Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes
Dans son discours de politique générale, le 3 juillet 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault appelait « à l’effort national ». Coupes dans les dépenses publiques, allongement de la durée de cotisations pour obtenir une retraite, hausse de la TVA… Le gouvernement s’emploie par de nombreux moyens à équilibrer le budget de l’Etat français. Tellement que même le Fonds Monétaire International lui recommande de lever le pied.
Pourtant un levier, et non des moindres puisqu’il pourrait rapporter entre 60 et 80 milliards d’euros par an selon un rapport du syndicat national Solidaires finances publiques, a mal été utilisé selon le référé de la Cour des comptes publiés le 10 octobre : La lutte contre la fraude fiscale.
Cette somme permettrait chaque année de combler les déficits des régimes généraux des retraites et de la sécurité sociale et cela tout en conservant plus de 30 milliards à investir dans d’autres projets.
Les sages de la rue Cambon souligne tout de même que l’Etat n’est pas resté inactif : Loi du 26 juillet 2013 relative à la séparation et la régulation des activités bancaires, extension de la compétence de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) et signature de la convention de l’OCDE contre les paradis fiscaux. Mais la Cour décrit aussi des moyens de lutte contre la fraude fiscale peu efficaces : Multitude des organismes, manque de coopération et d’échanges entre eux, défaut de motivation de certains.
Le constat débute par une dénonciation de la liste française des Etats non-coopératifs. «Cette liste qui ne se fonde que sur la signature d’accords d’assistance et sur les évaluations de l’OCDE, demeure très restreinte, ce qui prive largement d’effets l’ensemble de la législation qui s’y réfère. En particulier, la liste française des paradis fiscaux (…) en date du 6 avril 2012 (…) ne comprend pas les pays vers lesquels les fraudeurs fiscaux (personnes physiques et morales) se tournent prioritairement pour réaliser leurs opérations ».
Pour la Cour des comtes la Direction générale des finances publiques(DGFIP) est « démunie » face à la fraude fiscale internationale et à besoin d’une collaboration des autres services de l’Etat. Mais selon la Cour « trop souvent, les administrations restent chacune dans leurs logiques et ne partagent leurs informations que lorsqu’elles ne savent pas ou ne peuvent pas les traiter ». La répression de la fraude fiscale doit s’appuyer plus fortement sur Tracfin, cellule française de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et la Direction centrale du renseignements intérieur (DCRI), selon le rapport. Ainsi, il est demandé qu’un texte rende possible à la DCRI de transmettre les informations dont elle dispose à l’administration fiscale. Cela permettrait d’exploiter des listes comme celle de la banque HSBC.
Les sages de la rue Cambon mettent aussi en avant un manque de moyen de l’administration fiscale afin que cette dernière puisse se coordonner et travailler efficacement. La Direction nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) mise en place pour coordonner la fraude fiscale et sociale, faute d’un personnel administratif suffisant, seulement 11 personnes, « n’a pu s’imposer comme acteur de coordination » de tous les services de lutte contre la fraude fiscale et « a concentré son action contre la fraude sociale plus que sur la fraude fiscale », précise le rapport.
Une autre mesure est préconisée par les sages de la rue Cambon : donner la possibilité au parquet de poursuivre de façon autonome certaines fraudes fiscales complexes. Aujourd’hui, la fraude fiscale est le seul délit dont le monopole appartient à l’administration.
Ces changements demanderont des moyens et une volonté imprimer par le gouvernement. Cependant, cela semble bien dérisoire face aux recettes qui peuvent être récupérées. Recette qui devraient permettre de laissé souffler une partie de la population et de restaurer une certaine légitimité politique.
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Réquisitoire de la Cour des comptes sur la lutte contre la fraude fiscale : refus de coopérer entre les services, inadaptation des moyens et des procédures... En dépit des intentions, la fraude fiscale internationale paraît toujours être une matière secondaire pour l'administration.
Depuis 2009, les gouvernements successifs assurent que la lutte contre la fraude fiscale est en tête de leurs préoccupations. Pas un sommet international, pas une réunion européenne ne se passe sans que les autorités françaises rappellent leur détermination à la combattre. La fraude fiscale représente une perte pour l’État de 50 à 80 milliards d’euros par an, a encore indiqué un rapport d’une commission sénatoriale le 9 octobre. La Commission européenne évaluait récemment le coût de la seule fraude à la TVA à 32 milliards d’euros par an en France.
Les actes, cependant, paraissent avoir du mal à suivre les paroles. Dans son dernier rapport publié le 10 octobre (lire ici), la Cour des comptes dresse un tableau consternant des moyens mis en place par l’État pour lutter contre la fraude fiscale : des troupes désorganisées et mal équipées, chacune luttant pour conserver son pré carré et ses prérogatives, incapables de coopérer et d’échanger des renseignements. Pas toutes convaincues non plus, semble-t-il, que la lutte contre la fraude fiscale soit une urgence… Il y a des déroutes planifiées.
Depuis trois ans, les textes et les engagements internationaux signés par la France n’ont pourtant pas manqué. L’État a signé la convention OCDE contre les paradis fiscaux, le traité pour les échanges automatiques de données, mais ces derniers en sont encore au stade préliminaire.
La France a aussi instauré une liste des États non coopératifs, redéfinie chaque année par arrêté ministériel. Mais d’emblée, il y a de curieux oublis, comme le souligne la Cour des comptes. « Cette liste qui ne se fonde que sur la signature d’accords d’assistance et sur les évaluations de l’OCDE, demeure très restreinte, ce qui prive largement d’effets l’ensemble de la législation qui s’y réfère. En particulier, la liste française des paradis fiscaux (…) ne comprend pas les pays vers lesquels les fraudeurs fiscaux (personnes physiques et morales) se tournent prioritairement pour réaliser leurs opérations. »
Ces derniers choisissent prioritairement les pays où la coopération judiciaire n’existe pas, où les structures commerciales sont opaques, où le secret bancaire est solidement établi, rappelle le rapport. Aucun nom n’est cité mais on peut au choix parler de la Suisse, du Luxembourg, des îles Anglo-Normandes, de Singapour, de Panama, des îles Caïmans et de tant d’autres.
Au-delà des textes, il y a aussi la volonté de les faire appliquer. La fragmentation des compétences qu’a choisie l’État – héritage du passé ? – ne peut que poser question. Pas moins de huit services sont censés être impliqués dans la lutte contre la fraude fiscale. Il y a Tracfin, chargé dès sa création de lutter contre la fraude et le blanchissement. Il y a la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Il y a la direction générale des finances publiques (DGFIP), la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), la direction nationale de vérification des services fiscaux (DNVSF), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), la délégation nationale à la lutte contre la fraude fiscale (DNLF), sans parler de l’Autorité de contrôle prudentiel et de l’autorité des marchés qui ont elles aussi mission de surveiller la lutte contre la fraude fiscale.
À lire entre les lignes, chaque service semble suivre sa voie et veiller sur ses prérogatives, en se gardant bien d’échanger des informations ou de mutualiser moyens et connaissances. Cette situation ne peut que bénéficier aux éventuels fraudeurs, en laissant des trous béants dans les dispositifs. « Trop souvent, les administrations restent chacune dans leur logique et ne partagent les informations que lorsqu’elles ne savent pas ou ne peuvent pas les traiter. Cette situation est d’autant plus dommageable qu’un certain nombre d’informations prises individuellement sous un angle administratif ne laissent supposer aucune anomalie, alors qu’une approche globale peut aider à mettre au jour des fraudes », écrit la Cour des comptes.
Ainsi, Tracfin « considère qu’il ne peut pas répondre aux demandes de l’administration fiscale ». Ce qui est, selon la Cour des comptes, une lecture erronée du livre des procédures fiscales. De son côté, la direction générale des finances publiques, soucieuse manifestement des formes et des habitudes, se garde bien de demander des informations à Tracfin. S'il acceptait une coopération élargie, Tracfin pourrait par exemple, pointe le rapport, traiter des listes comme celle de HSBC, ce que les autorités fiscales ne peuvent pas faire compte tenu de leur provenance. Le fisc français a été obligé de rendre le listing HSBC aux autorités suisses, celles-ci contestant son utilisation puisqu’il s’agissait d’un listing volé.
De même, la DCRI dispose d’informations financières sur la fraude internationale. Elle était notamment parfaitement au fait des pratiques d’UBS en France, comme l’a raconté Antoine Peillon dans son livre Ces 600 milliards qui manquent à la France. Mais elle ne les exploite quasiment jamais et ne les transmet pas à l’administration fiscale. « Aucun texte ne lui permet de le faire », note le rapport. Encore un oubli malencontreux.
Mais c’est au sein même du ministère des finances que la situation est la plus caricaturale. À la lecture du rapport, on ne peut s’empêcher de se demander si l'on souhaite vraiment mettre en place une organisation efficace pour permettre une coopération dans la lutte contre la fraude fiscale.
Le premier constat de la Cour des comptes est édifiant : les moyens informatiques qui permettraient d’échanger les données, de les exploiter dans des systèmes unifiés n’existent pas. « L’architecture des systèmes informatiques utilisés dans le cadre du contrôle fiscal repose sur des bases de données et des applications très nombreuses, anciennes, peu ergonomiques et souvent non interconnectées », note le rapport.
Un accord au sommet a été signé en 2011 entre la direction des douanes et celle des finances publiques pour permettre d’échanger des données, afin de mieux lutter notamment contre la fraude à la TVA. « Deux ans après la signature du protocole, l’accès croisé à certaines bases de données visées par ce document n’est toujours pas mis en place et une "solution temporaire" permet simplement à une cinquantaine d’agents de la douane d’avoir accès à la base DGFIP, et à quelques agents de la DGFIP d’avoir accès aux bases de données douanières », relate le rapport. Des milliers d’informations restent ainsi inexploitées, comme les déclarations de transferts de capitaux à l’étranger recueillies par les douanes, par exemple.
Mais c’est surtout la conviction que la fraude fiscale est un vrai problème qui semble le plus faire défaut au sein du ministère des finances. Une délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) a bien été créée. Le ministère des finances lui a donné tous les moyens pour exister : 11 personnes ! Face aux puissances tutélaires de Bercy que sont les directions générales des finances publiques ou du Trésor, la suite était écrite par avance : « Faute de moyens et de poids administratif, la DNLF n’a pas su s’imposer comme acteur de la coordination entre tous ces services et notamment ceux du ministère des finances et a concentré son action sur la fraude sociale plus que sur la fraude fiscale », note le rapport.
Chaque direction a pu ainsi continuer selon ses habitudes. Le rapport de la Cour des comptes s’étend particulièrement sur les pratiques de la direction nationale des enquêtes fiscales qui, rappelle-t-il, a le monopole des perquisitions fiscales, et fournit les informations pour les contrôles fiscaux des services opérationnels. Encore faudrait-il qu’elle soit convaincue de la pertinence de son action. « Le volume d’informations adressées par la DNEF à la direction de vérification des services fiscaux a été divisé par deux de 2005 à 2009 (…) Compte tenu des fraudes visées par les services de la DNEF, notamment les carrousels TVA, l’anticipation et la réactivité sont des facteurs déterminants », rappelle la Cour des comptes.
Ce défaut de volonté de lutter contre la fraude fiscale internationale se vérifie à tous les niveaux : la politique de répression des services fiscaux est ciblée sur les fraudes faciles à sanctionner et non sur les plus répréhensibles, accuse la Cour des comptes. Elle poursuit : « Près du tiers des plaintes visait en 2008 des entrepreneurs du bâtiment, et plus particulièrement "ceux originaires d’un même pays méditerranéen" parce qu’ils mettent en œuvre des schémas de fraude simples et de fait, se défendent peu. En revanche, les dépôts de plainte par la DVNI ou la DNVSF, qui vérifient les grandes entreprises ou des particuliers "à fort enjeu", sont extrêmement rares. »
Et si d’aventure, les grandes entreprises ou les particuliers « à fort enjeu » sont contrôlés et reconnus coupables de fraude fiscale, cela se termine en général par une transaction, tellement plus discrète, tellement plus confortable. « Pour éviter une confrontation avec des contribuables dotés de conseils juridiques puissants, les services fiscaux préfèrent souvent cette voie », indique le rapport. « L’ampleur de ces pratiques est difficile à mesurer faute d’un suivi adéquat (…) Dans la plupart des cas, la transaction permet de clore un contentieux entre l’administration et un contribuable (…) Dans ces circonstances, la possibilité d’une sanction pénale est très théorique », note le rapport.
Cette politique permettant d’éviter tout tracas judiciaire aux fraudeurs fiscaux en col blanc semble être une ligne de conduite partagée dans toute l’administration ou ses émanations. La Cour des comptes relève ainsi la grande compréhension de l’autorité de contrôle prudentiel (ACP), chargée de contrôler les banques, en matière de fraude fiscale. « La réponse apportée par l’ACP aux défaillances des établissements financiers n’est pas toujours assez ferme. Dans plusieurs dossiers (...) l’ACP a constaté des opérations suspectes qui auraient dû faire l’objet de déclarations de soupçon de la part des établissements bancaires, voire de dénonciation au Procureur. Or l’ACP, en application d’une interprétation erronée (d’un article du code monétaire et financier) attend l’issue de la procédure contradictoire du contrôle bancaire pour faire une déclaration à Tracfin, en incitant éventuellement les établissements à se mettre en règle », signale le rapport.
Ce temps précieux n’est pas perdu pour tout le monde. Les traces peuvent être effacées, les fraudes dissimulées, les fraudeurs partis vers des territoires encore plus opaques. Et au pire, la banque coupable s’en tire pour quelques centaines de milliers d’euros d’amende. « Le manque de réactivité de l’ACP limite les possibilités ultérieures de mise en jeu de la responsabilité pénale de l’établissement pour complicité », insiste le rapport. Un pur hasard, naturellement.
L’attention de l’Autorité des marchés financiers sur les sujets de fraude fiscale ne paraît guère plus aiguisée. Parmi ses missions, il lui incombe de contrôler les conseillers en investissement financier. « Parmi les 4 192 professionnels recensés, seuls 18 ont fait l’objet de contrôle par l’AMF en 2012 », relève le rapport.
Considérant que la fraude fiscale ne peut être tenue comme un sujet subalterne, réglé à la seule discrétion de l’administration, la Cour des comptes recommande que la justice soit désormais totalement impliquée dans ces dossiers, afin qu’il y ait enfin des vraies sanctions pénales. Elle préconise que les parquets puissent poursuivre d’emblée les fraudes complexes, et ne plus être limités dans leur action aux seuls faits de blanchiment de fraude fiscale. Elle souhaite que les perquisitions fiscales ne soient plus le monopole des seuls services fiscaux mais puissent aussi être menées par des juges. Si ces recommandations étaient suivies, ce serait une vraie révolution dans ce pays qui a toujours affiché une grande tolérance à la fraude fiscale et à la délinquance en col blanc.