Pourquoi le prix du pétrole ne baisse pas, malgré l'envolée de la production de pétroles de schistes ? Dans son dernier opus, l'Agence Internationale de l'Energie a révisé ses prévisions de production pour avancer à 2015 l'année où les Etats-Unis supplanteront l'Arabie saoudite en tant que premier producteur mondial de pétrole brut. Cette révision ne fait que traduire la croissance spectaculaire de la production de pétrole de schistes déjà enregistrée et le potentiel de réserves de ce pétrole dit "non-conventionnel".
Annoncée comme une révolution technique amenée à bouleverser la carte énergétique mondiale, cette envolée est pourtant restée, jusqu'à présent, sans effet sur le prix. Les cours continuent de fluctuer autour de la barre symbolique des 100 dollars le baril, un niveau moyen quasi-inchangé depuis le démarrage de la production de pétrole de schistes aux Etats-Unis.
Comment expliquer un tel paradoxe ? D'abord en constatant que la hausse de production aux Etats-Unis a été compensée par des baisses parmi les pays de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). D'évidence, certaines sont involontaires puisqu'elles résultent des pertes de production ou d'exportation en Libye, en Irak, au Nigeria et en Iran.
L'OPEP N'A PLUS LA MAIN
Ces pertes ne doivent pas masquer que la capacité d'exportation de l'OPEP tend à baisser pour des raisons plus structurelles et durables.
Le cas de l'Arabie saoudite est exemplaire. Alors que sa capacité de production a été maintenue à 12,5 millions de barils par jour depuis plus de 10 ans (chiffre officiel), sa consommation domestique a doublé sur la même période, passant de 1,5 million de baril à plus de 3 millions. Mécaniquement, sa capacité d'exportation, définie comme la différence entre les deux, a donc chuté de 11 millions de barils par jour à moins de 9 millions, soit une baisse de 15%.
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Pourquoi l'Arabie saoudite n'a-t-elle pas investi pour maintenir sa capacité d'exportation ? Simplement parce qu'elle doit déjà consentir des investissements massifs pour y parvenir.
Sa consommation progresse en moyenne chaque année de 100 000 barils par jour et, dans le même temps, elle subit une érosion naturelle du rendement de ses champs existants de 4 % à 5 % par an, soit l'équivalent d'une production de 500 000 barils par jour.
Au final, pour maintenir sa capacité de production et satisfaire sa consommation, elle doit donc mettre en exploitation l'équivalent de 600 000 barils par jour, ce qui représente plusieurs dizaines de milliards de dollars d'investissements annuels.
Elle est d'autant moins encline à aller au-delà de cet effort que les Etats-Unis investissent massivement dans les pétroles de schistes, et qu'une augmentation de la production mondiale risquerait de peser sur les cours du pétrole.
FREIN À LA BAISSE
En réalité, ce n'est donc pas seulement la hausse de production américaine qui est compensée par une baisse dans les pays de l'OPEP, mais une hausse des investissements aux Etats-Unis qui est compensée par une baisse des investissements au sein de l'OPEP. Et les substitutions de production et d'investissement ne sont pas un jeu à somme nulle pour le prix du pétrole.
En effet, en substituant du pétrole "conventionnel" à faible coût marginal de production (autour de 30 dollars le baril pour l'Arabie saoudite) par du pétrole "non-conventionnel" à coût de production élevé (autour de 80 dollars le baril aux Etats-Unis), le coût marginal de la production mondiale augmente significativement, ce qui constitue le meilleur frein à toute baisse durable du prix.