LEMONDE.FR | 12.01.12 | 20h01 • Mis à jour le 13.01.12 | 10h47
Les suies jouent un rôle important dans l'augmentation des températures.AFP/BORYANA KATSAROVA
Eviter plusieurs millions de morts prématurées chaque année tout en permettant de "gagner" un demi degré de réchauffement climatique à l'horizon 2050, ainsi qu'en améliorant la sécurité alimentaire mondiale ? Le tout grâce à la mise en œuvre de seulement quatorze mesures simples et techniquement, comme financièrement, abordables – ne concernant pas, de surcroît, le dioxyde de carbone (CO2) ? Ce n'est pas une plaisanterie, mais la conclusion d'une vaste étude internationale et pluridisciplinaire, publiée vendredi 13 janvier dans la revue Science.
Il n'y a nul tour de magie. Mais l'estimation des bénéfices climatiques, économiques et sanitaires de la limitation des émissions de deux produits des activités humaines : le méthane (CH4) d'une part et les suies d'autre part, ces poussières noires en suspension dans l'atmosphère, issues des combustions incomplètes. Le méthane est, outre un puissant gaz à effet de serre, le précurseur chimique de l'ozone (O3) troposphérique, qui joue un rôle non négligeable dans le réchauffement climatique et dégrade localement la qualité de l'air.
Quant aux suies, elles sont principalement émises dans les grands pays émergents comme l'Inde et la Chine. Elles sont largement issues des fourneaux fonctionnant au charbon, au bois et à d'autres combustibles traditionnels. Ces suies jouent un rôle important dans l'incidence de maladies respiratoires et cardiovasculaires de même qu'elles absorbent l'énergie solaire qu'elles reçoivent, jouant ainsi un rôle certain dans l'augmentation moyenne des températures.
QUATORZE MESURES SUR QUATRE CENTS
"Nous avons essayé de simuler, de la manière la plus réaliste possible, les effets du déploiement des technologies disponibles qui permettent d'améliorer à la fois la qualité de l'air et d'avoir un impact positif sur le climat", explique le climatologue Drew Shindell, chercheur au Goddard Institute for Space Studies et premier auteur de l'étude. Outre de jouer sur les deux aspects – santé publique et climat – l'intérêt de la démarche est que les deux polluants ciblés ont un temps de résidence faible dans l'atmosphère, au contraire du CO2 qui y demeure un siècle au moins. Si l'on cesse de les émettre, leur concentration atmosphérique décroît très vite et les effets bénéfiques sont rapidement sensibles.
Les auteurs ont d'abord introduit dans leurs modèles de simulation quatre cents mesures permettant de réduire toutes sortes d'émissions polluantes. Ils en ont retenu quatorze, les plus rapidement et fortement efficaces : toutes concernent la réduction des émissions de CH4 et de suies. En particulier : le déploiement de systèmes de récupération du méthane dans les mines de charbon ou les installations pétrolières, l'amélioration des réseaux de transport de gaz naturel, la gestion des effluents du bétail, le drainage régulier des rizières (culture très émettrice de méthane), la généralisation des filtres à particules dans les véhicules diesel, le remplacement des fourneaux traditionnels ou le bannissement de la culture sur brûlis...
GAGNER DU TEMPS
La limitation des émissions de suies a surtout un effet sanitaire fort. L'ozone troposphérique issu du méthane a pour sa part un effet important sur les rendements agricoles. Au total, les chercheurs estiment que si les quatorze mesures sélectionnées étaient scrupuleusement appliquées, ce seraient 700 000 à 4,7 millions de morts prématurées annuelles qui seraient évitées, principalement en Chine et en Inde. Par rapport à aujourd'hui, le monde ne se réchaufferait "que" de 0,8 °C d'ici à 2060, contre 1,3 °C anticipé... Dans le même temps, les gains de rendements agricoles permettraient une production mondiale annuelle – toutes cultures confondues – accrue de 35 millions de tonnes, à 135 millions de tonnes... Les marges d'incertitudes sont importantes mais les chiffres sont énormes.
"Il faut vraiment distinguer plusieurs problèmes qui sont un peu mélangés dans la présentation habituelle des enjeux climatiques, rappelle toutefois le climatologue français Hervé Le Treut, qui n'a pas participé à ces travaux. Le CO2 joue un rôle majeur à long terme à cause des quantités énormes qui sont émises et de sa longue durée de vie: il n'y a pas d'alternative à la réduction des émissions de CO2 si l'on veut se protéger d'un réchauffement de 4 °C ou plus, d'une fonte du Groenland ou de l'Antarctique qui se prolonge dans les siècles prochains."
En d'autres termes, les propositions de Drew Shindell sont surtout, comme les auteurs le rappellent eux-mêmes dans leur étude, un moyen de gagner du temps. Car il y a "une crainte forte et justifiée", poursuit M. Le Treut, que "la diminution des émissions de gaz qui restent moins longtemps dans l'atmosphère ne soit vue comme un substitut possible à la diminution du CO2".
Stéphane Foucart
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