Que les raisons qui ont poussé le premier ministre grec soient bonnes ou mauvaises, peu importe. Que cette décision soit dictée par un sentiment d’impasse, en réponse à une double pression contradictoire, celle du marché et celle du peuple grec, peu importe aussi. Que Papandréou soit déterminé ou acculé, qu’il désire mettre l’opposition grecque face à ses responsabilités ou qu’il recherche une sortie honorable par un baroud d’honneur « démocratique » n’est pas si important non plus. Que ceux qui défendent encore le premier grec ou lui sont viscéralement opposés se rassurent : l’idée même du referendum, sa dynamique entropique, en action à la seconde même ou il a été annoncé, dépasse de loin les calculs politiques des uns et des autres. Car cette proposition de referendum qu’aucuns jugent prématurée, hasardeuse, opportuniste, risquée et d’autres tardive, hypocrite, populiste ou prenant les allures d’un chantage est le grain de sable, le détail qui tue, l’ange exterminateur d’un train – train dévastateur, celui qui souligne que la dictature du marché ne connaît pas d’anti - discours, hors celui de l’indignation.
Que le microcosme politique grec, avec ses bassesses, ses arrières pensées misérables, son tropisme clientéliste (dont aucune force politique n’y échappe) soit l’élément déclencheur de cette décision, ou, au contraire, que ce soit les manœuvres allemandes et plus généralement européennes, qui pensent une Grèce - protectorat soumise à volonté à la créance, ils assument tous comme préalable que notre monde, d’une orthodoxie perverse qui n’a rien à envier à celle de Staline, est un monologue qui n’accepte la critique que dans sa marginalité offusquée. Le marché, les politiques, les fonctionnaires non élus ou les dignitaires d’un duché minuscule, pensent que la crise est leur affaire, qu’ y répondre, c’est, comme toujours, leur seule responsabilité, que son cadre est celui qu’ils veulent bien lui donner, qu’il faut croire et pas chercher à comprendre, qu’il faut répondre au plus pressé, c’est à dire à une situation de crise permanente dont ils sont les pères fondateurs. Cette stratégie du choc n’évolue que par ce que elle se croit sans alternative, sans accrocs, sans anti-discours. En ce sens, le marché, les politiques, les fonctionnaires non élus ou les dignitaires d’un duché minuscule veulent bien comprendre les indignés, entendre les cris de désespoir, réfléchir sur la destruction massive de l’outil de travail, ils veulent bien répondre aux inquiétudes du marché (qui n’en a aucune si ce n’est celle de pouvoir générer du pognon par l’emprunt), etc., à condition qu’on les laisse travailler dans leur coin peinards. Comme en Argentine, comme en Finlande, comme dans la Grèce de Solon ou Clisthène, comme dans l’Amérique post révolutionnaire, certains actes dépassent de loin leurs objectifs : pensés comme une réponse tactique, non dénudée d’arrières pensées, ils conquièrent leur autonomie, créent de l’anti-discours inattendu, bloquent la pensée dominante, et de la sorte créent de la vraie panique, pas celle qui est quotidiennement servie pour justement apaiser les ardeurs contestataires mais celle, naturelle, qui porte sur le monopole de penser, de dire et d’agir. Tout sera fait pour que ce referendum n’ait pas lieu. A nous de lui donner une dynamique autonome et irrésistible.