Nicolas Sarkozy a abattu ses cartes. Dans une émission spéciale diffusée sur huit chaînes de télévision et plusieurs radios, à 20 heures ce dimanche 29 janvier, le chef de l'Etat a annoncé une série de mesures économiques, du jamais vu à quelques semaines seulement d'un scrutin présidentiel. Alors qu'il n'est toujours pas officiellement candidat, Nicolas Sarkozy, multipliant les références à l'Allemagne, s'est posé en président du « courage », réformateur jusqu'au bout… et même jusqu'après, puisque les mesures annoncées entreront en vigueur après la présidentielle...
L'annonce la plus marquante est une hausse de la TVA de 1,6 point, afin de compenser la réduction de 13 milliards d'euros de charges sociales patronales. Après des années de débat — l'idée avait déjà été évoquée juste avant les législatives de 2007, faisant sans doute perdre à l'UMP près d'une centaine de sièges de députés —, l'Elysée qui n'en avait pas voulu jusqu'ici s'est décidé à mettre en place in extremis la fameuse “TVA sociale”, censée provoquer un « choc de compétitivité » en baissant le coût du travail.
Deuxième mesure : la promotion au sein des entreprises d'« accords de compétitivité » permettant aux chefs d'entreprise de négocier avec les représentants du personnel une réduction du temps de travail et/ou une baisse de salaires. Il s'agit ni plus ni moins d'un enterrement définitif des 35 heures. Une telle mesure sur le temps de travail juste avant une présidentielle : là encore, c'est du jamais vu. Lors du sommet social, les syndicats avaient signifié leur refus de voir s'ouvrir de tels chantiers si près de l'élection.
Mais Nicolas Sarkozy passe en force : « Le premier ministre François Fillon écrira aux partenaires sociaux dès demain matin pour leur demander de les négocier dans les deux mois qui viennent », a-t-il annoncé. En cas d'échec de la discussion — ou de « blocage idéologique », a insisté le chef de l'Etat, conscient d'avoir les grands syndicats contre lui —, le gouvernement reprendrait la main.
Nicolas Sarkozy a aussi annoncé une hausse de 2 % de la CSG (contribution sociale généralisée) sur les produits financiers, confirmé la mise en place d'une taxe sur les produits financiers, promu la déréglementation de la loi sur l'urbanisme pour doper la construction de logements et booster l'emploi dans le BTP. Décryptage des principales mesures.
TVA : + 1,6 % en octobre 2012 ?
Comme s'il évacuait l'échéance présidentielle, Nicolas Sarkozy souhaite augmenter le 1er octobre le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée, qui pèse sur l'écrasante majorité des biens et services vendus en France, de 19,6 % à 21,2 %. Un tel taux ferait grimper la France dans le peloton de tête de la TVA (consulter ici les différents taux dans l'Union européenne). La taxe sur la consommation n'est en effet que de 18 % en Espagne, 19 % en Allemagne, 21 % en Belgique et en Italie (même si le président du Conseil, Mario Monti, envisage un taux de 23 %).
La mesure, combinée à une hausse de 2 points de la CSG sur le patrimoine (2 petits milliards), est censée rapporter 13 milliards d'euros, pour compenser la baisse des charges patronales. Il s'agit donc d'un transfert fiscal des entreprises vers les particuliers. A entendre le président, rien à craindre : « Je ne crois en rien à une augmentation des prix parce que ces produits sont extrêmement concurrentiels. La concurrence maintiendra les prix. » Et le président de citer l'exemple de la hausse de la TVA en Allemagne : « Ils n'ont eu aucune augmentation des prix, la concurrence est telle que le risque d'inflation n'existe pas. »
En réalité, il y a bien eu alors une hausse temporaire des prix en Allemagne, comme le montrent des chiffres d'Eurostat cités par le Journal du Dimanche. Le 27 octobre 2011, dans l'émission "Face à la crise", le même Nicolas Sarkozy rejetait d'ailleurs toute augmentation «généralisée» de la TVA: «En aucun cas. Pour une raison assez simple M. Pernaut. Ca peserait sur le pouvoir d'achat des Français, ça péserait sur la consommation des Français et ça serait injuste. Et j'ai le devoir de veiller à la justice. Ce serait facile mais injuste.» Voir l'extrait ci-dessous :
Cette fois, il n'a pas souhaité commenter la remarque du journaliste François Lenglet qui rappelait cette formule d'Alain Madelin : « La TVA sociale est un hold-up patronal sur le pouvoir d'achat.»
Le chef de l'Etat reconnaît indirectement ce risque. « Cette mesure ne rentrera en application qu'au 1er octobre, nous espérons que ça va déclencher des achats par anticipation », a-t-il dit. Autrement dit, le gouvernement s'attend à ce que les Français consomment plus dans les mois qui viennent pour profiter de prix moindres avant la hausse. C'est du reste ce qui s'était passé outre-Rhin.
Mais la comparaison avec l'Allemagne qui obsède Nicolas Sarkozy a ses limites : la TVA allemande était très basse (16 %) et avait été portée à 19 %, non de 19,6 à 21,2 %. Par ailleurs, l'échéance présidentielle va créer chez les consommateurs une très grande incertitude quant à l'effectivité de la mesure, le candidat socialiste François Hollande y étant opposé. Du coup, il y a fort à parier que ce soit plutôt l'attentisme qui prévale.
Il y a surtout un obstacle de taille : la France est aujourd'hui au bord de la récession. Le pouvoir d'achat des ménages est en baisse. La hausse de la TVA risque de peser sur la consommation, et d'accroître la récession tout en pesant sur les ménages les plus modestes. Selon la Cour des comptes, la TVA est un des impôts les plus inégalitaires, car il s'applique à tous de la même façon, et pénalise d'abord les plus pauvres, qui épargnent peu et consomment beaucoup. D'autant que cette hausse fait suite à une série d'augmentations pesant sur la consommation : la hausse du taux réduit de TVA de 5,5% à 7 % début 2012 — sur l'hôtellerie-restauration, mais aussi l'alimentation hors produits de « première nécessité », les transports, les services à la personne, les livres, etc. ; la majoration des prix des sodas, du tabac et de l'alcool...
Tout ce week-end, l'opposition a dénoncé cette hausse de la TVA. « Un mauvais principe et un mauvais instrument », « tout à fait inopportun », d'après le candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande. « Une triple faute, selon l'ancien premier ministre Laurent Fabius, interrogé dimanche sur Radio J. Une faute économique parce que cela va peser sur la consommation, augmenter les prix ; une faute sociale parce que ce sont l'ensemble des couches populaires et moyennes qui vont payer ; une faute démocratique parce que ce n'est pas à moins de cent jours d'une élection qu'on annonce cela. »
« C'est une très mauvaise idée. Augmenter la TVA, ça veut dire baisse du pouvoir d'achat, ça pèse sur tout le monde et notamment les plus vulnérables », a expliqué Eva Joly, candidate écologiste à la présidentielle. Quant à François Bayrou, lui aussi partisan d'une hausse de la TVA de deux points, mais dans le cadre d'une remise à plat des finances publiques, il a dénoncé une « augmentation de près de deux points qui sera sans aucun effet ».
A l'UMP, certains n'hésitent pas à qualifier la hausse de la TVA de « suicidaire ».
13 milliards d'exonérations de cotisations patronales
« Ce mot n'a aucun sens. » Nicolas Sarkozy n'aime pas qu'on lui parle de la “TVA sociale” — il affirme même n'avoir « jamais prononcé le mot », ce qui est faux. Et c'est bien cette mesure qu'il a annoncée ce soir. Car la hausse de la TVA va bel et bien compenser… la baisse des charges sociales patronales sur les salaires entre 1,6 et 2,1 Smic — ce qui représente selon l'Elysée « 97 % des effectifs de l'agriculture, 82 % des effectifs de l'automobile et les deux tiers des effectifs de l'industrie ».
Un « cadeau aux entreprises » qui « ressemble à une utilisation des deniers du contribuable pour satisfaire un électorat » avant la présidentielle, selon le banquier d'affaires Georges Ugeux, qui tient un blog sur lemonde.fr. « Il s’agit d’une réponse positive aux demandes du Medef. On aurait pu au moins réduire les cotisations sociales pour les nouvelles et petites, voire moyennes entreprises. Le montant aurait diminué drastiquement », poursuit-il.
Alors que leur pouvoir d'achat va être rogné par la hausse de la TVA, les salariés ne seront pas soutenus par un coup de pouce de leurs salaires net, puisque leurs cotisations salariales, elles, restent inchangées. Nicolas Sarkozy a martelé un unique argument : le coût du travail en France est trop élevé et il faut « arrêter de plomber les salaires par des charges qui pénalisent l'emploi ».
En réalité, le coût du travail en France et en Allemagne est relativement proche, comme l'a montré la Cour des comptes, mais les cotisations patronales sont en effet plus importantes en France, car elles financent largement la protection sociale (en l'occurrence la branche famille de la Sécurité sociale). Cela ne date pas d'hier, mais Nicolas Sarkozy semble le découvrir. En introduisant la TVA sociale, le chef de l'Etat lance donc à quelques semaines de la présidentielle et de façon désordonnée un très vaste chantier, celui du financement de la Sécu…
La TVA sociale est « la seule réponse crédible à l'arrêt des délocalisations, la France se vide de son sang industriel », assure Nicolas Sarkozy. En fait, pour être sûr de créer le « choc de compétitivité» que souhaitent les défenseurs de la TVA sociale, il aurait sans doute fallu une baisse plus importante des cotisations employeurs.
Par ailleurs, rien ne garantit que les employeurs vont répercuter la baisse des charges dans leur prix, s'inquiète Eric Heyer, économiste à l'OFCE : « Il faudrait que les entreprises jouent le jeu et répercutent l'ensemble de la baisse des cotisations dans leurs prix hors taxe, ce qui est loin d'être évident. » Enfin, il est probable que nos voisins européens « ne se laissent pas faire ». « C'est une stratégie qui peut porter ses fruits à court terme, mais n'est en réalité ni coopérative ni viable. »
S'érigeant à nouveau en protecteur de l'emploi industriel, Nicolas Sarkozy a promis la création rapide d'une banque de l'industrie dotée d'« un milliard de fonds propres » — mais cette banque existe déjà, sous le nom d'Oséo. Une manière de répondre à François Hollande qui a annoncé au Bourget la création d'une banque publique d'aide aux PME. Le chef de l'Etat a également repris à son compte le « produire en France » de François Bayrou. « Je n'accepte pas la fatalité, je ne serai pas M. Jospin qui disait : "face à Vilvorde on n'y peut rien". »
Au risque de faire des promesses qu'il ne tiendra pas, Nicolas Sarkozy a surtout fait une promesse aux salariés de l'usine Lejaby d'Yssingeaux (Haute-Loire), menacée de fermeture : « Je leur dis qu'on a travaillé sur leur situation. Le site d'Yssingeaux, nous ne le laisserons pas tomber. Je ne laisserai pas tomber les gens de Lejaby. J'espère que dans quelques jours on aura trouvé la solution. » En février 2008, Nicolas Sarkozy avait dit la même chose aux ouvriers de l'usine Arcelor Mittal de Gandrange. Une promesse vite oubliée.
Négocier l'emploi et la durée de travail dans l'entreprise
Nicolas Sarkozy n'y est pas allé par quatre chemins. « Le premier ministre écrira aux partenaires sociaux dès demain matin pour leur demander de négocier dans les deux mois qui viennent » sur la question des accords compétitivité-emplois. En cas d'échec de la discussion, le gouvernement entend bien se saisir de la question — on serait alors… à un petit mois de la présidentielle !
L'idée de ces accords : rendre possible dans une entreprise une baisse de salaires et/ou du temps de travail. Jusqu'à présent, ces modifications substantielles du contrat de travail doivent être obtenues avec l'accord de chaque salarié. Une fois de plus, Nicolas Sarkozy dit s'inspirer de l'Allemagne et de la fameuse cogestion des relations sociales entre syndicats et patrons. Mais il omet de dire qu'outre-Rhin, « ce type d'accords prévoit un droit de regard relativement important des syndicats sur la situation économique comme la stratégie d'investissement de l'entreprise » comme l'explique dans Les Echos Adelhaid Hege, chercheuse à l'Ires.
En toute logique, les syndicats devraient dénoncer dès lundi une provocation. « Toute négociation en la matière sera particulièrement dure », a prévenu dès dimanche soir Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière. A croire que Nicolas Sarkozy entrerait volontiers en campagne à la faveur d'un bras de fer avec les syndicats.