Rue89 -L’édito 02/04/2013 à 19h06
François Hollande, Jean-Marc Ayrault et Jérôme Cahuzac, à l’Elysée, le 30 janvier 2013 (Michel Euler/AP/SIPA)
Jérôme Cahuzac demande pardon, mais il est impardonnable. Par son attitude, il a incarné bien des travers du monde politique : l’appât du gain, l’arrogance, le cynisme et le mensonge.
Il a accepté un poste de ministre du Budget alors qu’il savait, en son for intérieur, qu’il avait substitué des sommes d’argent au fisc. Qu’il avait volé les autres contribuables.
Il a dressé un réquisitoire contre un journal en ligne, Mediapart, alors qu’il savait, en son for intérieur, que ce média avait bien fait son travail. Du bon boulot de journaliste, informé, insolent et courageux.
Il a menti aux représentants du peuple, devant ses anciens collègues de l’Assemblée nationale, alors qu’il savait, en son for intérieur, que son émotion était feinte.
La nécessité d’un sursaut démocratique
Cette histoire est triste pour la morale publique, pour la démocratie, sans même parler de l’image de la France dans le monde. Elle ne peut que conforter les extrêmes, gonfler les populismes et aggraver la désaffection des citoyens pour le débat public. Et alimenter les soupçons sur une protection de Cahuzac au plus haut niveau.
Et pourtant, il faut espérer qu’elle ne sera pas rapidement oubliée. Qu’elle ne sera pas enterrée, sur l’air résigné du « tous pourris », mais qu’elle déclenchera un sursaut.
La France a besoin d’une moralisation radicale de ses mœurs politiques. Dans d’autres pays, chaque nomination à un poste de très haut niveau fait l’objet d’une enquête approfondie, pour s’assurer qu’il n’y aura pas de mauvaises surprises.
En France, la question est, hélas, considérée comme secondaire. On ne cherche même pas à évaluer les éventuels conflits d’intérêt que pourrait rencontrer la personne nommée, comme le montre la nomination d’Eric Woerth au ministère du Budget en 2007, alors qu’il était ancien trésorier de l’UMP et époux d’une employée de la première contribuable de France. Cela doit changer.
Une loi sur la protection des sources
Autre leçon à tirer de l’affaire : le rôle de la presse est capital. Elle doit pouvoir jouer son rôle sans être sans cesse comparée à une meute de « chiens », pour reprendre le mot stupide que François Mitterrand avait lancé après la mort de Pierre Bérégovoy.
Le site Mediapart ne s’est pas « substitué aux autorités judiciaires », comme l’en avait accusé un peu vite le chroniqueur Jean-Michel Apathie : il a fait son travail, avec le sérieux qu’on lui connait. Aider la presse est possible : en votant, par exemple, une nouvelle loi sur la protection des sources. Pourquoi ne pas s’inspirer de la loi belge, beaucoup moins timide que la nôtre ?
Enfin, l’affaire Cahuzac doit encourager les juges à continuer à s’attaquer aux délits liés aux activités politiques : corruption, fraude, violation du droit électoral...
Ces affaires peuvent servir la démocratie
Plusieurs d’entre eux ont lancé, avec courage, des enquêtes importantes, qu’ils doivent mener jusqu’au bout sans se laisser impressionner par les critiques. Bettencourt, Tapie, Woerth-Compiègne, Sarkozy-sondages, Sarkozy-Karachi, Guérini, DSK-Carlton... toutes ces affaires offrent un spectacle pénible pour la démocratie, mais elles la servent.
Ce qui mine la politique, ce n’est pas le travail d’un juge, c’est le sentiment d’impunité. Ce qui fait monter l’extrême droite, ce n’est pas la révélation des scandales, ce sont les scandales eux-mêmes.
Il est temps de cesser de se résigner : tous les hommes politiques ne sont pas pourris, la plupart assument leur rôle avec honnêteté. Certains pays sont perclus de scandales, d’autres ont parvenu à en limiter le nombre ; il ne tient qu’à la France de rejoindre le second groupe.