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Le blog des Indignés de Nimes et de la Démocratie Réelle Maintenant à Nimes

Rage against le système

 

Le Monde - 25 janvier 2012

 

Posée sur la table basse du salon, une affichette annonce la couleur : "Vous avez le droit de vous indigner". Dans quelques heures, Mathieu, 34 ans, ira en coller des semblables sur les murs de Dunkerque avec ses deux frères, Romain, 32 ans,  et Stanislas, 29 ans. Ils ont tous trois l'âge où la vie devient généralement plus facile, plus confortable. Mais eux sont toujours à la recherche d'un emploi. "Je lutte contre cette culpabilité d'être au chômage et d'habiter encore chez mes parents à 29 ans, explique Stanislas. Parce que dans le fond, cette culpabilité n'a pas de sens."


Stanislas, Romain, Mathieu. © Elodie Ratsimbazafy

Stanislas, Romain, Mathieu. © Elodie Ratsimbazafy

 

Quelques jours plus tôt, mardi 17 janvier, au petit matin, un masque sur le visage, ils portaient tous trois un cercueil en carton pour enterrer symboliquement l'emploi lors de la première "marche funèbre" des indignés dunkerquois. Pour l'occasion, leur mère, Danielle, 67 ans, avait même défilé avec eux jusqu'à l'agence Pôle Emploi de Bazennes. C'est d'ailleurs elle qui les avait "un peu poussés" à rejoindre le mouvement en décembre, trois semaines après sa création, "parce qu'après nous avoir payé des études, elle trouvait incroyable qu'on se retrouve à galérer", rappelle Mathieu.

Romain et Mathieu sont titulaires d'un Deug de sociologie et d'un diplôme d'anthropologie sociale (licence pour l'un, maîtrise pour l'autre). "Mes parents disaient : 'fais des études, va loin, et avec ça, tu auras du boulot'. Au final, c'est l'inverse, raconte Romain. Ce qui est dommage, c'est qu'il n'y ait pas de débouchés dans les cursus trop intellectuels. Si on avait fait une licence pro, on aurait sans doute du boulot aujourd'hui". "C'était un diplôme un peu théorique, qui ne me sert pas à grand-chose, reconnaît de son côté Mathieu. Je pensais qu'un bac + 4 m'ouvrirait plus de portes."

Son contrat de surveillant dans un collège (25 heures par semaine pour 642 euros par mois) n'ayant pas été renouvelé, Mathieu sera au chômage fin février. Sans illusions car sans expérience dans ce secteur, il est déjà en train d'envoyer des CV et des lettres de motivation pour travailler dans des structures associatives d'aide aux plus démunis. Romain, après avoir été surveillant dans un lycée pendant trois ans, touche aujourd'hui 450 euros par mois des Assedic et s'occupe bénévolement d'une association qui organise des soirées électro. "Ça fonctionne bien, mais il manque 3000 euros pour me créer un poste à l'année."


Dans l'appartement de Mathieu. © Elodie Ratsimbazafy

Dans l'appartement de Mathieu. © Elodie Ratsimbazafy

 

Stanislas, le cadet, est lui aussi inscrit à Pôle Emploi et touche 500 euros d'allocation chômage par mois. Titulaire d'un DUT d'informatique, et malgré une formation web complémentaire, il n'a jamais trouvé un contrat pérenne dans la région. Il s'est donc lancé en free-lance dans la création de sites Internet mais les clients se font attendre. "On ne trouve pas de boulot, c'est pour ça qu'on crée nos propres jobs. On n'est pas d'accord avec la société dans laquelle on vit donc on essaye de faire ce qui nous paraît le plus utile et le plus juste."

Stanislas vit encore chez ses parents. "Et même si cela me plairait d'avoir mon indépendance, cette situation a aussi des avantages. Je me raisonne comme ça", dit-il.  Romain, lui, "se retrouve à manger chez eux pratiquement tous les jours." Quant à Mathieu, il ne se sent "pas vraiment indépendant" et avoue "avoir du mal à imaginer l'avenir". Mais tous trois reconnaissent que leurs "galères" de recherche d'emploi ont plutôt tendance "à souder" la cellule familiale.

"Du fait qu'ils sont un peu plus dans le besoin, ils viennent nous voir plus souvent, explique Danielle, leur mère, retraitée de la sécurité sociale. On les aide pour l'alimentation, la voiture, et même les vêtements.  On a diminué notre budget loisirs parce qu'on ne peut pas partir en vacances avec nos enfants dans une situation pareille." Mathieu est tout de même un peu amer  : "Avant, je m'imaginais que c'était moi qui allait gagner des sous pour pouvoir en donner à mes parents, pour les remercier."


Les trois frères se reconnaissent dans le mouvement des "indignés" qu'ils ont rejoint quelques jours après sa création à Dunkerque. © Elodie Ratsimbazafy

Les trois frères se reconnaissent dans le mouvement des "indignés" qu'ils ont rejoint quelques jours après sa création à Dunkerque. © Elodie Ratsimbazafy

 

Respectivement batteur, guitariste et bassiste, Mathieu, Romain et Stanislas jouent dans le même groupe de musique, "Moalika", du rock fusion, avec pour modèle le groupe Rage Against the Machine. Leur présence chez les "indignés", c'est la concrétisation de leur engagement politique "non partisan" après avoir été déçus par les partis politiques. "On trouve que la société ne va pas dans le bon sens, dit Romain. Nous, on veut placer l'humain au cœur du système. Avec le progrès technique, comment le chômage peut-il être un problème ?" Idéalement, il se satisferait bien d'un boulot à mi-temps. "Tout le monde devrait faire ça. Ce serait le partage du travail."

Cet engagement, ils le partagent avec leur mère. "Nos parents estiment que notre engagement est justifié, raconte Stanislas. Ils ont connu les Trente glorieuses et ils trouvent les jeunes d'aujourd'hui résignés." Danielle se dit effectivement "en colère depuis une dizaine d'années". Et pour 2012, elle a un "un grand espoir". "Si Mélenchon était président, il y a beaucoup de choses qui changeraient. J'espère mais j'ai un peu de mal à y croire." En attendant, "on encourage toujours nos fils dans ce qu'ils peuvent trouver. C'est leur vie qui est en jeu. Nous, notre carrière, elle est derrière nous."


Lors de la manifestation des "indignés" à Dunkerque, le 17 janvier 2012. © Elodie Ratsimbazafy

Lors de la manifestation des "indignés" à Dunkerque, le 17 janvier 2012. © Elodie Ratsimbazafy

 

 

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