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10 juin 2012 7 10 /06 /juin /2012 12:30

 

| Par Philippe Riès

On sait depuis la ligne Maginot que se préparer pour la guerre précédente est un travers bien français. Avec le ministère du “redressement productif ”, confié au chantre du protectionnisme Arnaud Montebourg, on peut craindre le pire. Car si l’industrie a un avenir dans les pays anciennement industrialisés, le nouveau paradigme qui se dessine condamne à coup sûr les stratégies défensives tournées vers le passé et va imposer un énorme effort d’imagination et de projection dans un avenir incertain. Un grand bond en avant dans la robotisation des processus de fabrication, un bouleversement de la donne mondiale de l’énergie et les avancées d’une “troisième révolution industrielle”, après celles de la vapeur et de l’électricité, vont provoquer un tsunami schumpéterien aux effets économiques et sociaux incalculables. Embourbés dans une crise financière qui sanctionne aussi l’obsolescence de leur modèle de non-croissance, le “social-clientélisme”, les responsables européens ont la tête dans le sac, ou dans le sable, ce qui n’est pas la position la plus favorable pour surveiller l’horizon.

C’est de Chine, “l’atelier du monde”, qu’est parvenu un des signaux les plus significatifs des bouleversements à venir. L’entreprise taiwanaise Foxconn Technology Group, premier employeur industriel privé au monde, va installer dans les trois ans à venir un million de robots dans ses villes-usines de Chine continentale. Confronté à des hausses de salaires de 20% par an, non seulement à Shenzen mais aussi dans les régions de l’intérieur où il s’est installé plus récemment, le principal assembleur des produits Apple pourrait supprimer un demi-million d’emplois dans les années à venir, estime la société de recherche économique de Hong Kong, Gavekal.

 

La convergence des coûts: robots et humains  
La convergence des coûts: robots et humains © Gavekal

 

Foxconn approche en effet, explique Gavekal, du point de convergence entre le coût moyen d’un robot industriel travaillant 24 heures sur 24, soit environ 50 000 dollars, et son équivalent humain sur une période de deux ans correspondant à l’amortissement de cet investissement (soit près de 45 000 dollars). Le robot ne demande ni dortoir, ni cantine, ni augmentation de salaires. Il ne fait pas grève, ne tombe pas malade, ne disparaît pas au moment du nouvel an chinois pour, de plus en plus souvent, ne pas revenir dans son bagne industriel. Et une fois amorti, il travaille presque gratuitement pendant de longues années, dans des ateliers sans lumière ni chauffage ou climatisation. A contrario, comme l’avait compris Henry Ford, le robot n’est pas client de la firme. En attendant les « réplicants » de Blade Runner, il n’a pas besoin ou envie d’un iPhone ou d’un iPad.

La fin du modèle mercantiliste chinois

Ce n’est pas la première fois que la réduction drastique, voire l’élimination de la participation directe des hommes dans le processus de production, est annoncée. Face à la concurrence montante de l’industrie automobile nipponne, Detroit avait cru un moment trouver la riposte dans une robotisation radicale des chaînes de production, avant de comprendre que l’équilibre entre la machine et l’homme, et sa capacité unique (jusqu’à présent) d’imaginer en permanence des améliorations incrémentales du processus de production, était au cœur du fameux Toyota Production System (TPS).

Mais la troisième révolution industrielle, ancrée dans les avancées scientifiques et technologiques des vingt dernières années, promet un saut qualitatif, dans l’utilisation des matières premières, dans la chaîne internationale de fabrication et dans la participation du facteur humain. Les imprimantes en trois dimensions, instruments essentiels de cette rupture avec l'intelligence artificielle, seront capables de fabriquer à distance, avec une précision absolue, n’importe quelle pièce ou équipement complet (y compris de nouvelles imprimantes 3 D) en utilisant une fraction des matériaux nécessaire à l’usinage traditionnel et pratiquement sans intervention humaine au stade de la réalisation. La machine capable de se répliquer à l’infini, le robot qui fait des petits, n’appartiennent plus à la science-fiction. Autrement dit, le coût du travail dans la production manufacturière stricto sensu, déjà réduit dans nombre de secteurs industriels, va devenir marginal.

Conséquence : « le modèle mercantiliste chinois est fini », affirmait lors d’un récent séminaire à Paris le très libéral et volontiers provocateur Charles Gave, co-fondateur de Gavekal. La moitié du déficit commercial des Etats-Unis est due aux échanges avec la Chine et la même proportion liée à des produits fabriqués par ou pour des entreprises américaines. « Il n’y a aucune raison de conserver les usines en Chine », estime-t-il en annonçant une ré-industrialisation du monde occidental grâce à la robotisation. « Une implication en est que les Etats-Unis et les autres pays riches vont regagner de la compétitivité dans la production manufacturière. » Une autre conséquence en est « que les marchés émergents, où le bas coût du travail était le principal avantage compétitif, seront les perdants ».

Et l’emploi dans tout ça ? Ce n’est pas la préoccupation première de Gavekal, qui vend ses conseils à des investisseurs, pas à des syndicats. Un autre cas d’étude permet d’éclairer l’impact sur l’emploi des “énormes changements technologiques” en cours : la comparaison entre Wall Mart, le numéro un mondial des grandes surfaces, et Amazon, le pionnier du e-commerce. Dans le modèle traditionnel, la logistique (et les emplois qui vont avec) pèse à peu près 9 % du chiffre d’affaires. Dans le modèle Amazon (avec ses entrepôts robotisés) plus Fedex (pour la distribution), ce n’est que 3 %, explique Gavekal. En clair, la combinaison Amazon/Fedex (ou tout autre coursier) fait le même travail avec trois fois moins de personnel.

La nouvelle donne énergétique mondiale

Pour Charles Gave, « l’appareil industriel de l’avenir va se domicilier en fonction du coût de l’énergie » et non plus du travail. Or, dans ce domaine également, les cartes sont en train d’être rebattues, au bénéfice de certains pays riches, notamment les Etats-Unis. Le boom spectaculaire dans l’exploitation du gaz de schistes est en train de renverser la tendance séculaire à l’aggravation de la dépendance énergétique de l’Amérique du Nord. Pour Gavekal, « l’indépendance énergétique est désormais une perspective réaliste pour les Etats-Unis ». Selon lui, « l’Amérique du Nord pourrait devenir auto-suffisante dans un délai de cinq à dix ans ».

 

La révolution du gaz de schiste: divergence des prix gaz/pétrole 
La révolution du gaz de schiste: divergence des prix gaz/pétrole© Gavekal

L’impact économique potentiel, pour ne rien dire des retombées géopolitiques mondiales, de cette nouvelle donne est encore largement ignoré. « L’équation énergétique globale va changer dans des proportions que la plupart des gens n’ont même pas commencé à évaluer », relève l’économiste Kenneth Courtis. Pour le moment, la progression exponentielle de la production de gaz naturel à partir de la fragmentation des roches s’est traduite par un découplage des prix du pétrole et du gaz, ce dernier s’affichant en chute libre (l’unité de mesure, le MMBtu) tombant d’un plus haut de 15 dollars en 2005 à moins de 2,5 dollars récemment.

 

Ce n’est pas étonnant car la reconversion de l’économie américaine du pétrole (et du charbon) vers le gaz demandera de longues années et de lourds investissements au niveau de la production, du transport et des consommateurs finaux. Mais le potentiel est gigantesque. Les réserves exploitables des Etats-Unis en gaz de schistes sont estimées à 862 trillions (milliers de milliards) de pieds cubes, soit trois fois celles du gaz conventionnel. Seule la Chine a un potentiel plus important mais elle est confrontée à une grave pénurie en eau, ingrédient essentiel pour la fragmentation des roches qui libèrent le gaz. Et les Etats-Unis, à ce stade, ne semblent pas devoir s’embarrasser des scrupules écologiques qui conduisent certains pays européens (dont la France) à faire une croix sur cette ressource nouvelle et inespérée.

Si ce scénario d’une « période de destruction créatrice colossale » (Charles Gave) se matérialise dans les années qui viennent, les effets en seront multiples et profonds. Un exemple (parmi beaucoup d’autres) : depuis l’éclatement du système de Bretton Woods en 1971, la liquidité financière mondiale a été fournie essentiellement par les Etats-Unis qui ont imprimé des dollars afin de financer le déficit exponentiel de leurs comptes courants. Si les Etats-Unis n’importent plus d’énergie et « ré-importent » la production industrielle, revenant à des comptes extérieurs équilibrés ou même excédentaires, le monde va manquer de dollars.

50 millions d'emplois menacés aux Etats-Unis ?

 

Pour comprendre ce que cela signifie, il suffit de se souvenir que la transmission du choc des « subprimes » à l’Europe en août 2007 s’est faite par la fermeture brutale de l’accès au dollar pour les banques européennes, contraignant la BCE à mettre en place dans l’urgence des accords de swaps avec la Réserve fédérale des Etats-Unis. On connaît la suite. « L’Europe du Sud a un cash flow négatif en dollars de 150 milliards par an », explique Charles Gave. « La Fed prête à la BCE qui prête à ces pays pour qu’ils puissent continuer à acheter en dollars », notamment leur énergie. « Mais la BCE ne peut pas imprimer des dollars. »

Pour Gavekal, il y a un pays qui a compris ce qui se prépare. La Chine, expliquait Louis-Vincent Gave au cours du même séminaire, « va sortir d’un modèle de croissance fondé sur l’injection de travail à bas coût ». Les réformes financières lancées par l’équipe sortante du premier ministre, Wen Jiabao, sont une composante essentielle de cette stratégie. « Au cours des vingt dernières années, la Chine s’est développée en vendant à l’Occident pour des dollars. Pour les vingt prochaines années, elle va vendre aux pays émergents des biens et des services facturés en renminbi. » L’internationalisation de la devise chinoise progresse rapidement, la convertibilité complète du yuan (son autre nom) devant intervenir dans les trois à cinq ans à venir. Utilisant Hong Kong comme « point de passage et laboratoire », la Chine est en train de créer un marché obligataire ouvert aux émetteurs et aux investisseurs étrangers, de se libérer des banques internationales pour financer ses échanges, etc. Il s’agit, ni plus ni moins, que de « créer une source alternative de liquidité centrée sur Hong Kong ».

Le contraste est saisissant avec une Europe qui vaticine depuis plus de deux ans autour de la faillite de la Grèce, petite infection devenue gangrène du fait de l’irrésolution et de l’incompétence de la classe dirigeante européenne. « La Chine, souligne Louis-Vincent Gave, crée l’équivalent d’une économie grecque toutes les onze semaines ! » Les Chinois veulent une monnaie internationale forte et stable pour avancer dans un environnement monétaire bouleversé. Une partie des Européens rêvent de dévaluation, d’inflation, voire de retour aux monnaies nationales. Cherchez l’erreur.

 

50 millions d'emplois menacés aux Etats-Unis? 
50 millions d'emplois menacés aux Etats-Unis?
Dans un livre de prospective plutôt apocalyptique, The Lights in the Tunnel, l’informaticien et blogueur californien Martin Ford estimait que l’automatisation et les progrès de l’intelligence artificielle pourraient conduire aux Etats-Unis à la disparation de quelque 50 millions d’emplois. Et pas seulement dans l’industrie mais dans de nombreuses activités de service également. Une destruction du marché du travail tel qu’il fonctionne (déjà mal) actuellement. Et il posait ainsi les termes de l’équation dans l’introduction : « La réalité est que l’économie de marché, comme nous la comprenons aujourd’hui, ne peut tout simplement pas fonctionner sans un marché de travail viable. Les emplois sont le mécanisme principal par lequel les revenus – et donc le pouvoir d’achat – sont distribués à ceux qui consomment tout ce que l’économie produit. Si à un moment donné, les machines peuvent assurer de manière permanente une grande partie du travail effectué aujourd’hui par des humains, cela menacera les fondations de notre système économique. Ce problème ne se réglera pas de lui-même. C’est maintenant qu’il faut commencer à y penser. »

 

Le pire n’est jamais sûr. Il est très difficile de faire des prévisions, surtout quand il s’agit du futur, disait Yogi Berra. Mais, sans endosser intégralement la vision de l’avenir de Martin Ford, les Européens pourraient suivre sa recommandation de commencer à réfléchir. De la réforme fiscale à celle de l'éducation, de la recherche au capital humain, l'heure n'est plus vraiment au rafistolage et au bricolage. Quand ils en auront fini avec la Grèce ?

 

 

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