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21 février 2012 2 21 /02 /février /2012 17:16
Marianne - Mardi 21 Février 2012 à 15:01
Diplômé en sciences politiques et professeur en Etudes européennes à l’université de... En savoir plus sur cet auteur

 

Gilbert Casasus est professeur en « études européennes » à l'université de Fribourg. En Suisse, le référendum est une pratique habituelle. En réponse à la volonté de Nicolas Sarkozy de remettre au goût du jour le référendum, Gilbert Casasus explique son fonctionnement en Suisse et les dérives qui en découlent. Souvent transformé en plébiscite, il ne sert pas toujours les intérêts du peuple.

 

En matière de référendum, les Suisses en connaissent un rayon. L’utilisant depuis le 19e siècle, le référendum fait intégralement partie leur pratique politique. Aucun parti ne le remet en cause, l’utilisant d’ailleurs fort souvent pour valoriser leurs propres idées. Parfaitement adaptée à cette tradition citoyenne, la constitution suisse prévoit deux dispositions qui constituent le fondement même de la « démocratie directe » helvétique.

D’une part, l’Article 140 de la constitution fédérale stipule l’existence d’un « référendum obligatoire », lorsque le Conseil fédéral soumet au peuple l’approbation de textes modifiant la constitution, acceptant l’adhésion de la Confédération « à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales » ou instaurant des « lois fédérales déclarées urgentes qui sont dépourvues de base constitutionnelle et dont la durée de validité dépasse une année ».

D’autre part, le citoyen est appelé à s’impliquer lui-même dans la vie de son pays par l’intermédiaire de ladite « initiative populaire » dont la définition est fournie en ces termes par les alinéas 1 et 5 de l’Article 139 de la Constitution : « 100 000 citoyens et citoyennes ayant le droit de vote peuvent, dans un délai de 18 mois à compter de la publication officielle de leur initiative, demander la révision partielle de la constitution suisse » ; dans ce cas « toute initiative revêtant la forme d’un projet rédigé est soumise au vote du peuple et des cantons. L’Assemblée fédérale en recommande l’acceptation ou le rejet. Elle peut lui opposer un contre-projet ».

Par conséquent, fédéralisme oblige, que ce soit pour l’approbation d’un texte engageant une modification de la constitution ou pour celle d’une initiative populaire, il est nécessaire de regrouper une « double majorité » respectant à la fois la volonté du peuple et celle des cantons.

Une particularité suisse

L’utilisation fréquente du référendum, voire le recours à l’initiative populaire, est l’expression d’un système politique suisse doté d’un exécutif faible et consensuel à la fois. Contrairement à ses voisins, voire aux autres pays de la planète, la Suisse moderne n’a jamais demandé à être forte. En revanche, elle se félicite d’être proche du citoyen et de représenter à son plus haut niveau institutionnel les sensibilités politiques qui la composent.

Bien que conservatrice, la majorité gouvernementale accueille deux Conseillers fédéraux socialistes sur sept, ceux-ci travaillant souvent en parfaite harmonie avec leurs collègues du centre ou de la droite ; d’ailleurs souvent mieux que ne le font les cinq autres membres du gouvernement, les rivalités entre les formations bourgeoises étant de plus en plus exacerbées depuis plusieurs années. Malgré de nombreux désaccords politiques, le Conseil fédéral n’a jamais été perçu comme un lieu d’affrontements majeurs. Et si, par mégarde, un parti ou un Conseiller fédéral s’aventurait dans cette brèche, il devrait tôt ou tard en payer le prix. Tel fut le cas de l’ancien Chef de la très droitière Union Démocratique du Centre (UDC), Christoph Blocher, qui ne fut pas réélu dans ses fonctions de Chef du Département de la Justice et de la Police  en 2007.

Un instrument de clivage

En lieu et place de cet exécutif faible et consensuel, le référendum, et plus encore l’initiative populaire, sont les instruments de clivage de la politique suisse. Ils permettent de confronter les idées, de forger les opinions, de défendre des intérêts particuliers ou généraux et de susciter des débats de société. Clés de voûte de la démocratie directe helvétique, ils donnent la parole aux Suisses. Toutefois, ceux-ci ne la saisissent qu’à moitié, rares étant les scrutins enregistrant des taux de participation supérieurs à 50 % des inscrits. Et bien que de très nombreux projets présentés par le Conseil fédéral soient approuvés par le peuple, ce dernier a également souvent manifesté son désaccord face à la politique gouvernementale, voire face à quelques avancées que l’électorat suisse a trop souvent dédaignées et refusées.

Faut-il rappeler ici que les hommes suisses ont longtemps dit non au droit de vote des femmes, ne l’instaurant qu’en 1971 ? Que penser aussi du rejet en 1986 de l’adhésion de la Confédération à l’ONU, au grand dam d’ailleurs de la ville de Genève qui ne s’est que difficilement remise de ce vote, tant ce scrutin a porté atteinte à sa vocation de « ville internationale » ?  Aura-t-il alors fallu plus de quinze ans pour que la diplomatie suisse se remette de cet affront que lui avait infligé son peuple. Celui-ci, bel et bien obligé de se rendre compte en 2002 de l’énorme bourde qu’il avait commise, fut alors contraint de reconnaître son erreur et de rectifier le tir au début du 21e siècle.

Quant à l’Europe, la Suisse ne cesse d’avoir recours au référendum pour corriger quelque peu son vote négatif du 6 décembre 1992, lorsqu’une infime majorité des électeurs a refusé l’adhésion de la Confédération à « l’Espace Économique Européen ». Depuis lors, les scrutins se succèdent pour atteler le wagon suisse à la construction européenne, via des négociations dites « bilatérales » entre l’Union européenne et un pays qui voudrait bénéficier de tous les avantages de l’Europe communautaire sans en supporter le moindre de ses inconvénients.

Du référendum au plébiscite

Alors que la démocratie directe suisse aurait pu servir de modèle à ses voisins, elle suscite aussi de nombreuses inquiétudes. Devenue l’instrument de propagande privilégié de la droite dure, souvent qualifiée de populiste, elle a également terni l’image de la Suisse à l’étranger. Que ce soit lors du vote sur l’expulsion des criminels étrangers en 2010 ou sur celui de l’interdiction de la construction des minarets un an plus tôt, l’intolérance, voire la xénophobie suisse a fait le tour du monde. De même certaines affiches, placardées par l’UDC, ont suscité les réactions indignées, non seulement de ceux que l’on nomme avec haine et dédain « les droits-de-l’hommistes » mais aussi des organisations reconnues et dépendant directement des Nations Unies. Est-ce là un modèle à suivre ?

Cette question n’est pas saugrenue à l’heure, où le référendum fait son retour en force sur la scène politique française. Rien ne dit que les Français voteraient autrement que ne l’ont fait les Suisses. Rien ne dit que les Français seraient moins hostiles aux étrangers que ne le sont les Suisses. Rien ne dit que les Français seraient plus ouverts à l’Europe que ne le sont les Suisses. Mais tout plaide à croire, en revanche, que les Français seraient plus exposés que ne le sont les Suisses à une crise de leur système démocratique.

Dotée d’un Président fort, seul habilité à soumettre un projet de loi par référendum, la France a tout à se méfier d’une dérive plébiscitaire de ses institutions. Alors que la Suisse a trouvé un équilibre entre d’une part un exécutif faible et consensuel et la pratique de la démocratie directe d’autre part, la France ne l’a jamais cherché. Pire, elle semblerait vouloir instaurer un double exécutif dominant : un Président fort recourant avec force à l’arme du référendum. Si tel devait être le cas, cela serait, ni plus ni moins, une preuve de faiblesse pour la démocratie française.
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