33 milliards d’euros d’aides et augmentation de la dette publique
En Belgique, comme dans de nombreux autres pays depuis 2007-2008, les pouvoirs publics sont venus au secours de plusieurs institutions financières en difficulté. En cause, leur trop grande exposition à la crise des subprimes survenue aux États-Unis |1|.
33 milliards d’euros. C’est le chiffre des différentes aides accordées par l’État à Dexia, Fortis, KBC et à l’assureur Ethias (voir les détails dans le tableau ci-dessous) jusqu’à maintenant. Ces aides ont été financées par l’émission de titres de la dette publique, c’est-à-dire par l’emprunt sur les marchés financiers, la faisant augmenter d’autant.
Source : SPF Finances et Cour des comptes
Dette publique qui est en fait passée de 84 % du PIB (soit 285 milliards d’euros) au début de la crise à 100 % aujourd’hui (soit 395 milliards d’euros). Ceci allant à contre courant des efforts fournis depuis les années 1990 pour la réduire considérablement, la faisant passer de 138 % en 1993 à ces 84% en 2007.
- Source : Agence de la Dette
On voit donc le changement de cap soudain qu’ont provoqué les banques et leur crise. Car au-delà du montant brut des sauvetages |2|, il ne faut pas oublier les effets que la crise économique a elle-même sur les déficits budgétaires (et donc, sur l’endettement). Selon les données de l’OCDE […] la crise bancaire a fait augmenter, en Belgique, le pourcentage de la dette mesurée au PIB de l’ordre de 18-19 % |3|. Il faut également prendre en compte les intérêts sur la dette que l’État paie pour avoir dû emprunter afin de sauver ces banques. D’après Xavier Dupret |4|, en se basant sur l’année 2010, il faudra plus de quatre-vingts ans pour récupérer les 33 milliards qui ont été injectés...
Au nom de la population ?
L’argument principal donné par les autorités pour justifier cette socialisation de dettes privées a été qu’il n’y n’avait pas d’alternative et qu’il était dans l’intérêt de la population de procéder ainsi. Discours ressassé par les grands médias et la majorité des "experts" – à qui l’on donnait d’ailleurs aussi la parole avant le début de la crise qu’ils n’ont pas vue venir... En gros, laisser ces banques faire faillite aurait provoqué la chute de l’économie toute entière, leur survie était nécessaire pour maintenir le crédit à l’économie réelle et pour sauvegarder nos épargnes, et en plus la population allait y gagner à terme grâce aux retours sur investissement. Bref, il fallait sauver les banques ! La question du comment, elle, n’a tout simplement jamais été posée |5|.
En fait, autant la chute du système financier que son sauvetage pharaonique |6| et inconditionnel sont les résultats d’une même logique (encore souvent présentée comme relevant du simple bon sens économique) : l’idéologie selon laquelle la finance, et l’économie en générale, doivent être libéralisées pour assurer une allocation optimale des ressources et ainsi produire les meilleurs résultats pour la société. Les résultats, on les a vus. Ce que les tenants de cette idéologie et leurs perruches disent moins, c’est que ce modèle libéral ne peut se passer d’un État qui intervient – au moment voulu – au secours de ces artistes en socialisant leurs pertes |7|.
D’ailleurs, d’autres voix ont essayé de se faire entendre pour démontrer qu’il y avait moyen de faire autrement et pour insister sur le fait que ces sauvetages bancaires constituaient une dette illégitime |8| que la population allait payer durant des décennies (si elle ne la refuse pas... ).
Regardons alors si, comme prévu, ces sauvetages lui ont profité...
Comme dans de nombreux autres pays (sauf en Islande pour le cas de la banque Icesave), et malgré l’importance de l’opération, la population n’a pas été consultée lorsque ces sauvetages bancaires ont été effectués avec les deniers publics (ni sur l’opération en elle-même, ni sur comment la mener et encore moins sur comment la financer). Peut-être les pouvoirs publics avaient-ils peur que la population sache que ces sauvetages ne répondaient pas à la défense de ses intérêts (qu’ils prétendent pourtant représenter). Or, comme dans de nombreux autres pays, ces sauvetages et l’endettement public qui leur est lié n’ont pas servi l’intérêt de la population, au contraire.
Premièrement, l’argument de réouverture du crédit à l’économie réelle ne s’est pas vérifié dans les faits : depuis les sauvetages, les prêts aux ménages et aux administrations publiques ont diminué et ceux aux entreprises ont stagné |9| (l’accès au crédit étant particulièrement compliqué en ce qui concerne les PME).
Deuxièmement, pour ce qui est de l’« investissement » que devaient constituer les aides accordées à ces banques, nous avons vu que la somme des dépenses dépasse la somme des recettes (comme nous avons vu que le coût réel de ces sauvetages et de la crise dépasse largement ces montants bruts). De plus, il ne faut oublier ni les possibles nouvelles recapitalisations, ni les garanties d’État octroyées aux banques belges qui constituent une menace immense pour les finances publiques |10|.
Troisièmement, cette politique n’a pas permis de changer les règles du jeu et de se doter d’un système bancaire un tant soit peu moins dangereux |11| et un tant soit peu plus au service de la population : non seulement l’État n’a pas profité du fait qu’il devenait propriétaire en tout ou en partie de ces banques (rappelons par exemple que l’État, et donc en théorie la collectivité, est propriétaire à 100 % de Belfius – qui reste malgré tout une société anonyme à caractère commercial gérée comme telle) pour les reprendre en main et redéfinir leur fonctionnement en vue d’une utilité sociale, mais il n’a rien fait de concret pour réformer le secteur bancaire en général. Tout continue comme avant..., ces artistes ne sont pas inquiétés et on leur a fait comprendre qu’ils pouvaient recommencer de plus belle leur business as usual, quitte à ce que les contribuables aient une nouvelle fois à payer les pots cassés.
Enfin, quatrièmement, cet endettement ne s’est pas fait dans l’intérêt de la population puisqu’il est utilisé comme prétexte pour lui infliger une politique d’austérité (appelée « rigueur » en Belgique) et de casse sociale.
Pour finir, et comme dans tous les pays cette fois, les créanciers étaient au courant puisqu’il s’agit... des mêmes protagonistes. En effet, à qui l’État emprunte-t-il majoritairement pour s’endetter (ici, dans le but de sauver les banques) ? Aux banques |12|... |13| Les premières bénéficiaires de cet endettement et de son remboursement sont bien les banques créancières (belges comme étrangères |14|). En fait, le maillon le plus faible de la chaîne dans la crise de la dette en Europe, ce ne sont pas les États : ce sont les banques. Véritables colosses aux pieds d’argiles, dont les dettes privées sont socialisées à grands coups d’austérité pour leur plus grand bonheur et celui de la classe capitaliste en général. Si nombre d’entre elles ne se sont pas effondrées, c’est uniquement parce qu’elles ont été soutenues à bout de bras par leurs gouvernements, la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le FMI. L’urgence dans la mise en place des mesures d’austérité a bien peu à voir avec le fait de garantir la soutenabilité des finances publiques, elle répond plutôt à l’objectif de protéger les banques européennes de la faillite |15|.
Refuser toutes les dettes illégitimes
Depuis plus de trente ans, le Tiers Monde est saigné par le système dette qui opère un transfert de richesses de la partie la plus pauvre de la population mondiale vers la partie la plus riche, en parfait outil du capitalisme. Aujourd’hui, on voit que cet outil est également utilisé contre les populations du « Nord », avec comme épicentre l’Europe et avec les banques comme acteurs de premier plan |16|.
33 milliards d’euros. C’est le montant brut que l’État a dépensé en notre nom pour sauver ces institutions financières. Sachant que la population n’a en rien été consultée dans l’opération, que celle-ci ne lui a pas profité (bien au contraire) et que les créanciers étaient au courant (sinon instigateurs), la dette correspondant aux sauvetages bancaires en Belgique doit être considérée comme illégitime et doit en conséquence être annulée.
En gardant à l’esprit que les droits humains passent de toute façon avant les droits des créanciers |17|, il est important de se poser les mêmes questions pour tout endettement public, vérifier s’il a profité à la population et en exiger l’annulation dans le cas contraire. De manière générale, c’est d’un audit permanent de l’endettement public et d’une capacité de contrôle de l’orientation de l’activité économique et financière dont nous avons urgemment besoin.