Il ne faut jamais avoir raison avant les autres. Lorsque j’écrivais en décembre 2002 « La crise, que le système bancaire français a connue à la fin du siècle dernier est à présent terminée. Une nouvelle dont la forme et l’ampleur surprendront, se prépare», je mettais un terme à un travail de 10 ans qui avait été consacré à la faillite des banques ("Droit des défaillances bancaires", Economica, 2002).
10 ans plus tard, si les causes des crises financières à répétition n’ont pas changé et sont toujours là, le rapport de force entre le politique et l’économique s’est inversé au profit des financiers. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire et c’est souvent le signe avant coureur d’un changement brutal dans la société.
En 2008, quand la crise des subprimes a failli submerger l’économie mondiale, les gouvernements des Etats ont raté un rendez-vous avec l’histoire. Ils étaient en position de force et en capacité d’imposer des choix aux banques et aux marchés financiers. Ils ont fléchi, ils ont cédé, et ils ont perdu une bataille. On commence à mieux comprendre la pusillanimité de certains quand on connaît les rapports incestueux que certaines grandes banques entretiennent avec les pouvoirs en place.
Depuis quatre ans, les marchés financiers et leurs alliés dictent aujourd’hui leur choix aux gouvernements. Mais au fait, qui sont ils ces marchés financiers ? Il faut distinguer trois grandes familles : d’abord, ce que l’on appelait jadis l’épargne (des ménages et des entreprises) qui correspond à l’économie réelle, au travail accumulé ; ensuite, la finance souveraine, qui correspond à des placements opérés par des Etats bénéficiant d’une rente de situation (pétrole, population d’esclaves pouvant être exploités comme en Chine) ; enfin les structures liées au grand recyclage de l’économie noire, du blanchiment de tous les trafics. Pour cela, ils utilisent une grande lessiveuse que l’on nomme les « paradis fiscaux ». On estime ainsi qu’environ 15 % du PIB mondial (la richesse produite chaque année) est liée à l’économie noire (trafic d’être humain, de drogue d’armes mais également des déchets ou de médicaments). Et les marchés financiers avec leurs banquiers, leurs auditeurs et leurs avocats profitent de la mondialisation pour rendre impossible les poursuites et pour contaminer l’économie réelle.
Voilà donc les nouveaux maîtres du monde, des gestionnaires de fonds de pension, des fonds d’investissement de pays tout sauf démocratiques, et l’argent de toutes les mafias.
Doit on se saigner aux quatre-veines pour rembourser des dettes qu’ils ont souvent acquises à la casse avec une décote de 30 à 70 % et pour lesquelles ils exigent un remboursement intégral au prix du plus grand sacrifice des peuples sommés de payer les dettes des générations ou des gouvernements précédents ?
Alors que faire ? La solution est vieille comme le monde. Elle a pour nom la sisachtie de Solon, le jubilé des Hébreux (Lévitique 25 :8-34), ou la consolidation du Tiers par le Directoire (1797). Il s’agit de ne pas payer toutes ces dettes. Pour autant, il ne faut pas déstabiliser l’économie réelle, normale, propre.
D’où ma proposition, dès lors que le créancier (ou le bénéficiaire économique) est ou a été, directement ou indirectement, en droit ou en fait, situé, localisé, domicilié, dans un paradis fiscal, les Etats souverains peuvent refuser de payer leur dettes ou prélever au passage une taxe spoliatrice comprise entre 75 et 95 % suivant la nature du paradis fiscal.
On en parle au prochain G20 ? Chiche.
Pour aller plus loin : M. Koutouzis et P. Perez, Crime, trafics et réseaux, Géopolitiques de l’économie parallèle, Ellipses, 2012 – N. Shaxson, Les paradis fiscaux, enquête sur les ravages de la finance néolibérale, André Versaille éditeur, 2012.