LEMONDE.FR | 16.11.11 | 19h20 • Mis à jour le 17.11.11 | 07h43
Il s'agit d'un geste fort de la part de l'administration Obama. Un véritable défi géostratégique lancé à la Chine, qui n'a guère plu à Pékin. Pour contrer les ambitions grandissantes de la Chine dans le Pacifique, les Etats-Unis, qui possèdent déjà des bases au Japon et en Corée du Sud, ont annoncé, mercredi 16 novembre, un renforcement de leur présence militaire en Australie.
Washington va déployer 250 marines dans le nord du pays à partir de la mi-2012, un effectif qui sera au fil des ans porté à 2 500. Canberra affirme que ce dispositif militaire américain dans la base de Darwin n'annonce pas la création d'une nouvelle base, mais l'arrivée à terme de plus de 2 000 marines et les rotations de bâtiments de l'US Navy dans ce port en créeront une de facto.
Quelle est la portée de ce déploiement de troupes dans le Pacifique à la lumière des relations sino-américaines ? Eléments de réponse en quelques points clés.
- Obama à la reconquête de l'Asie
Au moment où les forces américaines finissent de se retirer d'Irak et entament leur départ d'Afghanistan, les Etats-Unis veulent réorienter leur politique de sécurité vers l'Asie, a déclaré la semaine dernière la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton. Le renforcement de la coopération militaire avec l'Australie, annoncé mercredi, vient concrétiser la doctrine Obama pour l'Asie-Pacifique et renforcer la présence américaine dans l'océan Indien.
"Depuis son arrivée au pouvoir, Barack Obama s'est lancé dans un vaste chantier de redéfinition de la politique américaine en Asie-Pacifique. Cette nouvelle politique, qui contraste avec les années Bush marquées par un engagement assez faible, ambitionne de restaurer la présence américaine dans cette région, qui est de plus en plus sujette à interrogations", explique Barthélémy Courmont, professeur de science politique à Hallym University (Corée du Sud), chercheur associé à l'IRIS, et rédacteur en chef de la revue Monde chinois, nouvelle Asie.
>> Entretien : "Pékin et Washington sont engagés dans un bras de fer naval"
- Une nouvelle "base" dans le Pacifique
L'armée américaine est déjà très présente dans le Pacifique. Les deux tiers des marines américains sont aujourd'hui positionnés dans la région, notamment au Japon (40 000 hommes) et en Corée du Sud (28 000), ainsi qu'à Guam, un territoire américain à 2 000 kilomètres au nord de la Papouasie Nouvelle-Guinée.
Ce nouveau point d'appui en Australie a donc de fortes chances d'être considéré par la Chine comme une preuve que Washington cherche à l'encercler. Un porte-parole de la diplomatie chinoise n'a d'ailleurs pas tardé à qualifier ce rapprochement d'"assez inopportun". "C'est tout à fait opportun", lui a rétorqué, depuis Canberra, Ben Rhodes, conseiller américain adjoint pour la sécurité nationale.
Le renforcement de la coopération entre Washington et son allié historique – la visite d'Obama en Australie marque les soixante ans de l'alliance entre les deux pays, qui ont combattu côte-à-côte dans toutes les grandes guerres – constitue également une solution de repli stratégique pour les Américains, dans une période où leur présence militaire au Japon, de plus en plus décriée par la population, est amenée à s'alléger.
- Une réponse à la modernisation de l'armée chinoise
Pour le 60e anniversaire de la création de la "marine de l'Armée populaire de libération", en 2009, Pékin avait annoncé un plan ambitieux de modernisation de sa flotte et l'expansion de ses capacités de frappe (des missiles de longue portée plus précis) et de projection en haute mer de Chine. Le 10 août, la Chine a lancé son premier porte-avions en mer. L'Armée populaire de libération – dont le budget a atteint 119 milliards de dollars en 2010, au deuxième rang mondial derrière les Etats-Unis (698 milliards) – ne cesse de se moderniser. Ses moyens ont encore été augmentés de 12,7 % cette année.
Le redéploiement des marines américains en Australie apparaît ainsi comme une réponse à cette montée en puissance de l'empire du Milieu, explique au Sunday Morning Herald Alan Dupont, de l'Université de Sydney. "Il s'agit tout particulièrement de répondre à la vulnérabilité croissante des forces américaines au Japon et à Guam face aux missiles de nouvelle génération chinois, explique-t-il. Ces nouveaux missiles sont susceptibles de les menacer comme ils ne l'ont jamais été jusqu'ici. Les Américains se repositionnent donc pour être moins vulnérables. L'éloignement géographique de l'Australie est désormais un avantage stratégique."