien britannique avait en effet révélé avoir été contraint de détruire des disques durs contenant des informations transmises par le whistleblower, mais seulement après avoir pris soin d’en faire des copies et d’expédier celles-ci à plusieurs rédactions à l’étranger, dont celle du New York Times.
Cette fois, le quotidien américain n’a pas cédé. Mais l’incident est révélateur de la détermination des services de renseignement à stopper cette hémorragie d’informations. À force de révélations sur les atteintes aux droits des citoyens et sur les violations de la souveraineté des États, les autorités pourraient cependant avoir à faire face à leurs opinions publiques. Les révélations sur l’espionnage de l’Union européenne passent ainsi particulièrement mal en Allemagne, où de plus en plus de voix s’élèvent pour demander au gouvernement de réagir. La semaine dernière, Peer Steinbrük, qui est l’adversaire de la chancelière Angela Merkel lors des élections générales du 22 septembre, s’est par exemple engagé à suspendre les discussions sur l’accord de libre-échange en guise de représailles.
Toujours réfugié en Russie, dans un lieu tenu secret, Edward Snowden s’est vu, de son côté, gratifier du « Prix du whistleblower », remis tous les deux ans depuis 1999. Un message du jeune informaticien a été lu lors de la cérémonie de remise du prix qui se tenait vendredi à Berlin : « Nous ne devrions jamais oublier les leçons de l’histoire, quand la surveillance a pris le dessus. »