Source : blogs.mediapart.fr/blog/jacques-edouard-cambon
Se désintoxiquer de la consommation, nouvel opium du peuple?
<Alors que les politiques d'austérité frappent tous les peuples européens, avec plus ou moins de brutalité du sud au nord, nous peinons à mobiliser une population apathique. Manque d'information (ou trop plein d'informations futiles, ce qui revient au même) dira-t-on ? Peut-être, en partie, mais à défaut de connaître les informations en détail, nous sentons tous que « ça va mal » et que la situation va continuer à se dégrader. Bien entendu on nous rabâche que c'est inéluctable, mais comment comprendre que 99% de la population accepte que les revenus des 1% les plus riches augmentent de plus en plus vite, alors que leurs revenus à eux baissent ? Pensent-ils donc tous pouvoir passer à travers les gouttes et que ce sont « les autres » seuls qui paieront ?>
Car il y a ce sentiment, diffus et pas toujours conscient, que le capitalisme à réussi à instiller dans nos esprits : la solution est dans le chacun pour soi ! Pendant des dizaines d'années les dirigeants politico-affairistes ont méthodiquement démoli nos solidarités sociales, professionnelles, familiales au moyen d'une drogue terriblement efficace : la consommation. Consommer est un acte à la fois individuel et concurrentiel : il faut avoir toujours plus en valeur absolue, mais aussi plus que l'autre. Et pour consommer plus il faut gagner plus, donc accepter plus de servilité et surtout moins de solidarité. Et tant pis si l’histoire des luttes sociales nous enseigne le contraire, tant pis si chacun sait que diviser est la plus sure façon de régner : nous avons maintenant besoin de notre drogue, surtout au moment où elle devient plus difficile à obtenir, et nous ne sommes plus en état de réfléchir.
Nous avons profité pendant des décennies d'un partage des richesse excluant une grande partie de la planète, ce qui permettait aux employeurs d'acheter notre adhésion, à nous salariés des pays « avancés », en nous faisant « bénéficier » de cette consommation de masse. Mais aujourd'hui où les multinationales ont choisi de produire dans les pays « moins avancés » où ils peuvent réaliser des marges supérieures, ils leur faut commencer à « droguer » ces peuples pour qu'ils acceptent leur système. Et comme le gâteau n'est pas extensible à l'infini, c'est nous qu'ils doivent sevrer par l'austérité. Nous sevrer, mais partiellement, car il leur faut maintenir notre addiction pour éviter que nous ne rejetions le système capitaliste. D'où le paradoxe d'une publicité agressive et omniprésente, mais incapable de faire face à une régression sensible du pouvoir d'achat de la majorité des citoyens.
Alors faut-il simplement attendre que le système s’autodétruise ? Que notre frustration nous pousse tous ensemble dans la rue ? Peut-être, mais contre qui ? N'oublions pas que déjà les partis d’extrême droite, ces supplétifs du capitalisme, ont désignés les boucs émissaires pour détourner notre révolte des vrais coupables, les maîtres de la finance et les politiciens qui servent leurs intérêts. La politique du pire est dangereuse pour la démocratie. Sans doute n'en sommes nous pas encore au niveau de détresse du peuple grec, mais nous voyons bien que chez eux, les deux réalités cohabitent : le fascisme xénophobe d'« Aube dorée » et l'utopie autogestionnaire en marche à Exarcheia.
Alors que faire aujourd'hui pour être prêts à basculer du « bon » côté lorsque la brutalité de l'austérité nous poussera enfin à agir ? Imaginer un système politique différent, démocratique (ou au moins plus proche de la démocratie) pour donner le cap ? Ou bien agir dès maintenant concrètement dans des luttes ponctuelles, dans la mise en œuvre d'alternatives locales pour préparer le terrain du changement ? Les deux sans doute, mais quel dosage subtil pour mobiliser les uns sans effaroucher les autres ?
Je crois que l'immense majorité de nos concitoyens est capable d'accéder à un niveau de conscience politique suffisant pour comprendre les méfaits du système capitaliste, mais à condition de sortir de l'égoïsme béat dans lequel la propagande consumériste l'a enfermée. Il faut prendre chacun au niveau politique où il se trouve actuellement. Et si son niveau d'égoïsme (qualité selon les penseurs capitalistes, ne l'oublions pas) est trop fort, montrons lui son intérêt égoïste à changer son mode de consommation à lui. Au travers de la recherche de produits locaux de qualité ou d'une énergie moins polluante il améliorera sa qualité de vie, et rencontrera d'autres personnes animées du même souci. Progressivement il prendra conscience, si on l'aide un peu, que sa démarche est à contre-courant de l’ultra-libéralisme ambiant, et qu'il faudra changer le système.
Pour l'aider, il faut précisément que ceux qui en sont déjà persuadés continuent à travailler au seins de leurs cercles, politiques ou associatifs, pour proposer des pistes (j'insiste sur le pluriel, il n'appartient à personne d'imposer au peuple sa formule démocratique préfabriquée), mais militent aussi dans le cadre des alternatives de transition avec un souci constant de pédagogie.
Cette démarche peut sembler trop longue, mais on ne se désintoxique pas de plusieurs décennies de propagande et de publicité, surtout quand elle continue dans tous les média dominants. Et puis, l'avidité des dirigeants politico-affairistes nous amènera peut-être à la rupture plus vite que nous ne le croyons...
Source : blogs.mediapart.fr/blog/jacques-edouard-cambon