Compte rendu | LEMONDE.FR | 26.12.11 | 18h33
MOSCOU (envoyé spécial) - "29 000" ? Bon nombre de titres de la presse russe s'interrogeaient sur les chiffres officiels de la participation, divulgués par les autorités moscovites, au sortir de la manifestation de l'opposition sur l'avenue Sakharov à Moscou samedi 24 décembre. Des chiffres contestés par l'ensemble des médias, pour qui le nombre de protestataires était nettement plus étoffé.
Certains médias avaient déployé des "observateurs-compteurs" sur place et obtiennent une fourchette allant de 70 000 personnes à plus de 100 000. Le quotidien Kommersant note (lien abonnés) au passage que malgré le succès de la manifestation de Moscou, les rassemblements en province ont été en général moins suivis que lors de la journée de manifestations précédente, le 10 décembre dernier.
UN DISCOURS PLUS RADICAL
Le quotidien Vedomosti se réjouit de l'émergence en Russie d'une "démocratie de la rue, civilisée et efficace". Et s'il faut féliciter les nouvelles têtes d'affiche de l'opposition pour être parvenus à canaliser pacifiquement des dizaines de milliers de personnes, il ne faut pas oublier les précurseurs qui ont permis la naissance de cette société civile, comme Lioudmila Alexeïeva, ou encore l'association Memorial, pour laquelle travaillait Natalia Estemirova, assassinée en Tchétchénie en raison de ses activités.
Nombre de journaux retiennent par ailleurs que la manifestation de samedi a été nettement plus sévère à l'égard de Vladimir Poutine, directement interpellé, tandis que la précédente édition était davantage axée sur la dénonciation des fraudes lors des élections législatives en début de mois.
Le discours des orateurs s'est également radicalisé, note la presse qui évoque notamment le discours très suivi du blogueur Alexeï Navalny : "Nous sommes suffisamment nombreux aujourd'hui pour prendre la Maison Blanche (siège du gouvernement) ! Nous ne le ferons pas cette fois-ci, car nous sommes des pacifistes. Mais la prochaine fois, nous serons un million dans la rue !"
UNE OPPOSITION EN DEMI-TEINTE
"Et maintenant ?", interroge le tabloïd Moskovskiï Komsomolets, qui déplore l'absence de volonté de la part des organisateurs de l'opposition de descendre sur le terrain politique et de concocter un programme, préférant plutôt miser sur le caractère citoyen du mouvement.
Pour le quotidien Kommersant, la présence samedi sur la tribune de Alexeï Koudrine, jusqu'à tout récemment ministre des finances de Vladimir Poutine, pourrait donner un début de réponse. Koudrine pourrait-il jouer un rôle d'intermédiaire entre les opposants et le régime ? L'ancien ministre, que Vladimir Poutine présentait encore tout récemment comme "un ami", a exhorté samedi sur scène le pouvoir à réformer le système électoral avant le scrutin présidentiel pour ne pas "perdre la chance d'un changement pacifique".
Le rôle de Koudrine est également évoqué par l'expert Alexeï Makarkine, à qui le quotidien Nezavissimaïa Gazeta donne la parole. Selon lui, la solution idéale serait une table-ronde entre le pouvoir et l'opposition, avec l'ancien ministre comme modérateur entre les deux parties – un scénario qui semble pour l'heure loin d'être réalisable. Quant à un "serrage de vis" de la part du pouvoir, l'expert n'y croit que peu : Vladimir Poutine n'en a pas les moyens, le régime n'y est pas prêt, pas plus que la société russe ne pourrait l'accepter.
LE PAYS EST QUASIMENT À L'ARRÊT JUSQU'AU 7 JANVIER
Mais avant toute éventuelle suite de ce mouvement de protestation spontané, ce premier chapitre s'arrêtera forcément d'ici quelques jours, à l'occasion des grandes fêtes du Noël orthodoxe, le 7 janvier. Du 1er au 11 janvier, le pays est quasiment à l'arrêt, les journaux ne paraissent plus, les transports sont au ralenti et les Russes, à la datcha ou en vacances au soleil à l'étranger.
Les organisateurs ont d'ailleurs donné rendez-vous fin janvier ou début février pour de nouvelles manifestations. Juste à temps pour la nouvelle campagne électorale, présidentielle celle-là, qui devrait marquer le 4 mars prochain le retour de l'actuel premier ministre Vladimir Poutine au Kremlin.
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Alexandre Billette