« Le gouvernement ne retiendra pas la proposition de Louis Gallois de reprendre les recherches concernant l’exploitation des gaz de schiste », se félicite Jean-Paul Chanteguet, député PS de l’Indre, président de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, en rappelant que l'exploitation de cette énergie ferait peser les « coûts environnementaux et sanitaires » sur la collectivité.
Le Premier Ministre a tranché: le gouvernement ne retiendra pas la proposition de Louis Gallois de reprendre les recherches concernant l’exploitation des gaz de schiste. Se démarquant de la ligne définie lors de la conférence environnementale le 14 septembre dernier, l’ancien patron d’EADS a pris le relais de l’association française des entreprises privées. La quasi-totalité du CAC 40 et des grandes entreprises françaises réunies au sein de l’Association française des entreprises privées (AFEP) réclamaient le 28 octobre dernier le droit d’explorer et d’exploiter la ressource nationale que constituent les gaz de schiste.
Ces prises de position sonnent comme des injonctions au pouvoir politique accusé en creux de vouloir priver la France d’une richesse évidente au moment où notre pays est frappé par la pire crise depuis la seconde guerre mondiale. Elles s’accompagnent ensuite dans le débat public de critiques sur le principe de précaution qui ralentit les projets industriels, interdit des activités pourtant développées ailleurs et renchérit les coûts d’exploitation des entreprises. Elles développent enfin une mise en cause plus globale: décider en toute conscience de laisser le gaz de schiste prisonnier de la roche mère reviendrait à renoncer au progrès et à s’inscrire dans une démarche frileuse, récessive, en somme à choisir la voie du déclin.
C’est pourtant tout le contraire. La transition énergétique que François Hollande a décidé d’engager vise à mettre en place un nouveau modèle de croissance intelligent, durable et solidaire fondé sur des énergies renouvelables et efficaces qui prennent peu à peu le relais des énergies fossiles. Le charbon, le pétrole, le gaz qui ont porté la révolution industrielle et permis des croissances phénoménales sont des ressources finies et plus personne ne peut ignorer les dégâts que leur exploitation cause en termes de pollution et de changement climatique. Extraire le gaz de schiste, c’est s’obstiner dans cette voie du passé en exploitant à des coûts toujours croissants pour le climat, l’environnement et la santé les dernières ressources disponibles alors que l’énergie du futur, celle du XXIe siècle reste privée des investissements nécessaires à son développement. Permettre l’exploitation de ce gaz, ce serait donc pour la puissance publique sacrifier l’avenir au très court terme et préférer, à la défense de l’intérêt général, la protection de quelques intérêts privés. Et si d’autres pays ont pourtant choisi cette voie, au premier rang desquels les Etats-Unis, il n’est pas interdit à l’Etat français d’en comprendre les raisons, d’en tirer les leçons et d’assumer préférer un autre chemin.
Mais passons au détail de ce qui doit en toute conscience nous faire renoncer à exploiter le gaz de schiste. Car tout doit être dit dans ce débat, les risques comme les enjeux analysés, les faux semblants comme les faux espoirs décrits pour mieux s’en départir.
Notre pays s’est engagé comme ses 26 partenaires européens à réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020. Il s’agit de ralentir, sinon d’inverser la trajectoire du changement climatique qui nous mène à des dérèglements économiques, sociaux et migratoires d’envergure. Mieux, la France par la voix de François Hollande souhaite convaincre l’Union européenne d’aller jusqu’à une réduction de 40 % en 2030 et de 60 % en 2040. Elle est loin de ces objectifs. Or, l’exploitation du gaz de schiste selon plusieurs études concordantes, dont celle de Robert Howarth de l’Université Cornell dans l’Etat de New York, a une empreinte carbone équivalente à celle du charbon, la source d’énergie la plus émettrice de gaz à effet de serre. Si l’on additionne les émissions dues au forage, à l’extraction, au transport et à la dépollution des immenses quantités d’eau utilisées, le résultat est accablant. L’émission de méthane y contribue largement car ce gaz émis lors de l’extraction du gaz de schiste a un pouvoir réchauffant bien plus élevé que le CO2 sur vingt ans, justement la période la plus critique durant laquelle la Communauté internationale doit limiter la hausse des températures.
L’exploitation du gaz de schiste a ensuite un impact considérable sur la ressource première et essentielle à la vie qu’est l’eau. D’un point de vue quantitatif tout d’abord. Le forage classique d’un seul puits, à raison de dix fracturations, utilise une vingtaine de millions de litres d’eau. La captation de la ressource par des puits forcément nombreux du fait de leur faible rentabilité est telle aux Etats-Unis qu’elle conduit à des conflits d’usage entre l’industrie pétrolière, les citoyens parfois rationnés et les agriculteurs qui finissent par vendre leurs ressources aquatiques et renoncer à leurs cultures. D’un point de vue qualitatif ensuite. La fracturation de la roche est opérée par un mélange d’eau, de sable et de produits chimiques. En tout quelques 750 composés dont 29 ont été reconnus aux Etats-Unis cancérigènes et à risque pour la santé humaine. Une partie de ces produits auxquels il convient d’ajouter de l’arsenic et des éléments radioactifs, qui remontent des couches fracturées, s’échappent dans le sol, rejoignent les nappes phréatiques et/ou remontent à la surface où ils polluent l’air. Quant à l’eau, elle doit bien sûr être traitée avant d’être réutilisée. Les habitants des zones forées se trouvent ainsi exposés à de multiples polluants qui dégradent leur santé. L’environnement en surface est lui aussi concerné. La noria de camions (un millier de trajets par puits) qui transportent l’eau, le matériel et le gaz provoque des nuisances sonores, oblige à un lourd entretien des voies et entraîne l’artificialisation de territoires naturels et la destruction d’écosystèmes. Enfin plusieurs régions d’exploitation ont été victimes de séismes aux Etats-Unis comme au Royaume Uni attestant des conséquences de la fracturation sur les couches profondes de la terre.
Tous ces coûts environnementaux et sanitaires ne sont bien sûr jamais pris en considération par les promoteurs de l’exploitation du gaz de schiste. L’idée qu’il convient désormais d’internaliser dans le prix de la production l’ensemble des réparations des dégâts causés à la santé humaine et aux biens communs que sont l’eau, l’air, le sol, la biodiversité n’entre pas dans les calculs de rentabilité. Le faible prix de cette énergie vanté par ses promoteurs est donc largement biaisé puisqu’au final c’est la collectivité qui devra en payer le véritable coût. Quant à l’intérêt de l’autonomie qui serait ainsi reconquise et des économies qui seraient réalisées en termes de balance commerciale, ils sont à rapporter aux contrats à long terme qui nous lient à nos fournisseurs de gaz à des prix indexés sur ceux du pétrole. Enfin l’argument de la création d’emplois ne tient pas davantage. Les énergies renouvelables sont un gisement largement plus porteur d’avenir. L’Allemagne a ainsi doublé en six ans le nombre de postes dans ce secteur qui employait 370 000 personnes en 2010.
Les Etats-Unis, marqués par une culture foncièrement pétrolière et riches d’un espace géographique sans commune mesure avec le nôtre, privilégient aujourd’hui d’autant plus la liberté de forer le sous-sol que celui-ci appartient au propriétaire du sol. Autant de critères qui expliquent un choix que nous n’avons pas à suivre. Depuis l’époque de Napoléon notre administration régit au contraire l’exploitation des mines via un code qui doit aujourd’hui être adapté à la protection de l’environnement, à la transparence du débat et à un nouveau partage de la richesse. Le nouveau code minier, réformé dans les mois à venir, devra proclamer l’interdiction de l'exploration et de l’exploitation des hydrocarbures par fracturation ou fissuration de la roche mère en l’assortissant de sanctions pénales et d’amendes fortement dissuasives en cas de violation. Les députés socialistes soutiendront cette avancée majeure qui accompagnera la France sur le chemin de la transition énergétique en la débarrassant de ce mirage du gaz de schiste que certains veulent nous faire prendre pour un horizon.