Source : www.reporterre.net
Marie Astier (Reporterre)
mardi 6 janvier 2015
Une marque de lessive écolo pourrait introduire dans ses produits des organismes synthétiquement modifiés, sorte de descendants des OGM. C’est la biologie de synthèse, qui transforme des organismes vivants en modifiant leur information génétique. Enquête sur une technique en plein essor, mais qui avance souterrainement.
Imaginez un produit qui aurait la même utilité que l’huile de palme, mais qui ne poserait pas de problèmes écologiques, et serait en plus moins cher… C’est le petit miracle qu’a su vendre une start’up américaine, Solazyme, à l’un des plus grands fabricants de lessive bio dans le monde, Ecover.
La marque écolo s’est laissée séduire par l’huile d’algue, un produit obtenu grâce aux dernières avancées des biotechnologies. Solazyme modifie les gènes de micro-algues pour leur faire produire différentes sortes de carburants et d’huiles, introduites ensuite dans la composition de produits cosmétiques, alimentaires ou industriels. C’est un exemple de ce que l’on appelle la biologie synthétique.
Difficile d’en donner une définition précise, car « c’est une discipline émergente, issue de la convergence entre les mathématiques, la biologie, la physique et l’informatique », explique Dominique Zeliszewski, en charge de la communication scientifique au Génopole d’Evry, un des principaux centres de recherche de génie génétique en France.
« C’est l’idée de modifier les organismes vivants en modifiant leur information génétique. Cela peut aller jusqu’au remplacement complet du génome, d’où le terme de synthétique », précise Michel Morange, professeur de Biologie à l’ENS mais aussi spécialiste de l’histoire et de la philosophie des sciences.
Quarante milliards de ventes en 2020
Les organismes synthétiquement modifiés sont en quelque sorte les descendants des OGM (organismes génétiquement modifiés). Avant, il s’agissait de prendre certains gènes d’un organisme pour les intégrer dans un autre. « C’était du bricolage », plaisante Dominique Zeliszewski. Désormais, ces gènes sont modélisés par ordinateur, fabriqués, puis insérés dans un organisme vivant.
- La marque Ecover -
Par exemple, Sanofi a réussi à produire une molécule très efficace contre le paludisme, l’artémisinine. Elle n’est plus extraite des plantes mais produite par des bactéries modifiées par biologie de synthèse. Ce procédé permet notamment de baisser le coût des médicaments.
Les applications sont infinies : biocarburants, matériaux plastiques, textiles, des bactéries qui détectent les pollutions ou captent les métaux lourds pour dépolluer... « Cela permet de créer des systèmes qui n’existent pas dans la nature, comme des usines cellulaires. Elles pourraient remplacer les usines chimiques ! » s’enthousiasme la scientifique.
L’un des projets les plus ambitieux est celui du chercheur américain, Craig Venter. Il l’a intitulé « le châssis ». « C’est un être vivant très simple et artificiel, expose Michel Morange. Sur cette base, on pourrait brancher des gènes à la demande pour répondre à des besoins précis. »
Beaucoup de start’up se sont lancées, imaginant un gigantesque marché. « Les analystes financiers annoncent près de quarante milliards de dollars de ventes en 2020 », affirme Jim Thomas, de l’ONG de veille des technologies ETC Group.
Au départ, la biologie synthétique espérait faire face à l’épuisement des ressources pétrolières grâce aux biocarburants. Mais les coûts de fabrication sont encore trop élevés, ces entreprises se sont donc rabattues sur les produits à forte valeur ajoutée comme les cosmétiques ou les produits d’entretien. Solazyme s’inscrit dans ce mouvement.
Marketing vert et « agressif »
Sauf que beaucoup de ces entreprises de la biologie de synthèse évitent soigneusement de revendiquer leur appartenance au domaine des biotechnologies. Une façon de ne pas faire peur aux consommateurs. « Quand il s’agissait de produire du pétrole, cela importait peu. Mais maintenant qu’ils se tournent vers les produits de grande consommation, ils veulent éviter d’être associés aux OGM », avance Jim Thomas.
Solazyme revendique la « durabilité » et la naturalité de ses produits. Son slogan : « Micro-algues. Macro-solutions. Chez Solazyme, nous transformons les microalgues, les plus petits des organismes vivants, en solutions pour les plus gros problèmes du monde. »
Une communication très contrôlée selon Jim Thomas : « Solazyme a commencé et a levé des fonds en disant qu’elle faisait de la biologie de synthèse. Puis vers 2009, elle a décidé de ne plus utiliser le mot. Ils ont refusé de confirmer que leur huile d’algue est produite avec cette technique… Mais il n’y a pas d’autre solution pour en fabriquer ! »
Un marketing auquel Ecover s’est apparemment fait prendre. Au printemps dernier, 6.000 bouteilles de lessive contenant le produit de Solazyme ont été commercialisées, puis retirées devant les protestations des ONG, exprimées dans une lettre à la direction d’Ecover. La marque de lessives écolos a promis d’engager un processus de concertation avant d’envisager d’utiliser à nouveau le produit.
« Nous avons été surpris qu’Ecover s’intéresse à cette huile d’algue. C’est pourtant une entreprise écolo, raconte Dana Pearls des Amis de la Terre États-Unis. Il y a beaucoup de pression pour abandonner l’huile de palme, ils recherchent des solutions alternatives. »
« Nous savons que ces entreprises ont des stratégies marketing agressives orientées vers les fabricants de produits d’entretien et l’industrie verte, complète son collègue Jeff Conant. Solazyme propose une grande gamme de produits et une bonne partie sont présentés comme écologiques. En tant que nouvelle industrie, ils recherchent des applications qui leur donnent une bonne image. »
Déforestation et disparition des petits producteurs
Mais ces produits ne sont pas si écologiques que cela, selon l’ONG. Pour produire de l’huile, les algues doivent manger du sucre de maïs ou de canne. Des cultures souvent produites à partir de semences OGM, nécessitant de nombreux engrais chimiques et de pesticides, accusées d’employer des ouvriers agricoles dans des conditions de quasi esclavage et d’accélérer la déforestation en Amazonie.
« L’huile d’algue n’est donc pas plus durable que l’huile de palme, insiste Jeff Conant. Ecover est basée en Belgique, elle devrait donc avoir une politique contre les OGM. Ils nous ont répondu que ce n’est pas un problème, car il ne se retrouvent pas dans le produit final », déplore-t-il.
Si la biologie de synthèse se développe à grande échelle, Jim Thomas craint lui les conséquences sur l’agriculture mondiale : « Les entreprises du secteur se sont mises à produire les molécules de la vanille, du patchouli, du vétiver, de l’orange, du pamplemousse ou d’épices comme le safran… Souvent, ce sont des productions qui sont encore assurées par de petits producteurs, qui comme dans le cas de la vanille travaillent en accord avec la préservation de la biodiversité locale. Ils vont être détruits par les produits concurrents issus de la biologie de synthèse. »
La diversité de ces cultures pourrait être remplacée par quelques monocultures de sucre de canne et de maïs. « C’est déjà ce qui s’est passé pour l’artémisinine. L’usine de Sanofi produit un tiers des besoins mondiaux. Résultat, en seulement un an, les surfaces plantées ont diminué de deux tiers… Ce sont des petits producteurs du Vietnam ou du Mozambique qui abandonnent leurs terres », raconte-t-il.
Les mêmes risques que pour les OGM
Et ce n’est pas tout. Les risques sont les mêmes que pour les OGM, selon Michel Morange. D’abord pour la santé : « Les algues pourraient produire des huiles pathogènes, par exemple... » Puis pour les écosystèmes. « Ils pourraient contaminer d’autres organismes vivants et aboutir à un appauvrissement de la biodiversité », craint-il. « Il faut aussi savoir que ces algues se reproduisent très rapidement, on ne sait pas quel impact elles auraient si elles se répandaient dans l’environnement », ajoute Jim Thomas.
Des risques minimes et déjà pris en compte par les chercheurs, selon Dominique Zeliszewski : « Ces organismes modifiés perdent leur avantage sélectif dans la nature, ils ne résistent pas. Par exemple, une algue qui produit beaucoup d’huile est en contrepartie obligée de limiter sa croissance. »
Selon elle, « La modélisation des gènes par ordinateur apporte une fiabilité supplémentaire par rapport aux OGM. Il s’agit de biotechnologies, le processus de contrôle est donc le même. La commission européenne a émis des recommandations éthiques. En France, nos projets sont soumis au Haut Commissariat aux biotechnologies. »
Michel Morange estime qu’au contraire, « plus on est efficace, plus les risques sont grands. C’est un argument pour mettre de nouvelles règles. »
Une technologie appropriée par quelques multinationales ?
Et puis, comme pour leurs grands frères les OGM, ces technologies sont brevetées… Des brevets pour l’instant souvent déposés par des entreprises de biotechnologies de taille modeste. Mais beaucoup sont financées par les mêmes firmes que celles qui s’intéressent aux OGM. Le plus puissant partenaire de Solazyme est ainsi la multinationale Unilever, notamment pour ses produits cosmétiques des marques Dove et Brylcreem.
« L’argent servant au développement de la biologie synthétique provient du Département de l’énergie des États-Unis, d’acteurs majeurs du secteur énergétique – BP, Shell, ExxonMobil – , de grandes entreprises chimiques – dont BASF et DuPont –, ainsi que de géants de la foresterie et de l’agroalimentaire – tels que Cargill, ADM, Weyerhaeuser et Syngenta », détaille ETC Group dans son rapport sur la biologie de synthèse.
Pour les ONG, le risque est donc que cette nouvelle technologie soit appropriée par quelques multinationales. « Ces entreprises ne partagent pas leur technologie et elles nous demandent de les croire sur parole qu’il n’y a aucun risque », déplore Dana Pearls des Amis de la Terre.
« Dans le cas des OGM, beaucoup de plantes transgéniques ont plutôt été développées pour l’argent que pour l’intérêt commun, relève Michel Morange. Et avec la biologie de synthèse, on pourrait prendre des brevets sur des êtres vivants naturels modifiés par l’homme, voire même sur des êtres vivants créés par l’homme. » Mais si l’homme crée des êtres vivants, cela veut-il dire qu’il prétend avoir la réponse à la question ’qu’est-ce que la vie’ ? « Oui », répond dans un sourire le biologiste-philosophe, en admettant qu’il s’agit d’une vision très techniciste de la nature.
- Solazyme et Unilever -
Une concertation encore floue chez Ecover
Il n’est pas assuré qu’Ecover se pose cette question philosophique…
*Suite de l'article sur reporterre
Source : www.reporterre.net
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