En 2000, alors qu’il est maire de Villeneuve-Loubet, il apprend que l’entreprise veut ouvrir une décharge sur sa commune. « Ils avaient réussi à convaincre le préfet de faire une nouvelle décharge pour suppléer à la fermeture de celle de Jas de Madame ». Malgré ses nombreuses protestations dues aux risques de pollution et les réserves émises par la commissaire enquêtrice, le préfet décide d’en imposer l’ouverture et d’attribuer son exploitation à la société Sud-Est Assainissement. « La préfecture a préféré se fier au travail d’un ingénieur hydrogéologue proche de Veolia. A l’époque j’avais fait faire une contre-expertise par un cabinet indépendant qui démontrait que le site n’était pas du tout approprié à cause des risques de pollution du milieu naturel et des nappes phréatiques ».
Outre ce passage en force, c’est le soutien inébranlable des différents préfets qui vont se succéder jusqu’à la fermeture de la décharge qui choque le plus le député des Alpes-Maritimes. « Je suis très déçu par le comportement de l’Etat en la matière. L’exploitation a été hors la loi durant des années et cela avec son aval et malgré les nombreux recours entrepris par les associations et la municipalité. Si l’exploitant avait pu mettre la commune dans la décharge, il l’aurait fait et avec l’appui de l’Etat en plus ». Selon Lionnel Luca, le soutien de la préfecture à la filiale de Veolia serait même allé bien plus loin :
« A un moment j’étais dans le collimateur d’un des préfet qui a cherché à m’isoler et à me tuer politiquement en poussant certains vieux amis à se présenter contre moi. Je me suis retrouvé bien seul dans la région ». Après neuf ans d’exploitation, la décharge est finalement fermée en 2009 de manière anticipée. Mais les questions demeurent sur la position de l’Etat. Pour l’ancien maire de Villeneuve-Loubet « la question d’un recours contre l’Etat se pose ».
Des cabinets noirs au service des multinationales
Son tort ? Avoir décidé de créer une régie publique de l’eau pour sortir de l’emprise de la gestion privée. « La libre administration des collectivités territoriales permet à un élu ou à un groupe d’élus de développer un outil public pour gérer la question de l’eau mais aussi des déchets. C’est pourquoi j’ai décidé de ramener dans le giron public la gestion de l’eau ». A la tête de la communauté d’agglomération « Les lacs d’Essonne », l’élu du Parti de gauche, décide en 2010, après une votation citoyenne, de sortir du Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF) et de créer une régie publique pour soulager le portefeuille de ses administrés.
Cette perspective de voir filer des bénéfices en moins pousse alors la branche régional Ile-de-France Sud de la lyonnaise des Eaux à se tourner vers Vae Solis, un « cabinet de conseil en stratégie de communication et gestion de crise ». Le cabinet se propose alors de « discréditer » la communication du président de la communauté d’agglomération auprès « des élus locaux, départementaux et régionaux ainsi que des acteurs institutionnels de la gestion de l’eau et des médias ».
L’officine, en plus de produire des informations et éléments de langage aux opposants au projet de régie, est allée jusqu’à créer un blog censé être alimenté par un simple citoyen de Viry-Chatillon pour déboulonner le projet de l’élu. « J’ai eu la preuve sous le nez qu’ils sont capables de tenter de déstabiliser des élus, de les casser politiquement quand on se met en travers de leur chemin », nous confie Gabriel Amard.
« Ces grandes entreprises se font énormément d’argent avec les deniers publics. Moi, j’ai décidé de leur couper le robinet et de ne plus leur confier la gestion de l’eau. J’ai tapé là ou ça fait mal, c’était ma responsabilité d’élu. » Et avec un brin de satisfaction dans la voix d’ajouter : « On a fait la démonstration que c’est possible. Que l’on peut sortir de la logique de la gestion opaque de l’eau par les géants du privé. Il faut que les citoyens utilisent les élections municipales pour mettre un grand coup de balais ».
Coïncidence ou non, les deux pilotes de Vae Solis baignaient dans la sphère politique. Le premier est depuis passé par le cabinet d’un ministre de Hollande avant de rejoindre les équipes de la Banque publique d’investissement (BPI), le second étant l’un des animateurs d’un rassemblement issu de l’UMP.
De l’activité de lobbying intensive…
Cet hyperactif multiplie les casquettes : cadre de Veolia -accusé de « diffamation » par son employeur, viré en 2006 puis réintégré en 2010- délégué syndical, Conseiller régional EELV, conseiller municipal de Wissous (Essone), responsable de l’Association pour un contrat mondial de l’eau (Acme), membre de l’association Anticor, Jean-Luc Touly a passé ses dix dernières années à alerter l’opinion publique et les autorités compétentes sur les pratiques de ces grands groupes. « Ce lobbying se fait dans les couloirs de l’Assemblée, dans les colloques organisés par ces entreprises ou par les petites attentions envers les décideurs publics. Pour arriver à leur fin, ils embauchent un maximum de collaborateurs ou d’anciens élus, profitant ainsi de leurs carnets d’adresses dans le monde politique ».
On retrouve, entre autres, dans le groupe Suez, Benjamin Fermiot, ancien Directeur de cabinet de François Bayrou et conseiller régional d’Ile-de-France mais aussi Anne-Marie Idrac, ancienne secrétaire d’Etat au Commerce extérieur et Senior Advisor depuis 2011. Chez Veolia, on croise au pôle des Affaires européennes un certain Rainier d’Haussonville passé par les cabinets de Dominique de Villepin aux affaires étrangères puis à Matignon. L’ancien Premier Ministre fera d’ailleurs un bref passage dans l’entreprise en tant que « VRP de luxe ». Dans les couloirs de l’entreprise on nous assure que ces pratiques sont d’un autre temps, « héritage de l’air Proglio ». Depuis l’arrivé d’Antoine Frérot à la tête de Veolia, la direction chercherait à pousser ce genre de profil vers la porte…
« L’autre méthode pour s’attacher les faveurs des élus est de multiplier les colloques avec des diners dans les meilleures restaurants aux frais de la princesse bien sûr ou encore des déplacements tous frais payés pour aller visiter telle installation novatrice dans des lieux souvent très agréables » raconte le conseiller régional EELV. Autre rendez-vous incontournable, le Congrès des maires qui se tient une fois par an à Paris, Porte de Versailles. « C’est au stand de Veolia qu’il y a souvent le plus d’élus que l’on voit jouer des coudes pour avaler un maximum d’huitres, de foie gras ou de champagne » nous explique Jean-Luc Touly en mimant la scène le sourire aux lèvres. « Etrangement, j’ai tenté de faire une belle photo de famille une fois en amenant des caméras filmer le stand. Mais dès que les élus ont vu l’équipe de tournage ils se sont tous écartés pour ne pas se retrouver dans le champs de l’objectif. »
Un autre moyen efficace serait de multiplier les subventions et les dons aux différentes associations environnementales ou de faire de l’entrisme dans les agences régionales de protection de l’environnement précise l’élu Vert « On retrouve Veolia et Suez un peu partout dans le giron des associations comme par exemple France Nature Environnement. Ça permet d’améliorer son image et de pouvoir prévenir ou dégonfler des initiatives qui pourraient être mauvaises pour le « système ». Un exemple de cette politique, c’est de retrouver Jean-Vincent Placé à la remise de la Légion d’Honneur d’un cadre de Veolia par André Santini ».
Effectivement, le 26 septembre 2012, le député-maire André Santini, président du Syndicat des Eaux d’Ile-de-France dont le délégataire n’est autre que Veolia, a remis la Légion d’honneur à Michel Plasse, Directeur de Veolia Eau en présence du sénateur d’Europe Ecologie Les Verts. On peut imaginer que les deux hommes se sont connus par le biais de l’Agence régional pour la nature et la biodiversité en IDF (Natureparif), Jean-Vincent Placé en étant le premier Vice-président et Michel Plasse ayant figuré dans le conseil d’administration.
…Aux pressions plus directes
Au bout de quelque temps les relations avec l’entreprise se dégradent. L’élu se rend compte que la gestion de l’eau se fait dans la plus grande opacité et qu’à chaque fois qu’il demande des comptes on lui demande de passer son chemin. « La Compagnie des eaux de l’ozone (Veolia) était tenue contractuellement de me fournir un bilan comptable annuel et de me communiquer les prévisions sur le prix de l’eau. Ce qu’il ne faisait pas. Et quand je tentais de m’informer, on me renvoyait toujours à plus tard. A ce moment-là, j’ai compris que je ne contrôlais plus rien » se souvient-il.
Jacques Drapier fait alors appel à un expert indépendant, ancien cadre de Veolia, pour réaliser un audit de la gestion de l’eau. Le verdict est sans appel. La compagnie surfacture allégrement le prix de l’eau sans qu’aucune justification d’investissement puisse être apportée. L’idée de se priver des services de Veolia commence à faire son chemin : « Après avoir eu une vue d’ensemble de l’impact de cette privatisation, j’ai fait part à l’expert que je souhaitais casser le contrat d’affermage (délégation) pour municipaliser l’eau. Il m’a alors dit : très bien, mais ce sera David contre Goliath ! ».
Le maire annonce à Veolia son intention de municipaliser l’eau. Des discussions s’engagent alors entre lui et le staff de l’entreprise. C’est durant l’une des réunions de conciliation que la situation va déraper. « Alors que je suis dans mon bureau, un des membres de l’équipe de direction de Veolia entre sans frapper et s’installe tranquillement. Il m’explique qu’il serait bien pour tout le monde de trouver une solution rapidement. Il me fait remarquer que ma commune manque cruellement de vie culturelle et évènementielle et que son entreprise est prête à jouer les mécènes pour acheter des œuvres d’art et subventionner un colloque sur l’eau par exemple. Voyant que je ne réagis pas, il me fait comprendre que je pourrais éventuellement bénéficier de certaines faciliter personnelles. » L’élu coupe court et décide de rompre les négociations « et d’aller devant les tribunaux s’il le faut ».
En triple off, des cadres de Veolia environnement nous expliquent un peu gênés, qu’au niveau du groupe il est difficile de contrôler tout ce qui se passe localement et que ce genre de dérapage peut arriver… Mais que depuis que la direction a changé, ce genre de pratiques n’est plus monnaie courante : « Il n’est plus possible pour un élu de se faire construire une piscine en échange de contrats »
Après être passé en régie municipale en 2001 puis en régie autonome en 2004, la facture d’eau à baisser de plus de 25 % et en six ans la municipalité de Neufchâteau aurait réalisé 5,4 millions d’économies et financer 6,5 millions de travaux. Après plusieurs années de procédure, la commune a été condamnée à verser à la Compagnie des eaux de l’Ozone, filiale de Veolia, un 1,2 million d’euros pour la résiliation en 2001 du contrat de gestion. Veolia réclamait un peu plus de 7 millions d’indemnités. Mais selon l’ancien Maire de Neufchâteau « la facture sera indolore car nous avons prévu le coup, mais surtout, nous avons su ne pas nous laisser faire par ces nouveaux grands seigneurs ». Contacté par Marianne, Suez et Veolia n’ont pas souhaité réagir.