Médiapart - 28 novembre 2011 |
C'est un petit détail qui est passé inaperçu lors de l'échec de la dernière émission obligataire allemande. Lorsque le Trésor allemand a lancé, mercredi dernier, une adjudication de 6 milliards d'euros au taux très bas de 1,98%, il n'a pu en placer que 3,6 milliards, soit à peine 60%. Jamais le gouvernement allemand n'avait essuyé un tel revers. Cela n'aura pourtant eu aucune conséquence sur les finances allemandes : les 2,4 milliards d'euros qui n'ont pas été placés sur les marchés ont été repris directement par la Bundesbank, en attendant de meilleures conditions de placement.
Comment une telle opération, qui revient ni plus ni moins à donner à la banque centrale allemande un rôle de prêteur en dernier ressort, sur le marché primaire des émissions publiques, est-elle possible ? Car c'est précisément le rôle que l'Allemagne refuse de voir jouer à la BCE, en dépit des demandes pressantes des autres gouvernements européens. Et c'est cette question qui est au cœur de la crise de la zone euro.
Pour Berlin, il convient de s'en tenir fermement au respect du traité de Lisbonne. Et l'article 123 est très précis en ce domaine : « Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées "banques centrales nationales", d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.»
Même le rachat de titres sur les marchés secondaires pour soutenir les obligations des pays malmenés est vu par Berlin comme une déviance inacceptable. L'ancien président de la Bundesbank, Alex Weber, qui devait succéder à Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE, a même démissionné du directoire de la banque centrale européenne, en signe de protestation contre ce laxisme monétaire intolérable.
Pourquoi cette rigueur affichée est-elle valable pour tous sauf pour la Bundesbank ? « Cela relève des usages », explique un ancien membre de l'agence France Trésor, l'organisme chargé de financer la dette publique française sur les marchés. « Les Allemands ne procèdent pas de la même façon que nous. En fonction des conditions de marché, nous ajustons les sommes que nous souhaitons emprunter. L'Allemagne fait autrement. Elle fixe un montant et elle s'y tient. Si elle ne trouve pas preneur, c'est la Bundesbank qui prend la différence », dit-il.
Discrètement, le gouvernement allemand aurait mis à profit cette latitude à plusieurs reprises, notamment en 1999, 2002 et 2008, au moment où il rencontrait des difficultés passagères pour se financer sur les marchés. « Mais à l'époque, cela n'a jamais atteint de tels montants », se souvient ce haut fonctionnaire.
Simple mesure technique
« La preuve qu'ils mettent en avant pour prouver qu'il ne s'agit pas d'un soutien : c'est qu'ils replacent les titres sur les marchés, dès que les conditions de marché le permettent », ajoute-t-il, un peu dubitatif, face à l'argumentaire assez spécieux de l'Allemagne.
Aucun autre pays de la zone euro ne bénéficie de tels privilèges. Tous sont priés de se soumettre à la dure loi du marché, quel qu'en soit le coût. Si certains gouvernements avaient pu recourir, même momentanément comme le fait l'Allemagne, à leur banque centrale lors d'opérations de refinancement compliquées pour les garantir, la crise de la zone euro aurait peut-être pris une autre tournure. Des dispositifs auraient pu être imaginés pour revendre les titres dans des conditions de marché plus favorables. Mais l'Allemagne y a mis son veto. La moindre des choses serait de lui demander de se mettre en conformité avec ses principes affichés et de renoncer aux libertés qu'elle prend et qu'elle refuse aux autres.